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Un jour de fête dans le couloir de la mort
Publié dans La Gazette du Maroc le 01 - 12 - 2003

Ils sont des dizaines à espérer dans le couloir de la mort. Ils attendent une visite familiale depuis des semaines, des mois, des années et savent que l'Aïd El Fitr est l'occasion de revoir l'un des leurs, embrasser un enfant ou Jeter un regard sur le visage d'une mère qui leur a manqué. Dans le couloir de la mort, les hommes survivent aussi grâce à ce type d'évènements et leur lutte au quotidien prend alors de nouvelles tournures où l'espoir joue un grand rôle.
Mercredi 26 novembre. 8heures 30 du matin. Devant la prison centrale de Kénitra, ils sont des centaines à attendre déjà depuis des heures. Certains sont arrivés la veille et ont passé la nuit chez des amis, la famille ou alors dans un hôtel dans l'espoir de voir le jour poindre pour pouvoir finalement rencontrer un fils, un mari ou un frère perdu de vue depuis des années. Ils arrivent de partout Fès, Taza, Oujda, El Jadida, Marrakech, Casablanca, Tanger et ont presque tous une seule idée en tête : en finir avec l'attente et oublier le drame qui les a frappés tous un jour sans sommation. “Je ne viens pas souvent parce que je ne peux pas voir mon fils dans cet état. C'est plus fort que moi. D'un autre côté, c'est lui qui a un jour demandé qu'on espace les visites parce que cela lui faisait trop mal de nous voir ici.”. Cela rappelait à ce détenu condamné à mort la vie en famille, les rires autour d'une table, les entrées et les sorties du père, les blagues d'un jeune frère qu'il aime tant et le regard tendre de cette mère qui aurait tout fait pour que son fils ne soit pas un jour un spectre dans le couloir de la mort. A chaque fois qu'un condamné à mort se trouve plongé dans le creux de la vie de famille en voyant les siens, c'est toute une avalanche de souvenirs, de joies, de drames, de pleurs, de cris, de souhaits, d'amertume et de frustration qui tord le ventre, monte à la gorge et laisse parler sa foudre. Ahmed n'a pas de famille, lui, mais il n'en est pas heureux pour autant ni plus calme ce jour-là. “Quand je vois les autres parler de l'arrivée des familles, cela me sert le cœur. Je suis saisi d'une tristesse que je ne pourrais pas décrire. Des amis redoutent de voir la famille mais je n'y crois pas, c'est juste la peur de se laisser faiblir. Nous avons tous besoin que quelqu'un se souvienne de nous et nous rappelle que nous sommes encore vivants, encore de ce monde”.
Ahmed nous expliquera par la suite que malgré la faiblesse des uns et des autres, malgré la colère qui éclate parfois entre détenus et familles, malgré les dérapages, à chaque fois qu'un homme va s'asseoir avec les siens, il revient changé, transformé pour un bout de temps.
C'est comme s'il avait fait le plein de courage pour affronter les nuits sombres, supporter la solitude, oublier le fait que la vie n'a plus de sens pour lui en tant qu'ombre qui marche à côté des jours et doit se faire rappeler à l'ordre par sa propre conscience.
Le bonheur d'être là
“Je ne sais pas comment je vais le trouver, mais tout ce qui m'importe en ce moment c'est de poser mes yeux sur lui, de lui dire ce que j'ai sur le cœur et de le soutenir dans sa tourmente. Je n'ai pas de mots miracles pour l'aider à vivre, mais j'espère, comme lui doit espérer, que tout cela pourrait changer un jour”. Pour la fête, ce frère meurtri par des années de séparation et de drame, a fait le plein pour approvisionner son frère. Il a ramené de tout : café, thé, lait, sucre, menthe, gâteaux, crêpes faites maison, des légumes et de la viande sans oublier des habits chauds pour l'hiver qui arrive. Il a pensé à tout, a fait le tour de tout ce dont un homme pourrait avoir besoin en prison un jour de fête. Il a trouvé le moyen de se faire plaisir, de se soulager, de se sentir confiant face à l'inconnu. Car à chaque fois qu'un être s'aventure pour aller voir un des habitants du couloir de la mort, il ne sait plus à quoi s'attendre ni qui il va découvrir sous les traits d'un frère, d'un fils ou d'un mari. Les gens savent que cet endroit peut vous façonner un homme, le transformer, le faire basculer dans l'horreur comme il peut en faire un être effacé, mélancolique, dépressif, malade et sans espoir. Au bout d'une heure d'attente devant la porte immense de la prison centrale, ce portail qui marque la ligne de démarcation entre les vivants et les survivants, entre l'espoir et la mort, c'est le tour de Lhajja d'aller s'aventurer dans les méandres de l'inconnu. Elle s'agite, prend ses affaires, empoigne ses sacs et se fait aider par un gardien qui savait que cette journée n'était pas comme les autres. Dans la foule, restée dehors à attendre, il y a un vieux bonhomme qui croule sous le poids de l'âge. Le visage, buriné par les intempéries de la vie, le dos légèrement voûté, une allure qui en disait long sur des années meilleures et un regard serein, presque détaché sous un front large et strié par les rides. Il parle peu, semble absorbé par de lourdes pensées, mais continue d'afficher cette même sérénité qui marque les hommes qui ont beaucoup vécu. “Oui, c'est