Mohamed Hamidi est parti lundi, à 84 ans, emportant avec lui les pulsations érotiques d'une abstraction qui faisait vibrer l'art marocain post-colonial. Son pinceau, érotique, s'efface en formes libres : seins en hard-edge et vulves en symbiose chromatique. Adieu, maestro des formes affranchies, qui laisses nos toiles orphelines et nos âmes un peu plus nues, un peu plus affamées de ton feu. Suivez La Vie éco sur Telegram Il s'est éteint ce lundi 6 octobre, à 84 ans, comme un trait de pinceau qui s'efface en douceur sur une toile vibrante. Mohamed Hamidi, ce géant discret de l'art post-colonial marocain, nous laisse avec des formes qui bougent encore, des couleurs qui vibrent et un érotisme abstrait qui titille l'inconscient. Figure majeure de l'Ecole de Casablanca, il n'a jamais cherché à copier le monde : il l'a réinventé, en le dépouillant jusqu'à l'os symbolique. Adieu, Hamidi. Ton pinceau nous manquera, mais tes seins stylisés et tes phallus en hard-edge continueront de hanter les galeries. Né en 1941 dans le tumulte casablancais, sous le protectorat français qui s'effrite déjà, Hamidi grandit avec le bruit des ports et l'odeur des épices. Diplômé de l'Ecole des beaux-arts de Casablanca en 1958, il file à Paris en 1966, chez les fresquistes, sous l'aile de Jean Aujame. Là, c'est la bohème pure : ateliers crasseux, musées hantés, galeries squattées. Il s'imprègne, il absorbe, il vomit le figuratif pour mieux le transcender. De retour au bercail, en 1967, il intègre le corps enseignant des Beaux-Arts de Casablanca, aux côtés des titans Farid Belkahia, Mohamed Melehi et Mohamed Chebâa. Ces gars-là, c'étaient les punks de l'art maghrébin : ils ont dynamité les conventions, marié l'artisanat local à la modernité occidentale. Et Hamidi, avec son œil affûté, y met du sien. Pensez à 1969 : l'exposition-manifeste «Présence plastique» sur la mythique place Jemaa el-Fna. Des tapis berbères côtoient des toiles abstraites, l'artisanat marocain flirte avec le pop art. Hamidi y est, en première ligne, à expliciter ce lien viscéral entre tradition et rupture. «C'est de la pulsion de vie que permet la sexualité et l'érotisme que l'artiste entend nous évoquer», écrit la critique Syham Weigant dans un catalogue, en décryptant ces obsessions pour les «origines du monde» – seins isolés, vulves en abstraction, phallus qui dansent. Pas de mièvrerie ici : Hamidi ne fait pas dans le pudique. Il libère le corps, le stylise en géométrie érotique, et le balance sur la toile comme un éclat chromatique. Car voilà le punch de Hamidi : son abstraction n'est pas froide, elle pulse. Des droites rectilignes, des formes géométriques simples, forgées sous des latitudes folles – transitions brusques entre zones de couleurs qui s'embrasent. Contrastés, aigus, soudains : et pourtant, l'ensemble respire l'harmonie. Pas de bigarrure criarde, non : une sérénité qui caresse, un équilibre qui repose l'âme. Ses symboles s'enchevêtrent, se fondent en symbiose jubilatoire – marque d'un talent hors normes, qui passe de l'esthétique arabo-africaine à une abstraction dépouillée, nuancée, humaine. Hard-edge, oui, mais avec une exaltation organique, sexuelle, qui fait rougir les puritains. «Chaque forme symbolique réveille en nous des sentiments latents, mais combien profonds», lâchait l'artiste lui-même. «Elle enregistre sous l'entrelacement des lignes les concepts universels qui régissent nos rêves, notre inconscient le plus profond. La couleur opère au même degré : chaque teinte est investie d'une énergie, renferme mythes et symboles». Aujourd'hui, deux jours après sa disparition, le Maroc pleure un bâtisseur. Un des pionniers de l'art moderne, pédagogue infatigable, Hamidi a tracé la voie pour une génération qui ose l'abstraction sans renier ses racines. Ses toiles ? Des invitations à l'extase chromatique, des rappels que l'art post-colonial n'est pas une mode : c'est une révolution intime. Repose en formes libres, maestro. Et nous, on ira fouiller les galeries pour capter encore un peu de ton feu.