En marge du premier Forum africain des administrations pénitentiaires et de réinsertion (FAARP), plusieurs délégations africaines et européennes ont exposé leur programme de réinsertion des détenus, les mesures prises pour limiter le taux de récidive, mais aussi leurs modèles de lutte contre la radicalisation au sein des établissements pénitentiaires. Cas spécifique de la France. Le Directeur de l'Administration pénitentiaire française, Romain Peray, était également au rendez-vous, et a exposé les plans d'action et les mesures prises par la France contre la radicalisation dans les prisons et le défi à relever face aux détenus extrémistes, d'autant que l'Hexagone fait face depuis des années déjà, non seulement au terrorisme, mais aussi à la radicalisation au sein de ses prisons. « Le terrorisme est un sujet qui était connu dans les prisons françaises depuis déjà plusieurs décennies suite à des vagues d'attentats en France au début des années 70 et 80 », a-t-il déclaré, notant qu' »on pouvait penser qu'on était prêt à gérer ce genre de situation, autant les particularités du phénomène, auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés, qui nous ont rapidement imposé de construire de nouvelles réponses. Des risques majeurs sont apparus. D'abord le risque du prosélytisme d'influence et de tension, car les détenus terroristes radicalisés peuvent continuer, pour certains, de vouloir d'agir alors qu'ils ont en détention ». Le deuxième risque, a-t-il poursuivi, est celui lié « à la sécurité, car en détention notre personnel peut inévitablement être exposé à des attaques terroristes et la France, depuis septembre 2016, a connu 5 attaques terroristes en détention commise par les personnes détenues contre le personnel ». Le deuxième élément majeur qui a amené la France à réfléchir sa stratégie, c'est le nombre de détenus islamiques fait savoir le Directeur de l'Administration pénitentiaire Française. « Dans les années 70 et 80, on était sur quelques individus et nous utilisons nos réponses que nous connaissions (...) aujourd'hui en France, nous comptons 510 individus, prévenus ou condamnés pour des faits de terrorisme et plus de 800 détenus de droit commun radicalisés. C'est la raison pour laquelle à cette proportion, il faut agir différemment. Par ailleurs, le phénomène concerne à la fois les hommes, les femmes, mais aussi des mineurs », a-t-il relevé. Toutefois, la question qui se posait davantage et celle de la dispersion et de la séparation des détenus, et plus particulièrement les radicalisés. Une question qui a évolué davantage en France, fait savoir le responsable, dans le sens où son pays a commencé à se poser d'autres questions notamment « qu'en est-il de nos mesures de sécurité que nous devons appliquer pour ce type de profil ? ». La France est donc passée à « une réflexion qui est davantage celle de savoir comment allons-nous faire pour donner à ces personnes un temps utile pour préparer la réinsertion », souligne Romain Peray, ajoutant « qu'il faut tout tenter et c'est la responsabilité des différentes administrations pénitentiaires, en particulier, de construire ces réponses afin que la peine soit la plus utile possible ». Dans le même registre, le responsable français a déclaré que son pays, et à partir des années 2015 et 2016 à la suite des attentats terroristes, a procédé à la restructuration de sa stratégie dans le cadre d'un plan interministériel. « À l'administration pénitentiaire, nous avons créé également une mission de lutte contre la radicalisation violente. On a aussi structuré et renforcé l'organisation du renseignement pénitentiaire. C'est une dimension importante pour bien maîtriser et identifier les phénomènes en détention », a-t-il dit. Cela a conduit l'administration pénitentiaire française, poursuit Romain Peray, à élaborer une stratégie de lutte qui est aujourd'hui à peu près stérilisée et qui s'organise autour de trois points fondamentaux, à savoir la détection, l'évaluation du public et la prise en charge. S'agissant de la détection, l'évaluation et le suivi des personnes et des détenus terroristes et radicalisés, ils supposent selon Romain Peray « de disposer d'équipes dédiées dans des unités spécifiques, mais pas uniquement, puisque le nombre de personnes est important et cela concerne aussi les détentions dites ordinaires ». Par ailleurs, poursuit-il, « la mise en œuvre, quelle que soit l'origine de détention impliquée, nécessite une prise en charge pluridisciplinaire qui doit être adaptée, qui doit inclure un volet de contre-discours, de réaffiliation sociale et une préparation active à des conditions de libération». Dispositif de protection du personnel pénitentiaire En ce qui concerne la stratégie de protection du personnel pénitentiaire, elle consiste selon le responsable français, à renforcer les dispositifs de formation et de sécurisation des quartiers qui hébergent ses personnels. Cela dit, quel est le dispositif mis en place aujourd'hui en France pour détecter les détenus radicalisé ou en cours de radicalisation?. Selon Romain Peray, Il y a trois niveaux. Le premier niveau, dans les détentions dites ordinaires, est celui de la détection. « Nous avons élaboré depuis 2015 un certain nombre de grilles à l'intention du personnel, qui doivent permettre d'identifier des signes de radicalisation notamment pour les détenus des droits de l'homme. L'élaboration de cette grille est un travail qui nous a pris beaucoup de temps. L'année dernière nous avons amélioré nos grilles pour les simplifier et pour qu'elles soient beaucoup plus opérationnelles pour le personnel », explique-t-il. Les possibilités offertes après cette phase de détection, poursuit le Directeur de l'Administration pénitentiaire française, « c'est éventuellement d'approfondir l'évaluation en mobilisant des ressources que nous avons créées, à savoir un binôme composé d'un psychologue et d'un éducateur spécialisé qui vont aller rencontrer la personne et travailler avec elle. Une sorte d'accompagnement pour essayer de désengager la personne de la radicalisation violente ». La France fait appel également à des professionnels religieux, à travers « la mobilisation de médiateurs du fait religieux. Ce sont des personnes expertes, particulièrement éduquées, qui peuvent être en contact avec des personnes, soutenir des conversations et des réflexions d'ordre idéologique afin de travailler également cet aspect du contre discours ». L'évaluation, si jamais elle ne peut pas être poursuivie dans l'établissement, peut être organisée dans un des quartiers d'évaluation de la radicalisation que la Direction de l'Administration pénitentiaire française a créés et qui est au nombre de 6 aujourd'hui, indique le responsable. « Le régime est très clair, c'est un temps qui est court, 15 semaines, et suffisamment long pour permettre à une équipe pluridisciplinaire d'évaluer le risque ou le niveau d'atténuation idéologique ou de risque représenté par la personne identifiée », a conclu Romain Peray.