Sommaire Exposition Le fabuleux monde de Cali p.26 Portrait Jamal Noumane trio, l'aventure musicale p.27 Tendance Le ballon du Mundial 2014 s'appelle «Brazuca» p.30 Télécharger le PDF Les ECO : Vous avez décidé d'adapter au cinéma «Singhé sabour», le roman pour lequel vous avez eu le prix Goncourt. Comment passer de l'écriture à la caméra, sans se trahir ? Atiq Rahimi : Lorsque l'on m'a proposé d'adapter le roman en film, j'ai longtemps hésité, par ce que je me posais la question de : pourquoi en faire un film ? J'ai dit tout ce que j'avais à dire dans mon roman. Mais en réfléchissant, je me suis dit que je pourrais donner une autre chance et une autre vie, lui donner un peu la chair du corps. J'ai écrit le livre en français, il a été traduit deux ou trois fois en perse et cela a été une déception, à chaque fois. Je me suis dit que c'était une façon de le traduire à ma manière, autrement dans ma langue maternelle, puisque le film est en persan. Une autre raison, en Afghanistan, il y a 75% d'analphabètes, c'est une façon de rendre le livre accessible aux Afghans. D'ailleurs, il n' y a pas eu que des réactions positives. Un Afghan m'a dit : pourquoi avez-vous fait ce film ? J'ai répondu humblement : pour ceux qui ne veulent pas le voir ! (Rires). Je suis en train de réadapter un livre en film, il s'agit de «Pour seul cortège» de Jean Paul Gaudet. Je lui ai dit clairement de ne pas s'attendre à que je sois fidèle à son livre. Tu as dit ce que tu avais à dire. Maintenant c'est à moi de donner mon interprétation de ma lecture. Il faut trahir dans l'adaptation, rester 100% collé à une œuvre littéraire est pour moi un plagiat. Vous êtes donc le mieux placé pour vous trahir. Comment avez-vous travaillé sur le scénario et comment choisir la bonne personne pour réécrire votre propre texte ? Vous savez, il faut être égoïste pour faire des films. On est comme un enfant gâté qui joue au lego...On crée son monde, son univers, tout le monde doit être à votre disposition. On a nos faiblesses. Mais ensuite, je me retire pour 2, 3, 4 mois pour écrire et la mon ego prend une belle gifle. Je suis tout seul, je pleure, il n'y a personne pour partager mes doutes, mes incertitudes. Il faut être humble devant les mots, la langue... En parlant de la langue, «Syngué sabour» est votre premier roman en français et vous avez remporté le Prix Goncourt en 2008. Quel est votre rapport avec la langue française ? Je ne pouvais pas exprimer tout ce que je voulais exprimer dans ce livre en persan. Cela me limitait aux tabous, aux non dits alors que la langue française est libre et riche. Il faut savoir que je suis né dans une famille très particulière : ma mère était anglophone et mon père germanophone. Mes frères et sœurs aussi. Mon père m'a dit : tu dois apprendre le français. À tous les niveaux, nous étions dispersés. J'ai appris le français au collège. Il y a eu le coup d'Etat, j'ai dû aller en Inde où j'ai appris l'anglais et le hindi. Deux ans après, de retour en Afghanistan, j'ai repris mes études et le français, mais le niveau n'était pas bon. En arrivant en France, je ne voulais pas apprendre le français dans des classes de niveau, mais via la littérature. Le premier roman que j'ai lu est L'amant de Marguerite Duras et il me sert de manuel de la langue. Mais ce n'était pas évident... Tous les matins, pour acheter une baguette, je me demandais si c'était «une» ou «un» baguette, du coup j'en demandais deux... (Rires) Est-ce que vous avez un rituel de travail ? Comment donnez-vous naissance à une œuvre ? Il y a une très bonne méthode : l'insomnie. C'est le serpent qui se mord la queue : je veux dormir, j'ai des idées, donc j'écris. Et le contraire : j'écris parce que je n'arrive pas à dormir... Maintenant je me suis accepté tel que je suis. Les Indiens disent une chose magnifique : la pensée est comme un singe. Elle saute d'une branche à l'autre. Je me dis que mon problème est que je suis un singe...(Rires). Est-ce que la patience est une vertu pour vous ? En passion et patience, c'est le dilemme ... Lire la suite