« Je ne veux pas être le père d'une génération, le grand-père d'une génération… Je n'appartiens à aucune génération. Je suis de toutes les générations », disait celui qui en a marqué plus d'une. Karl Lagerfeld, aussi appelé le « kaiser de la mode » a quitté ce monde en laissant derrière lui sa chatte choupette et un héritage riche en créations. Retour sur la vie trépidante d'un personnage fantasque qui voyait la vie en rose mais qui n'en portait pas. Derrière ses lunettes noires, ses gants en cuir et ses cheveux grisonnants se cachait un homme aussi insolent que talentueux. Ses réparties, aussi aiguisées que son coup de crayon, faisaient de lui un polémiste qui avait toujours quelque chose à redire sur la mode d'aujourd'hui. Intuitif et visionnaire, il savait capter l'air du temps et réinventer le présent. Avant d'être ce roi du style, Karl Lagerfeld menait une vie paisible, presque ennuyeuse. Né à Hambourg, le styliste a toujours laissé planer le doute sur sa date de naissance. Fils d'un industriel et d'une mère autoritaire au sens pointu du goût, le jeune Lagerfeld cultive une passion pour la mode. Alors qu'il rêve de haute couture et de vie parisienne, l'homme aux lunettes noires prend les devants et tente sa chance dans la capitale française. « La mode n'est ni morale, ni amorale, mais elle est faite pour remonter le moral » Quelques années plus tard, Lagerfeld fait un pas dans le cour des grands. A 19 ans, il remporte avec ses croquis le premier prix du concours du « Secrétariat international de la laine », ex-æquo avec un certain Yves Saint Laurent, qui deviendra au fil des années son plus grand ennemi. Une belle consécration qui permet à l'artiste de décrocher son tout premier boulot. Repéré par le fameux Pierre Balmain, il devient son assistant pendant trois ans. Avec l'expérience qu'il a acquise, l'amoureux de la mode décide de voler de ses propres ailes et commence à concevoir des collections pour Chloé et Fendi où ses conseils sont précieux. A cette époque, le designer devint une sorte de consultant engagé pour les maisons de couture. Chanel, son 'one and only' Pour Lagerfeld, concevoir, c'était respirer. « Alors, si je ne peux pas respirer, j'ai des ennuis », plaisantait-il souvent aux journalistes, étonnés par son éthique de travail inépuisable et son insistance pour qu'il ne prenne jamais sa retraite. L'une de ses réalisations les plus remarquables fut quand il fit revivre Chanel, après l'avoir complètement rebaptisé dans les années 80. Reprenant le vocabulaire de base établi par Coco Chanel, il l'a modernisé en introduisant de nouveaux matériaux, dont le denim, et en exagérant des détails tels que le logo « double C ». Fait remarquable, son travail pour Chanel est resté aussi vital au 21e siècle qu'au milieu des années 80. À partir de là, les noms Chanel et Lagerfeld deviendront indissociables. Grâce en grande partie à l'influence de Lagerfeld, Chanel est l'une des marques de mode les plus emblématiques et les plus désirables du marché. À l'époque, sa muse s'appelle Inès de la Fressange, elle devient une icône de la marque et de la mode. Ses autres muses seront Claudia Schiffer, Linda Evangelista ou encore le mannequin Baptiste Giabiconi. Il devra d'ailleurs à ce dernier sa chatte Choupette. Avec un coût de plusieurs millions de dollars par saison, ses événements ont dépassé les limites mondaines d'un défilé de mode pour ressembler davantage à une performance artistique à grande échelle. Lagerfeld, en tant que concepteur talentueux et provocateur visuel, pouvait le mieux démontrer sa capacité à mélanger les superficialités de la mode avec des sujets d'une grande profondeur. Du classique au moderne, en passant par le rétro, la mode était une sorte de poupée russe pour le designer. Un artiste qui griffe Lagerfeld était connu pour avoir une personnalité cocasse. Ses sorties médiatiques étaient aussi attendues que ses créations. Il avait des opinions sur tout, des pantalons de survêtement («un signe de défaite») à la fourrure («Dans un monde mangeur de viande portant du cuir pour des chaussures et même des vêtements, la discussion sur la fourrure est enfantine») – ainsi que des opinions dépassées sur des sujets comme le mouvement # MeToo («Si vous ne voulez pas que votre pantalon soit tiré, ne devenez pas un modèle!») ou encore sa méprise des femmes aux formes prononcés (« les femmes rondes n'ont rien à faire dans les podiums), l'artiste n'avait que faire de ce qu'on pouvait bien penser de ses déclarations. Choupette, l'héritière de son empire Lagerfeld avait deux passions : la mode et sa chatte, Choupette, la plus belle de ses rencontres. Il ne s'est jamais marié, mais a admis que s'il l'avait pu, il aurait échangé ses voeux avec son chat bien-aimé, Choupette. Le regretté patron de Chanel criait son amour pour ce chat blanc de Birmanie, âgé de sept ans, et s'est voué à lui offrir une vie de rêve. En plus d'avoir deux servantes personnelles pour s'occuper de tous ses besoins en matière de beauté, la chatte précieuse possédait également un iPad, adorait magasiner et prendre son dîner en porcelaine Goyard à côté de Karl. « Elle déteste les autres animaux et elle déteste les enfants« , a déclaré un jour Karl au sujet de son animal de compagnie exigeant beaucoup d'entretien. Aujourd'hui c'est à elle que revient toute sa fortune. Karl avec un grand K Karl Lagerfeld a eu une carrière artistique variée et a connu un succès considérable en tant qu'écrivain et photographe. Au fil des ans, il a réalisé de nombreuses photographies de mode pour ses collections chez Chanel et pour ses propres labels et a publié plusieurs livres de ses photographies. Il est également reconnu comme esthète et connaisseur d'art et d'antiquités. En 2000, aux prises avec le fisc, il vendit aux enchères une partie de sa collection de meubles anciens et d'œuvres d'art pour plus de 20 millions de dollars. Avec ses cheveux blancs argentés et sa silhouette nouvellement mince, il est une présence connue et emblématique sur la scène de la mode mondiale. « Je ne fais rien par devoir et je n'ai absolument aucune idée de ce que cela signifie. Je suis complètement superficiel. La mode, la photographie et les livres – en dehors de cela, je ne m'en soucie pas », disait celui qui restera à jamais l'un des révolutionnaires de la mode d'hier, d'aujourd'hui et certainement, dans un sens, de demain.