Table ronde Le Collectif démocratie et modernité a organisé mardi 1er mars une table ronde portant sur l'interprétation du Coran aujourd'hui, avec la participation de Saadedine Othmani, secrétaire général du parti islamiste PJD et du jeune islamologue d'origine marocaine, Rachid Benzine. L'amphithéâtre de la faculté de médecine était archicomble et, pour une fois, l'hystérie idéologique et les cris haineux n'étaient pas de mise. Les interventions ont pu garder une certaine hauteur, propice à l'écoute et à la réflexion. Non sans une dose de prudence entre souplesse et rigidité normative, Othmani a concédé de prime abord que le Coran est de l'ordre du divin, de l'absolu supra-humain et que toute interprétation ne peut échapper aux limites humaines. D'où la multiplicité des écoles d'interprétation à travers l'histoire. Ceci est déterminé par le niveau de connaissance et de civilisation propre à chaque époque, d'où l'effort d'ijtihad par quoi la compréhension se renouvelle. Il y a aussi l'influence des coutumes qui, selon les époques, peuvent conditionner l'interprétation du texte coranique. Tout est contenu et en latence dans le Coran mais l'esprit humain ne peut y accéder que selon son degré de connaissances et ses dispositions. Othmani cite des exemples d'interprétation de versets du Coran qui ont changé dans le temps. Outre ses études de psychiatrie Othmani avait reçu une formation à Dar al Hadith et à ce titre il avait composé un livre sur le "Khol'" qu'il avait interprété comme étant une conception coranique plus souple du divorce, lequel peut aussi être demandé par la femme. Cependant il considère que toute interprétation du Coran est liée par les limites de sens de la langue, par les acquis des sciences théologiques traditionnelles et par la cohérence qui doit exister dans la compréhension des différentes parties du texte coranique. Religion et science Rachid Benzine est chercheur en herméneutique coranique (ou science de l'interprétation), fils d'un immigré marocain en France et soucieux d'éviter les confrontations stériles et dangereuses sur l'Islam en ces temps où l'idéologie, même islamiste, a pris le dessus sur la foi. Il souligne que l'on a le plus souvent affaire à une instrumentalisation du texte coranique qu'à un effort d'interprétation méthodique. Celle-ci ne peut nier ni occulter la foi mais elle doit donner à penser aux croyants et aux autres. Cependant le plus souvent le Coran est utilisé pour justifier tout et son contraire et on n'arrête pas de le mêler à tous les sujets imaginables (le jihâd, la paix, le socialisme, le libéralisme, l'identité, les coutumes, et jusqu'aux moindres aspects de la vie quotidienne). Contrairement à ce que croient quantité de ses lecteurs musulmans, comme Othmani qui y a fait référence, Maurice Bucaille (auteur de "La Bible, le Coran et la science") fait fausse route en prétendant que le langage coranique se prête à une sorte de validation par la science. Cette recherche du concordisme entre religion et science est vouée à l'impasse car "l'histoire de la science est celle de ses erreurs", et qu'elle ne progresse qu'en dépassant sans cesse ce qu'elle formule. Pourquoi le Coran est-il tellement sollicité aujourd'hui ? Ce ne sont plus seulement les Oulemas qui, comme avant, avaient autorité pour interpréter, mais bien tout un chacun qui, aujourd'hui, s'y emploie de manière sauvage. Or, remarque Benzine, "le Coran n'est pas un super-marché où l'on va chercher ce qui peut justifier ce que chacun veut". Le problème vient de ce que l'on cite les versets coraniques en les isolant de l'ensemble dont ils sont partie. Il vient aussi du fait que l'on ne considère pas la nature spécifique du discours et du registre littéraire qu'utilise le Coran. L'interprétation du texte coranique ne peut exclure toutes les dimensions où il s'est inséré, à savoir une langue, un contexte historique, une parole qui a été mise par écrit. Tout cela fait qu'on ne peut accéder immédiatement au sens du texte ou des versets. Lire le texte implique des interrogations, d'autant plus que les interprétations (d'ordre juridique par exemple) sont le fait des hommes à travers l'histoire. Benzine qui étudie la structure des sourates considère que c'est là qu'il faut articuler l'interprétation et non pas en isolant les versets. En distinguant nettement le plan de la foi, Benzine insiste sur la nécessité pour celle-ci d'être inquiétée pour être vécue dans une authenticité de la recherche et non pas dans un trop-plein de certitude fermée. Au cours du débat, Othmani qui semblait peu au fait du type de recherches modernes sur le Coran, s'est contenté de répéter que les interprétations les plus osées peuvent être entendues mais que les limites doivent être observées. Un des participants au débat lui a adressé un mot pour lui dire qu'il "aimerait bien voir Othmani toujours d'apparence aussi ouverte et éclairée !".