Le tableau noir dressé par le Conseil économique, social et environnemental doit pousser les autorités à réagir rapidement. Selon le Bureau international du Travail, le risque d'accidents du travail au Maroc est le plus élevé de la région du Maghreb et du Moyen Orient. Le Conseil propose une série de recommandations dans son rapport sur la protection sociale pour remédier à une situation alarmante. Après avoir recouvert son indépendance, le Maroc a mis en œuvre, dans le cadre de la sécurité sociale, d'importants mécanismes de solidarité entre les générations et en leur sein tout en soulageant les finances publiques et les familles de la prise en charge des prestations fournies par les régimes en question à leurs assurés et leurs ayants-droits. Le rapport du Conseil économique, social et environnemental salue d'ailleurs les bénéfices apportés à cette solidarité par les régimes de la CNSS, de la CMR, du RCAR, ou par les mutuelles fédérées au sein de la CNOPS. D'autant que cela a permis au Maroc de réaliser une partie des droits consacrés par le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels. Mais là où le bât blesse est que ces droits ne profitent qu'aux actifs salariés du secteur privé formel qui jouissent d'une relation travail stable, aux fonctionnaires et agents de l'Etat et à leurs ayants droits. Les 60% de la population active restante ne sont couverts par aucun régime de pension et 46% de cette population ne bénéficie pas à date d'aujourd'hui d'une couverture médicale, précise le CESE. La quasi-totalité des actifs (hormis une minorité de salariés du secteur privé formel) ne bénéficie pas d'une assurance sociale spécifique contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Pis, le pays ne dispose pas de régime dédié à la protection sociale de l'enfance, des personnes en situation de chômage, ni des personnes en situation de handicap. Le CESE appelle d'ailleurs le Maroc à développer des dispositifs et des mécanismes publics de protection sociale, solidaires, et proportionnés à ses moyens en faveur des personnes et des catégories non encore couvertes. Cela passe par le renforcement de l'indépendance, de la démocratie, du professionnalisme et de l'efficacité des systèmes de gouvernance des organismes de sécurité sociale existants et une refonte du système politique de pilotage et d'information de l'ensemble du secteur de la protection sociale. «Le rapport et les débats du CESE sur le thème de la protection sociale ont en effet convergé sur l'importance névralgique de la volonté et du cadre politique, en tant à la fois que préalable et moyen indispensable, au développement d'un système national de protection sociale, universel, inclusif et efficace », note-t-on. Accidents du travail et maladies professionnelles, la cata ! Le constat du CESE à ce sujet est sans appel pointant du doigt un système assurantiel archaïque et inéquitable. Pour planter le décor, le rapport dévoile des chiffres affligeants : le nombre de travailleurs décédant en raison d'un accident du travail est estimé à 3.000 par an et la moyenne annuelle des accidents du travail déclarés est supérieure à 43.153 cas. «Ces chiffres issus d'estimations du ministère de l'Emploi et de l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) sont vraisemblablement inférieurs à la sinistralité réelle du travail », alerte le rapport. Cela vaut au Maroc, et le Bureau international du Travail, d'avoir la triste performance de risque d'accidents de travail le plus élevé de la région du Maghreb et du Moyen Orient. Et c'est le secteur du BTP qui concentre 10% des sinistres, apprend-on. « Au Maroc, l'assurance contre les conséquences des accidents de travail et des maladies professionnelles, reste confiée, depuis 1927, aux compagnies d'assurance sur la base d'un dahir reprenant les dispositions d'une loi française de 1898 et constitue un des rares pays où les accidents du travail et les maladies professionnelles ne sont pas considérés comme des risques de sécurité sociale ouvrant un droit universel à des prestations en nature et en espèces mais comme une responsabilité civile de l'employeur assurable auprès de tiers », analyse le rapport. Pour le comité qui a élaboré le rapport, les différentes réformes intervenues en 2002, 2003 et 2014 ne se sont pas soldées par la généralisation de dispositifs de prévention des accidents du travail. Pire encore, elles ont fragilisé les mécanismes de prévention des risques de maladies professionnelles. « Dans de nombreux cas, les entreprises préfèrent occulter les cas d'accidents du travail pour contenir le niveau de leur prime d'assurance. Les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles sont exposées, quasi-systématiquement et, alors même qu'elles sont en situation de vulnérabilité et que beaucoup sont démunies, à des procédures administratives et contentieuses longues, coûteuses et complexes qui les contraignent à accepter des indemnités peu proportionnées aux dommages qu'elles ont subis », dénonce le rapport. Et d'ajouter que l'économie générale des textes est paralysée par un conflit de logiques entre la reconnaissance des droits des victimes et la prévention des pratiques frauduleuses. Pourtant, la couverture des risques accidents du travail et maladies professionnelles a permis aux compagnies d'assurance de dégager en 2016, au titre de cette branche, un résultat technique net de 550,41 millions de dirhams, soit une marge de 25%. Ce résultat a été multiplié par 15 depuis 2012 (où il était de 36 millions de dirhams) faisant des accidents du travail et des maladies professionnelles la source de marge et d'accroissement des profits les plus importans du secteur des assurances mais sans amélioration. Pour le CESE, ce déséquilibre est un des facteurs de blocage du pays du système de protection sociale marocain et participe au mauvais classement du pays dans les benchmarks internationaux en matière de protection sociale et de développement humain. De l'urgence d'agir Ce rapport qui est une autosaisine ne se limite pas à dresser la situation chaotique qui sévit au Maroc, mais apporte un nombre de recommandations pour y remédier. Notamment d'aligner les politiques publiques de protection sociale au Maroc avec les standards normatifs internationaux en parachevant la ratification de la convention 102 (1952) de l'OIT sur les normes minimales de sécurité sociale. Le Maroc est également appelé à ratifier les conventions relatives aux soins médicaux et aux indemnités de maladie (convention 130, 1969). Le CESE recommande la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage (convention 168, 1989) entre autres. Le rapport souligne l'importance de reconnaître et de traiter, à l'instar des pratiques internationales et en ligne avec les conventions internationales (notamment la convention 102 de l'OIT), les risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles comme des risques sociaux, et garantir leur protection dans le cadre d'un régime national obligatoire, unique et non lucratif d'assurance sociale. Aussi, la CNSS, en tant qu'organisme public non lucratif, devrait-elle gérer ce risque sur la base d'un système déclaratif individualisé des revenus appuyé sur un corps de contrôle et un système de recouvrement des créances. Il faut également actualiser et renforcer la législation relative à la médecine du travail pour en rendre l'existence et l'effectivité systématiques, contrôlables et appropriés aux risques de santé et de sécurité dans l'ensemble des secteurs d'activité. Enfin, le rapport souligne l'impératif de réformer radicalement la législation et les procédures de constatation, de prise en charge, de suivi, d'indemnisation, de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.