À Casablanca, Abdelkrim Ghattas, 80 ans, fauve de la médina en 1945, explose Dar El Beïda en utopie bauhausienne furieuse. « Casablanca Imaginiste », Loft jusqu'au 8 novembre : hard-edge qui tabassent – père plongeur avalant le port, tante tissant la folie, Beaux-Arts vomissant des géoms rebelles. Intime lacéré au collectif, Maroc qui twist arabe-africain. L'art ? Pas tombeau. Baroud chromatique, tranchant et torride. Suivez La Vie éco sur Telegram Ah, Casablanca ! Cette ville qui bat comme un cœur sous amphétamines, entre demeures effrités et gratte-ciel qui lorgnent du côté de Casa Anfa. Et voilà qu'Abdelkrim Ghattas, ce vieux lion de la peinture marocaine, la réinvente en utopie chromatique. À la Loft Art Gallery, son solo show « Casablanca Imaginiste » (du 9 octobre au 8 novembre) n'est pas une simple carte postale moderniste mais une psychogéographie qui tisse le fil de la mémoire intime avec les plans d'une ville en perpétuelle mutation. Ghattas, l'un des trublions de l'Ecole des Beaux-Arts de Casablanca – promotion 1969, sous l'égide de Farid Belkahia et ses comparses rebelles comme Melehi ou Chabâa –, balance ses toiles comme des grenades lyriques : abstraction hard-edge, lignes épurées, chromatismes ultra-dynamiques. On y voit le port, ce ventre salin où son père s'évertuait à remonter des trésors ?! ; le métier à tisser de sa tante, qui infuse à la toile un rythme hypnotique, comme si le textile dictait la cadence à la brosse ; et ces ateliers d'orfèvrerie et de tapis à l'Ecole, qui balayaient les poncifs académiques pour injecter du sang artisanal dans les veines du modernisme. Sa démarche ? Une radicalité joyeuse, presque insurrectionnelle. Pas de mimétisme lisse ici : Ghattas cartographie Casablanca non pas en géomètre froid, mais en cartographe des abysses affectifs. La ville devient matrice, tramway spectral reliant Derb Sultan par exemple à une utopie Bauhaus – oui, ce spectre pictural revisité à la sauce maghrébine, où les formes géométriques dansent avec les gestes populaires, les plans urbains se superposent en espaces-temps démultipliés. Influencé par son séjour parisien aux Beaux-Arts (1968-1972), il rentre pour enseigner et muraliser – Asilah, Agadir, Salé en ont vu de toutes les couleurs –, mais c'est toujours cette abstraction-figurative spontanée qui le trahit : un élan imprévisible, une impulsion qui plaque la couleur comme on plaque un accord de guitare flamenco sur fond de jazz cacophonique. Hard-edge, dites-vous ? Chez lui, c'est du hard-heart : défense acharnée du patrimoine marocain, arabe et africain, en dialogue féroce avec l'international. Yasmine Berrada, maîtresse de céans, le clame haut et fort : «Ghattas incarne l'esprit de Casablanca, reliant art et vie, toile et ville». Et Maud Houssais, curatrice de l'expo, d'ajouter une couche : «ces toiles débordent des cadres, refusant l'enfermement, comme la ville elle-même qui bouillonne et se réinvente sans cesse». Dans Casablanca Imaginiste, les œuvres – ports rythmés, trames textiles qui vibrent, plans qui s'entrelacent comme des veines urbaines – ne racontent pas, elles hantent. C'est une relecture sensible, entre mémoire et modernité, où l'intime (ces fragments autobiographiques qui suintent des coups de pinceau) cogne l'universel (une abstraction qui questionne les pionniers arabes et africains). Ghattas, sociable et modeste comme un maître artisan, transforme la peinture en acte politique : réhabiliter une modernité ancrée dans le sol marocain, loin des imports culturels fadasses. So ! si vous traînez du côté de Casa, foncez : c'est l'occasion de voir la ville blanche se muer en kaléidoscope rebelle. Et Ghattas ? Il prouve que, à 80 piges, on peut encore peindre comme un gamin qui invente le monde. Chapeau bas, maestro.