Ce que la vie est déconcertante parfois ! La semaine dernière, après des semaines de vaches maigres, j'ai enfin réussi à avoir un rendez-vous avec une jeune fille. J'étais aux anges et vraiment j'étais très content de m'apercevoir que l'anathème qui me collait à la peau depuis bien longtemps a bien eu l'obligeance de me relâcher cette fois. Je me suis paré de mes plus beaux vêtements, je me suis bien rasé et pour coiffer le tout je me suis mis un peu de parfum malgré mon aversion pour tout ce qui est accessoire et, après quelques étirements de plusieurs minutes devant ma glace, je suis sorti fin prêt à la rencontre de ma nouvelle amie au coin d'une ruelle pas loin de l'arrêt du bus. Tout était bien et la soirée s'annonçait d'ores et déjà émouvante et romantique. Toute la nuit j'ai tourné dans ma tête des idées, reformulé des impressions, glané des anecdotes et des blagues pas trop osées pour ne pas brusquer ni offusquer ma partenaire, enfin je n'avais pas fermé l'œil de la nuit. La fille était douce, mignonne, gentille et très belle. Pour ne rien vous cacher, elle m'a tapé dans l'œil. Après des mois de jeûne voilà que la providence me gratifie d'un beau morceau à la mesure de mes rêves. Je voulais donc faire bonne impression dès le départ pour finir en beauté cette nouvelle aventure galante. Au diable les études, en enfer le travail et tout le cortège qui suit. J'étais bien dans ma peau et j'avais le cœur qui débordait de joie et de bonheur. Bientôt j'aurais à mes côtés l'une des femmes les plus cotées de la ville et je me flattais déjà à l'idée que j'allais faire bien des envieux autour de moi. Quinze heures. Il faisait chaud et je suais à grosses gouttes. Elle était en retard mais ce n'est pas grave, les femmes aiment se faire attendre. Et voilà que je découvre brusquement et à mon grand dam que mes narines me gênaient et que ma voix avait beaucoup perdu de son charme et de sa douceur. Je devais donc vite faire de vider la quantité colossale de morve qui me bouchait le nez. Un coup d'œil furtif à ma montre et déjà j'étais au boulot. Une tarte gluante et têtue finit par me barbouiller toute la figure et les deux mains. Pas de mouchoir. Et, voilà la malheureuse qui arrivait arborant un charmant sourire et moi, pataugeant dans ma muqueuse jaunâtre et consistante, pareille à une vase collante et visqueuse, je commençais à essuyer mes mains n'importe où sur ces mêmes habits que j'avais auscultés au microscope une heure auparavant. Heureusement elle ne s'est aperçue de rien, mais ce à quoi je ne m'attendais pas, elle me tendit la joue pour la bise. Je ne pouvais refuser mais j'avais tellement honte de salir la pureté de cette fleur immaculée qui innocemment tenait à me dire qu'elle était heureuse que je sois là. Avec toute la douceur dont une âme est capable, je l'ai repoussée prétextant un malaise, la main cachant la moitié du visage. Rouge de colère, de fureur et de honte je me suis retourné pour terminer le nettoyage. J'en suis arrivé à me haïr, à me dire que je suis un con de première classe, un bordel de merde, un animal sale et sordide, que je ne suis propre à rien si ce n'est à lessiver les trottoirs. Loin d'être offensée, la belle, prévenante et attentionnée, tira un kleenex de son sac à main et me le remit. C'était la bouée de sauvetage.