Dans les bureaux du Conseil de la concurrence à Rabat, une nouvelle notification a atterri sur la table : Delivery Hero, le géant allemand de la livraison, veut désormais verrouiller totalement sa prise sur Glovo Maroc. Derrière ce geste administratif en apparence banal, c'est un nouvel épisode d'une saga qui mélange pouvoir économique, tensions sociales et bataille pour le contrôle du marché marocain de la livraison rapide. L'opération est claire : transférer près de 95 % du capital et des droits de vote de Glovo sous le giron exclusif de Delivery Hero. En pratique, ce n'est pas une surprise. Le groupe allemand avait déjà engagé depuis 2022 une montée en puissance progressive dans la start-up espagnole. Mais au Maroc, l'annonce prend une dimension particulière : le marché local de la livraison reste fragile, disputé et régulièrement au centre de polémiques sur les conditions de concurrence. Le calendrier n'a rien d'anodin. Moins de deux mois plus tôt, Glovo sortait à peine d'une affaire retentissante qui avait secoué la place. Accusée d'abus de position dominante par son rival Kooul, la plateforme avait dû plier face au Conseil de la concurrence. Commissions plafonnées, transparence renforcée dans les classements, fin des clauses d'exclusivité imposées aux restaurants et ajustement des rémunérations des livreurs : autant de concessions arrachées après une enquête qui avait révélé l'emprise quasi totale de l'entreprise sur ses partenaires. Cette mise au pas avait été assortie d'une sanction financière, rappelant que le modèle de Glovo, fondé sur une domination du réseau et une captation massive de restaurants partenaires, n'était pas exempt de dérives. Pourtant, malgré ces contraintes, la société n'a pas perdu son statut d'acteur incontournable du secteur. Pour Delivery Hero, officialiser un contrôle exclusif revient à verrouiller l'un des maillons les plus solides de son dispositif en Afrique du Nord. Reste désormais l'étape du feu vert du régulateur. Le Conseil de la concurrence a ouvert un court délai pour recueillir les observations des acteurs du marché, jusqu'au 29 septembre. Un simple passage de procédure ? Pas tout à fait. Chaque partie prenante — restaurants, livreurs, concurrents locaux — guette l'issue de cette démarche. Certains y voient une menace d'hyperconcentration, d'autres une garantie de stabilité pour un marché encore balbutiant. La décision finale pourrait ainsi dépasser la simple question juridique pour devenir un test grandeur nature : le Maroc acceptera-t-il que le secteur de la livraison rapide se retrouve sous contrôle exclusif d'un groupe étranger déjà dominant, ou imposera-t-il de nouvelles conditions pour préserver un minimum de concurrence ? En toile de fond, c'est aussi la question sociale qui demeure, celle des livreurs précaires, maillon faible de ce modèle économique mais essentiels à sa prospérité. En consolidant sa mainmise sur Glovo Maroc, Delivery Hero joue une carte stratégique. Mais le dernier mot reviendra au Conseil de la concurrence, arbitre d'un marché où la vitesse des commandes cache mal la lenteur des transformations structurelles.