un fils que je viens voir. Il est là entre ciel et terre et attend que la vie lui dise ce qu'elle a décidé de faire de lui. Je sais qu'il n'a plus d'espoir comme je sais que c'est moi qui vient trouver ici du réconfort pour mes vieux jours”. Ce que dit cet homme tout haut, nombreux sont ceux qui le pensent tout bas. Ce n'est pas tant le besoin qu'ont les familles de venir voir les leurs qui prime aux visites, mais surtout une espèce de pacte tacite avec la conscience, la sienne que vient puiser ici aux abords de la mort chaque visiteur. Quand on pose un pied devant le grand portail de la prison, c'est aussi pour calmer sa conscience, biaiser sa douleur, déjouer les rêts du sort, dénouer ce nœud qui vous tord les tripes et vous empêche de respirer. “C'est pour moi que je viens ici”, jette le vieux bonhomme le regard perdu dans le lointain de sa vie. “Qu'est-ce qu'il attend de moi aujourd'hui ? Rien, absolument rien. Mais moi j'ai tout à prendre d'ici, un soutien pour mes vieux os et la paix avant la tombe”. Le vieux bonhomme s'épanchera par la suite sur le crime de son fils, le drame qui a frappé la famille, la séparation, les moments noirs de leur existence, cet enfant qui a un jour décidé d'en finir avec les dernières bribes d'espoir qui tenaient la famille la tête hors de l'eau, la mort de l'espoir et la folie devant le néant. “C'est moi qui suis condamné à mort depuis le jour où mon fils a tué. C'est moi qu'on a mis dans une cellule pour le restant de mes jours. C'est ma vie qui est derrière moi”.
En famille
Dehors, les familles laissent derrière elles des centaines de visages passés au froid du matin qui attendent qu'un nom soit prononcé pour entrer enfin voir le prisonnier. La crainte et l'appréhension se lisent dans les regards. Quand on dépasse la porte d'entrée et l'autre portail qui délimite l'espace entre ici et là-bas, c'est un autre monde qui s'ouvre devant les familles en cette belle journée de fête. Les gardiens sont sur le pied de guerre, ils se démènent comme des diables, courent dans tous les sens pour aider les visiteurs, organiser les visites, faire en sorte que tout ce flux humain puisse avoir satisfaction et rentrer le soir chez lui, avec un poids de moins sur le cœur. Dans la cour, il y a des détenus qui marchent, d'autres qui fixent le portail à l'affût d'un visage connu ou d'un sourire familier. D'autres se parlent et tournent le dos à ce qui se passe devant la grande porte. “Ils attendent leur tour, alors ils s'occupent comme ils peuvent”. Apparemment, tout le monde est excité. On fait tout pour ne rien laisser transparaître du côté des prisonniers, mais l'agitation est à son comble. “C'est la fête, tout le monde attendait ce jour parce que tous savent que c'est l'occasion tant attendue de revoir leur famille”. Pour ce gardien qui a donné des coups de mains à plusieurs femmes, il n'y a pas d'illusions : les condamnés à mort peuvent faire les durs tant qu'ils veulent, devant les familles ils s'écroulent comme des châteaux de cartes. Normal, c'est d'abord la peur de se laisser aller, de s'effondrer, d'espérer qui leur fait dire qu'ils ne veulent plus de visite familiale. Mais dans le fond, ils embrassent tous le même souhait : avoir encore une fois un soupçon de cette vie perdue à jamais. “Je n'ai pas vu mon fils depuis un an et demi. D'abord le manque de moyens, l'âge et la distance, mais pour l'Aïd, je ne pouvais pas ne pas venir ici, surtout que je suis venue accompagnée de ma sœur. J'espère qu'il est en bonne santé, mais le reste, Dieu seul pourra le dire”. Le reste, c'est la douleur de toute une vie qui peut s'abattre sur les gens à cause d'un moment de perdition où un jeune homme se laisse aller jusqu'à donner la mort à autrui par haine, malaise, colère ou simple impulsion non contrôlée qui s'avère fatale. Le reste, c'est la peur qu'un jour on vienne frapper à une porte pour annoncer la mort d'un enfant, le suicide d'un désespéré qui n'en peut plus de vivre comme “ un chien”. Le reste, c'est le père qui meurt avant que son cœur ne soit apaisé ne serait-ce qu'un bref moment en voyant dans le creux de l'œil de son enfant une légère lueur d'espoir, même furtive. Dans la grande salle décorée par les soins de quelques condamnés à mort, sur les chaises en plastique, on s'agite, on s'embrasse, on parle, on verse des larmes, on se dit qu'on s'est manqué, qu'on s'aime, que la vie est cruelle mais que Dieu est grand. On se dit aussi que la vie n'est pas si mal après tout, tant qu'il y a un homme debout qui se réveille chaque matin et voit la lumière du jour… on se parle, on raconte tout, on évoque les autres membres de la famille, les frères, les sœurs, les nièces et les neveux et tous ceux que la vie a séparés à jamais : “Il n'a rien voulu dire sur lui ni sur sa vie ici, mais il a demandé les détails sur la vie de toute la famille. Il voulait savoir qui allait encore à l'école, qui a grandi, qui s'est marié, comment est l'enfant de sa sœur, le fils de son frère, comment les voisins se comportent avec nous, les amis d'hier, les copains de quartier s'ils l'avaient oublié ou pas encore, s'il y a toujours quelqu'un qui demande de ses nouvelles…”.
