La crise internationale a donné lieu à des critiques acerbes concernant l'adoption des normes IFRS. Au Maroc, où le basculement à ces normes est en cours, la question se pose sur la pertinence de la poursuite du ce chantier dans le contexte actuel. L'objectif premier de la comptabilité est d'«être au service de la gestion» en fournissant les informations nécessaires aux différents acteurs. Mais un objectif s'est imposé comme une évidence, l'harmonisation. C'est dans cette optique que l'IASB, International Accounting Standards Board, s'est fait le chantre de référentiels uniques. Les normes IAS/IFRS viennent donc affirmer cette logique et imposer des standards pour les comptes consolidés. C'est l'Union européenne qui la première a pris le parti d'une réglementation dans ce sens. En effet, en 2005, le Parlement et le conseil européen ont donné l'obligation aux sociétés cotées de se mettre en ligne avec ces nouveaux standards. Le Maroc était à la traîne à ce niveau. Les différents chantiers de mise à niveau étaient bien plus avancés que celui des normes comptables. Aussi, il a fallu mettre les bouchées doubles. Bank Al Maghrib est venue imposer ces standards aux banques et aux groupes cotés de la place pour 2008. Un chantier colossal ! Une course effrénée a donc commencé dans ce contexte. Le chantier était colossal, surtout lorsqu'on connaît le caractère complexe et touffu de cette mise en œuvre. «Ce projet a été mené avec tout le sérieux nécessaire, car il impliquait le fait de changer de vision par rapport à nos comptes et de revoir toute notre organisation dans cette optique», affirme un top manager d'une banque de la place. Cela passe d'abord par une série de retraitements qui changent la perspective des choses. La comptabilité a pour principal objectif de retracer les charges, pour définir le coût de revient, et les produits. Sauf que cette dernière composante était faite sur la base du prix historique. Avec l'IFRS, c'est la fair-value ou juste valeur qui prime. C'est une mutation profonde de la vision comptable. «On passe d'une vision patrimoniale (ce que je possède), à une vision financière (ce que je vaux)», explique un autre artisan de ce chantier au Maroc. Avant d'étayer son affirmation par cette conviction: «cela donne une vision plus proche de la réalité économique». En effet, la juste valeur implique la comptabilisation des immobilisations au prix du marché à l'instant « t ». Cela s'inscrit parfaitement dans la logique économique et permet d'avoir une idée plus précise sur la valeur réelle de l'entreprise. Cependant, la crise mondiale en cours a fait sonner le glas de la croyance béate dans ces normes. Les critiques se font de plus en plus acerbes. En effet, cette juste valeur connaît ses limites en présence d'une bulle spéculative. «Les immobilisations sont survalorisées, et en cas d'éclatement de la bulle, c'est l'équilibre de l'entreprise qui est mis en péril», argue un détracteur résolu. Le manager de la banque, qui garde son anonymat, rétorque plein d'entrain: «la fair-value n'a fait que révéler au grand jour des problèmes et des dysfonctionnements qui lui sont tout à fait étrangers». L'argument est de taille et il vaut mieux des normes qui révèlent les problèmes que d'autres qui les cachent. Toujours est-il que les IFRS sont mises au pilori pour cette raison, et que l'on commence à se demander ici et là si l'on ne doit pas freiner leur rythme de progression au Maroc en attendant d'avoir plus de retour quant à l'expérience internationale. «Pas question, en tout cas à ce stade de la réflexion», protestent les voix officielles. Ce n'est pas la foule de prestataires qui font leur beurre avec la mise en place de ces normes qui vont s'en plaindre. D'ailleurs, les profils financiers maîtrisant ces normes sont très prisés et grassement rémunérés. Ces derniers défendent leur business et invoquent un effet de panique similaire à celui que connaissent les places boursières mondiales, y compris celle de Casablanca. Économiquement parlant, c'est à leur sens une avancée indéniable. Ils préfèrent ainsi montrer du doigt la titrisation, autre chantier balbutiant au Maroc, et les fameux subprimes. C'est par ce canal que la boîte de pandore a été ouverte et pas autrement, et la fair-value n'a fait que révéler les choses. Le chantier est donc en cours et après les banques, ce sont les sociétés cotées qui s'y sont mises. À ce titre, les immobilières focalisent le plus l'attention. Disposant d'un parc immobilier conséquent, l'impact sur leurs comptes consolidés sera très significatif, surtout si le marché connaît un retournement de tendance. Toujours est-il que le chantier est en cours et que ses artisans ne se décourageront pas au premier obstacle.