La récente diatribe de Vladimir Poutine contre les Etats-Unis reflète le profond ressentiment que l'ancienne superpuissance a envers sa rivale de jadis Une manière de comprendre l'histoire sanglante de la Russie c'est de la voir comme un tiraillement entre, d'une part des forces prenant exemple sur l'Occident et d'autre part, des forces résolues à le fuir. Pour la grande partie du XXème siècle, les Etats-Unis ont été le principal objet d'admiration et de révulsion de la Russie. Les Etats-Unis, pays de melting-pot et de patriotisme féroce, d'insularité et au sens messianique du destin, sont sans doute le pays auquel la Russie ressemble le plus. Après l'euphorie de l'adoption des idées américaines dans les années 1990, la pulsion antioccidentale est devenue de plus en plus flagrante durant la présidence de Vladimir Poutine. À en juger par son discours à la conférence de Munich le 10 février, l'ascendance de son ancien réflexe est actuellement à son paroxysme. Devant Robert Gates, le secrétaire d'Etat américain à la défense, John McCain, un sénateur républicain, le Chancelier Allemand, Angela Merkel et d'autres pointures, Poutine a donné un tranchant aperçu des griefs russes vis-à-vis des Américains. «Les actions unilatérales et fréquemment illégitimes», a-t-il dit, «causent de nouvelles tragédies humaines et créent de nouveaux centres de tension». «Le Monde, a ajouté Poutine, est en train d'être témoin d'une utilisation presque démesurée de la force, ce qui le plonge dans une abîme de conflits permanents». De peur d'être incompris, il a spécifié que les Etats-Unis dépassent leurs frontières nationales de toute part, montrant un dédain de plus en plus grand des lois internationales. C'est en train de raviver la course à l'armement et poussant certains pays à acquérir des armes de destruction massives. Rien de cela n'est nouveau. Poutine et d'autres officiels russes ont déjà fait de telles remarques auparavant. Mais le ton, le lieu et la concentration des critiques fait sortir ces déclarations du lot. Les autres dénonciations des Etats-Unis étaient plus périphrasées. Le camarade loup sait qui manger, a-t-il dit indirectement l'année dernière, et il mange sans écouter les autres». Il voulait probablement faire sensation à Munich même avant que Gates ait évoqué, la semaine dernière, le chemin incertain de la Russie parmi les soucis militaires américains. Et il a réussi. Deux questions se posent dans la furie et l'incrédulité que Poutine a provoqué. D'abord, comment cela a-t-il pu arriver ? Après que George Bush et lui se soient rencontrés pour la première fois en 2001, quand tous deux venaient d'être fraîchement élus grâce à des élections douteuses, Bush avait dit une phrase restée célèbre : «j'ai regardé dans l'âme de mon interlocuteur et j'ai aimé ce que j'y ai vu». La solidarité de Poutine après les attentats terroristes du 11 septembre, semblait présager d'une nouvelle ère dans les relations russo-américaines. Moins de six ans plus tard, ils semblent avoir atteint le pire moment de l'époque postsoviétique. La seconde question est de savoir jusqu'où iront-ils ? Dans leur enthousiasme des premières heures pour Poutine, certains diplomates ont clairement commis une erreur classique dans la manière de pensée des leaders occidentaux : prendre leurs désirs pour la réalité. Ce que d'aucuns ont perçu comme un choix stratégique pour un partenariat avec les Etats-Unis, semble être, pour le Kremlin, une alliance de circonstance. À côté de ce qu'ils ont compris comme des concessions, tolérant la présence militaire en Asie Centrale, avalant l'expansion de l'Otan sur la frontière baltique russe, les Russes attendaient quelque chose en retour. Au lieu de cela, ils ont senti des critiques de plus en plus acerbes concernant leurs affaires intérieures, du dédain pour leur position par rapport à l'Irak et la résistance par rapport à l'ambition internationale des compagnies russes. L'assaut de Poutine depuis 2003, contre la compagnie pétrolière Yukos et son patron Mikhail Khodorkovsky, a aidé à ramené ces ressentiments à la surface. Mais, le plus important tournant est arrivé durant l'automne 2004. Après le massacre de l'école de Beslan, quelque chose s'est cassés en Poutine, il a dénoncé, sans les nommer, des pouvoirs étrangers qui selon lui, essaient d'affaiblir la Russie. Alors se produisirent les efforts gauches du Kremlin pour intervenir dans les élections présidentielles ukrainiennes. Les Russes ont vu dans leur défaite en Ukraine une preuve de l'immixtion perfide des Etats-Unis dans leur sphère d'influence. Pour les Américains, la débâcle a montré que la clarté dans la politique intérieure de Poutine, affecterait aussi le comportement du pays vis-à-vis de l'étranger. En d'autres termes, Poutine n'était pas démocrate. La politique intérieure russe explique la prestation de Poutine à Munich autant que ses frustrations en matière de politique étrangère. Puisque son mandat s'approche de son terme, il est déterminé selon Fyodor Luyanov de «Russia in Global Affaires», un journal prouvant que dans sa vision, la Russie est de retour dans l'arène mondiale. La fin de son mandat en 2008 sera une période à haut risque dans le système gouvernemental dominé par le culte de la personne créé par Poutine. Le vieux spectre terrifiant de l'étranger pourrait être utile. Mais, le principal impact des grands changements internes sous Poutine a été d'avoir engendré une confiance en soi, jamais connue depuis la période soviétique. Le Parlement, les leaders locaux, les medias et les magnats jadis prétentieux ont été tous domptés. Poutine ne s'est évidemment pas rendu compte du caractère hautement ironique de sa déclaration quand il parlait d'un monde dans lequel, il y a un maître et un souverain. Une bonne partie de la dette extérieure Russe a été remboursée. Il n'y a aujourd'hui, plus aucune raison, plus d'obligations par rapport à l'étranger et pas de contrainte interne, qui puisse l'empêcher de parler comme bon lui semble. C'est apparu clairement lors du sommet du G8 de l'année dernière à Saint Petersburg, quand Poutine s'est moqué de Bush à propos de l'Irak et de Tony Blair concernant les scandales de corruption. Traduction : Mar Bassine Ndiaye The Economist Newspaper Limited, London, 2007.