À l'approche de nouvelles élections à la BAD, l'heure est-elle enfin venue pour une réforme qui redéfinirait le rôle de la Banque pour les 60 prochaines années ? Décryptage. Créée en 1963, la Banque africaine de développement (BAD) incarnait à l'origine un rêve panafricain ambitieux : celui de soutenir la souveraineté économique du continent tout en renforçant l'unité africaine. Portée par des figures visionnaires comme Kwame Nkrumah, cette institution, dans son essence, ne devait pas être qu'un simple prêteur d'argent. Elle se voulait être un acteur intellectuel, un laboratoire d'idées pour modeler les prémisses d'une Afrique qui a les moyens de faire sa transformation dans le concert des nations. Six décennies plus tard, cette ambition est toujours sur la table. Et les nouvelles échéances électorales de l'institution posent avec acuité la question de la réforme. Après donc plusieurs décennies d'existence, la pertinence d'une telle institution, et surtout son action au-delà des grands chiffres annoncés, demeure sous-jacente. Malgré des avancées notables dans le financement des infrastructures et l'amélioration des conditions sociales dans plusieurs pays, la BAD est par exemple le terrain où sont face à face deux lectures du monde. En effet, les tensions entre Etats anglophones et francophones, alimentées par des enjeux de leadership et d'influence, fragmentent une gouvernance qui se doit pourtant d'être fédératrice. Les divergences, parfois liées à des visions économiques opposées ou à des enjeux historiques, pèsent sur l'institution. Ainsi, à l'aube d'un renouvellement de sa gouvernance, il y a donc une urgence à repenser le rôle de la BAD afin qu'elle demeure pertinente dans une Afrique de défis. Rien de nouveau sous le soleil... Lorsque le président Akinwumi Adesina présente en 2015 sa stratégie des « High 5 » – nourrir, éclairer, industrialiser, intégrer l'Afrique et améliorer la qualité de vie – il fixe un cap ambitieux. Mais près d'une décennie plus tard, tous les prétendants à sa succession reprennent cette ligne sans y apporter d'innovation. Ce consensus apparent masque une réalité plus complexe : l'absence de réflexion doctrinale sur ce que devrait être la BAD aujourd'hui. Peut-on parler de réforme sans une révision profonde des fondements idéologiques qui guident son action ? La BAD est aujourd'hui tiraillée entre deux blocs : anglophone et francophone. Cette division, loin d'être uniquement linguistique, est le reflet de visions divergentes du développement, alimentées par des logiques de pouvoir et des héritages historiques. Le principe d'alternance à la tête de l'institution a tenté de contenir ces tensions, sans les résoudre. Elles ressurgissent régulièrement dans les prises de décision, les orientations stratégiques et les rivalités internes. Ainsi, au lieu d'être un espace fédérateur, la Banque devient parfois un terrain de compétition entre Etats, au détriment d'une vision commune, intégrée et panafricaine. Lire aussi | BAD : les derniers chantiers d'Adesina Or, à sa création, l'objectif était clair : dépasser les frontières linguistiques, politiques ou idéologiques pour mettre en place une architecture économique cohérente, pilotée par les Africains pour les Africains. Aujourd'hui, à la veille d'un nouveau cycle de gouvernance, une interrogation s'impose : la BAD est-elle toujours fidèle à cette vocation ? Ou faut-il désormais penser une refondation qui réinscrive son action dans une doctrine continentale claire, affranchie des pesanteurs postcoloniales ? « Il y a 12 ans, lorsqu'il a lancé Hub Africa, on le surnommait "le Toubab francophone". Aujourd'hui, il est pleinement perçu comme africain. Cette évolution montre qu'une légitimité interculturelle est essentielle pour réussir des projets d'envergure. La BAD doit intégrer cette dimension dans sa gouvernance et ses programmes pour rapprocher les communautés et renforcer leur collaboration. » Briser les préjugés linguistiques pour valoriser les talents africains Un autre obstacle à surmonter est la perception réductrice des talents basée sur la langue. Brisons cette contre-vérité : « Si l'on parle trois langues, on est trilingue ; deux langues, bilingue ; et une seule, soit anglophone, soit analphabète. » Cette vision simpliste ne reflète pas la richesse des compétences sur le continent. Les francophones, tout comme les autres, possèdent des atouts intellectuels remarquables. Cette diversité linguistique et culturelle doit être vue comme une force, non comme une faiblesse, et devenir un élément clé du positionnement de la BAD », nous confie Zakaria Fahim, CEO de BDO. Un impact encore loin de celui des bailleurs de fonds étrangers... En chiffres, la BAD affiche des résultats significatifs : 67 milliards de dollars de financements approuvés entre 2016 et 2023. Mais comparé aux flux injectés par des agences bilatérales étrangères, ce montant reste modeste. En 2023, par exemple, l'AFD a investi 5,1 milliards d'euros en Afrique, représentant 40 % de son portefeuille. Sur la même période, l'USAID a alloué 11,5 milliards de dollars au continent. Cette réalité met en lumière un paradoxe : l'institution censée incarner la souveraineté économique africaine reste dépendante, en volume comme en gouvernance, de puissances non africaines. Parmi les 81 membres de la BAD, 27 ne sont pas africains. Et ces membres extérieurs, bien qu'officiellement partenaires, pèsent de façon significative sur les grandes orientations de la Banque. Dès lors, comment parler d'autonomie stratégique lorsque les leviers décisionnels sont partagés avec des bailleurs étrangers ? Face à cette situation, beaucoup attendent de la future gouvernance un véritable tournant. En tant que catalyseur de l'intégration régionale, la BAD ne peut plus se contenter d'être un acteur de second plan face aux agences internationales. One Africa Forum, à l'instar de nombreuses plateformes panafricaines, appelle à une redéfinition ambitieuse de sa mission. La réforme ne peut plus être reportée. Il s'agit désormais de faire de la BAD un outil de souveraineté, d'innovation et de projection, à la hauteur des enjeux africains du XXIe siècle. Lire aussi | Adesina, quel héritage à la BAD ? Les acteurs du jeu... Ce sont les 80 membres du conseil des gouverneurs. Ils représentent chacun les 54 Etats membres et les 26 pays membres non régionaux (Etats-Unis, France, Canada, Japon, Chine, Argentine et Luxembourg...). Le président élu doit ainsi avoir recueilli la majorité des suffrages exprimés. En clair, 50,01 % des pouvoirs de vote des membres africains et 50,01 % des membres non africains. Côté pouvoir, plus un pays souscrit au capital de la Banque, plus il pèse au moment du scrutin. Par exemple, les pays de la zone Cemac (Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale) représentent au total 4,25 % des voix, presque à égalité avec l'Algérie (4,21 %) et loin derrière le Nigeria. Le pays d'Adesina représente à lui seul 9,25 % (le seul pays africain à être aussi puissant au sein du conseil des gouverneurs). Seuls l'Afrique du Sud et l'Egypte tentent de rivaliser avec lui : respectivement 4,88 % et 5,39 %. Les pays non régionaux représentent quant à eux 40,27 % des pouvoirs, dont 6,55 % pour les Etats-Unis, 5,47 % pour le Japon et 3,75 % pour la France. La Chine, quant à elle, détient 1,12 % du capital.