Entre rage et peur
“Il m'a semblé bien, mais cette tristesse dans son œil, je ne pourrai jamais l'oublier. ”. Cette mère vient de sortir de la salle où elle a pu enlacer son enfant encore une fois. Elle ne savait pas que durant des années aucun condamné à mort n'a été exécuté, que son fils pourrait un jour sortir après de nombreuses grâces royales ou des remises de peine pour excellente conduite Elle a peur. Elle en pleure à chaque fois que ses pas franchissent le cercle entre la vie, la sienne, et la mort, celle qui menace son enfant. Lui a tout fait pour rassurer sa vieille maman en lui répétant qu'il était un homme, qu'il n'était pas seul et qu'il supportait plus que les autres. Pourtant la mère sait qu'il a peur, qu'il est aux prises avec des sentiments qu'elle n'arrive pas à s'expliquer. “Tiendra-t-il le coup jusqu'à la prochaine fois”, “saura-t-il se tenir loin des problèmes et mettre de côté le désespoir ?” Elle ne sait pas et tente pourtant de se rassurer : “non, il est sage, il a compris, il ne pourra plus se faire de mal”. Ce qui revient à dire qu'il ne lui fera pas de mal à elle, cette mère qui trime, voyage, prépare la visite et vient affronter l'inconnu au moins deux fois par an ne sachant jamais sur qui elle va tomber. “Mais on a aussi beaucoup ri. Mon fils aime les blagues. Il nous en a raconté des dizaines. Il est très gentil, mon fils”. A voir le visage de cette femme, on se rend compte de l'absurdité de l'existence. On sait que le malheur ne distingue pas quand il frappe, un saint ou un démon. D'autres familles viennent de sortir, elles sont heureuses, commentent la visite et épiloguent sur la bonne forme de leur fils. Ils ont partagé un ftour de l'Aïd avec lui, encore une fois et la vie semble apporter en ce jour son petit lot de bonheur. Pourtant, cette mère éclate de rage. “Il a payé, cela fait plus de dix ans qu'il est là, il a changé, maigri, il est aujourd'hui incapable de lever une main pour tuer une mouche. Il peut bien sortir et revenir dans sa famille”. Inutile de dire à cette mère que les choses ne sont pas aussi simples que cela, que la vie est parfois ainsi incompréhensible, mais qu'il y a des lois, des règles, des procédures, des jugements, des commissions… Non, pour elle, son fils est guéri. Il a fauté un jour et il a regretté. On l'a jugé et il a purgé sa peine. Il peut bien sortir pour gambader dans les prairies du bon Dieu pour tenter d'effacer d'un coup de courage le passé qui traîne ses boulets sur la gorge de tout condamné à mort dans la prison centrale de Kénitra. Vers midi, c'était des dizaines de familles qui avaient pu voir leurs enfants, qui ont fait un pied de nez au sort, qui ont accepté encore le destin et son lot de mauvaise fortune. Quand on quitte ces lieux juchés à quelques encablures de l'oued Sebou, nous partageons un bout de chemin avec ce vieux bonhomme à l'allure sage et au visage raviné par le temps. Il jette un dernier coup d'œil derrière lui et nous dit : “la vie vaut plus qu'un séjour ici. Ceux qui y entrent sont morts, ceux qui en sortent sont de nouveaux-nés”.


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