«Nous étions une chaîne sympa, nous sommes devenus une chaîne d'influence». C'est en ces termes que Nebil Karoui, directeur général de Nessma TV, résume le parcours de la chaîne tunisienne privée depuis le début de la révolution du jasmin. La chaîne de télévision maghrébine basée à Tunis qui brandissait fièrement son positionnement de «télé à strass et paillettes» a fait un virage à 180° pour devenir en l'espace de trois heures une chaîne tunisienne d'information en continu. Qui l'eût cru ? Même le directeur de la chaîne lui-même n'en revient pas alors qu'il nous raconte son épopée autour d'un point presse organisé à Casablanca en ce début de semaine. Un peu comme sorti d'une aventure d'Indiana Jones, Nebil Karoui raconte les nuits blanches, les réunions de rédaction à 2h du matin, les directs improvisés, les débats houleux où les langues réprimées depuis une vingtaine d'années se délient jusqu'à n'en pas finir. «Il n'y avait plus de lignes rouges !», raconte-t-il. Des téléspectateurs qui appellent la chaîne au secours à cause des émeutes, aux militants qui voient en Nessma l'opportunité de faire passer leur message de liberté, les journalistes de la chaîne habitués aux tapis rouges et projecteurs ont vite dû changer de casquette pour une médiation plus politique des faits. D'autant qu'entre la chaîne nationale qui vivait entre ces bureaux sa propre révolution et les chaînes étrangères d'information, Nessma TV avait la légitimité du terrain. «Nous étions les seuls à pouvoir proposer une moyenne de 18 sujets d'actualité par journal», avance Karoui. Bref, une expérience qui, comme le dit l'homme de médias lui-même, «ne se produit qu'une fois tous les 5.000 ans». Et aujourd'hui ? Difficile après ce «cataclysme» politico-médiatique qu'a traversé la chaîne durant plus de deux mois de revenir à la «normale». Toutefois, en véritable marketeur, Nebil Karoui n'oublie pas qu'une chaîne privée c'est avant tout des annonceurs et donc de l'audience. «Nous avons perdu notre positionnement de chaîne du Grand Maghreb, mais nous comptons y revenir», affirme donc le directeur. Pas question de lâcher le filon de l'information, ni celui du divertissement qui reste l'ADN de Nessma TV. Résultat, c'est une nouvelle chaîne maghrébine qui tend vers un positionnement généraliste qui fait sa mue sur les ondes de Hotbird depuis quelques semaines. Les rendez-vous phares, tels Ness Nessma ou Mamnouâ ârrjal, seront donc maintenus dans leur format initial, et se grefferont à d'autres programmes plus politisés ainsi qu'aux rendez-vous d'information. L'objectif de Karoui est simple : maintenir son audience en Tunisie et en Algérie «où la chaîne est une véritable star», avance-t-il, et développer son audience au Maroc et en Europe. Comment satisfaire autant de téléspectateurs avec le même produit ? C'est le chantier qui devait normalement voir le jour en 2011, mais «sera reporté d'une année», nous annonce-t-on. Un chantier qui propose de «décaler les grilles des programmes en fonction des pays». En clair, Nessma TV lancera dès 2012 trois canaux différents : le premier couvrant la Tunisie et l'Algérie, le second pour le Maroc et le dernier visant l'Europe. Un marché prometteur que Karoui compte investir en lançant la même année un talkshow politique en direct de Paris. Le concept, «l'actualité européenne vue par des Maghrébins». Côté marketing, Karoui a déjà pensé à tout : «Avec l'explosion du marché du halal en Europe, la chaîne se positionne comme le média idéal pour ce type de marque». Décidément, si la révolution du jasmin aura fait changer le positionnement de la chaîne, elle n'aura pas eu raison du sens des affaires de son directeur.