Malgré la spéculation, c'est la loi de l'offre et de la demande qui conditionne véritablement les prix. La courbe des prix peut subitement changer, à la hausse ou à la baisse, en cours de journée. Depuis plusieurs années, des polémiques sur les prix des fruits et légumes frais occupent régulièrement les colonnes de la presse. Et chacun y va de ses propres explications. De fait, toute tentative de cerner (mathématiquement parlant) la problématique des prix de produits quasi dépendants des aléas climatiques et rapidement périssables, s'avère difficile. Le premier facteur de la hausse imprévisible auquel on pense est la spéculation. Elle existe certes lors d'occasions jugées trop opportunes (Ramadan, grandes vacances, fêtes…), mais son impact reste limité. Il y a ensuite le stockage en attendant des conditions de marché plus favorables, mais emmagasiner est souvent un acte à haut risque et le gain potentiel sur le prix peut vite être effacé par pertes en quantité et les frais de conservation au froid. D'ailleurs, seules la pomme de terre, l'orange et la pomme se prêtent véritablement à stockage sur plusieurs mois. Dans l'équation du prix intervient aussi l'entente entre les vendeurs au détail au sein des marchés municipaux. Où que l'on aille pour s'approvisionner en fruits et légumes, à l'exception des quartiers «très» populaires, on trouvera un alignement des prix pour tous les produits et le consommateur croira logiquement que ce sont les prix réels et que c'est une conséquence de la hausse provenant du marché de gros. Les difficultés de transport sont aussi de nature à entraîner une baisse de l'offre dans les marchés de gros et par conséquent une hausse des prix qui peut atteindre 30 %. Enfin, il y a la rareté de certains produits engendrée par la hausse fulgurante des températures en août, ce qui retarde les récoltes automnales, en particulier les tomates, ou alors les éventuelles intempéries entre novembre et février qui risquent de bouleverser tout le processus de production à n'importe quel moment. Après avoir interrogé plusieurs professionnels, on peut bien tenter une simulation avec le marché de gros de Casablanca, le plus grand du Royaume. Toutes les régions agricoles du Maroc y écoulent leurs produits. Il accueille quotidiennement entre 900 et 1 100 camions, chargés chacun en moyenne d'une dizaine de tonnes de légumes et fruits. Les commerçants travaillent toujours en duo, et se répartissent les tâches. L'un est chargé de l'approvisionnement, l'autre de l'écoulement de la marchandise. S'il s'agit des tomates, par exemple, et que l'on travaille sur la région d'El Jadida, l'un des partenaires s'installe dans la région pour une durée déterminée avec une mission quotidienne d'acheter le produit chez les producteurs. Chaque jour, avant que le camion ne soit chargé, il informe son associé sur le prix d'achat, le nombre de caisses, le transport, le coût global, etc. Plusieurs prix pour un même produit Ainsi, le partenaire chargé de l'écoulement se trouve-t-il en mesure de répercuter cela sur le prix de vente ou alors il ordonne l'arrêt des opérations si les prix du marché ne leur permettent pas de couvrir leurs charges. C'est le cas où certains prix sont bien inférieurs à ce que son partenaire lui propose. En revanche, si tout se passe comme prévu, le camion est envoyé au marché. Le vendeur compte écouler sa marchandise, par exemple à 2,50 DH le kg. Entre 3h et 6h du matin, il s'avère qu'il n'y a pas assez de camions de tomates. Du coup, le vendeur saute sur l'aubaine et ajoute facilement entre 50 centimes et un dirham, sans que cela ne suscite des protestations de la part des clients ou de l'administration. Une situation normale compte tenu de la loi de l'offre et de la demande. Il en est de même si c'est l'inverse qui se produit. Celui qui comptait écouler sa marchandise à 2,50 DH le kg constate qu'en l'espace de deux heures le marché est inondé de tomates, et que le prix ne dépasse guère 1,50 DH le kg. Il n'a d'autre choix que de vendre à perte et de demander à son partenaire à El Jadida d'arrêter les frais. Parfois c'est la qualité qui fait la différence. Exemple : le marché compte une offre satisfaisante de pommes ou d'oranges, mais certaines espèces sont plus prisées par les clients. On trouve alors des pommes à 5 DH le kg et juste à côté d'autres pommes à 10 ou 12 DH. Ce sont pourtant ces dernières qui se vendent le plus rapidement. Autre cas de figure, celui de certains fruits rapidement périssables comme les fraises, les cerises ou encore les figues. Le vendeur peut commencer la journée en écoulant les premières quantités de sa marchandise à 8 ou 10 DH le kg et pourrait augmenter de 4 ou 5 DH s'il constate un afflux massif de clients. La cause peut être très simple : ou bien le concurrent a marqué du retard et sa marchandise n'est pas arrivée au marché, ratant ainsi la journée, ou encore ce même concurrent s'est fait avoir par les revendeurs et a rapidement écoulé toute sa marchandise tôt le matin. En revanche, le même vendeur qui a écoulé une partie de sa marchandise à 10 DH, peut se retrouver en fin de matinée à vendre à 5 DH, car elle ne passerait pas la nuit. En général, on ne parle de la hausse que quand elle touche les produits de grande consommation, particulièrement la tomate et la pomme de terre. Mais dans tous les cas, le marché des fruits et légumes obéit par excellence à la loi de l'offre et de la demande.