Loin des projecteurs, Saleh Cherki décédé lundi dernier à l'âge de 88 ans, menait une vie tranquille à Salé, sa ville natale. Cela faisait longtemps qu'il combattait seul la maladie. Pourtant, le grand virtuose de la cithare (qanoun) ne se plaignait pas. Il accueillait chaleureusement ses invités, leur parlait de son long parcours artistique, ponctué de nombreuses réussites, leur racontait sa rencontre avec la grande Oum Kathoum au Maroc en 1968... Tout commence lorsque le petit Saleh quitte Salé pour Casablanca en 1930. Une date qui coïncide avec le décès de ses parents. Son frère le confie à un orphelinat situé sur la route de Médiouna et qui venait d'être inauguré par le pacha de l'époque Taeïb el Mokri. Un tournant dans la vie de feu Cherki, puisque c'est dans cet endroit qu'il découvre la musique. Il commence d'abord par apprendre le luth avant d'opter pour la cithare. «Cet instrument m'a fasciné lorsque je lai vu. C'est pourquoi j'ai décidé de laisser tomber le luth et de me concentrer sur le qanoun», affirmait-il. Durant cette période, Saleh tisse des relations étroites avec ses camarades de classe qui, comme lui, contribueront fortement à poser les jalons de la musique marocaine moderne. Il s'agit notamment du célèbre luthiste Omar Tantaoui et du compositeur Mohamed Benabdesslam. Les années se suivent et ne se ressemblent pas pour Saleh. Il intègre la troupe de son premier maître Zniber et réussit au fil des ans à se faire une place sur la scène artistique casablancaise. La troupe composée de jeunes musiciens réussit, elle aussi, à bien s'installer grâce notamment aux soirées qu'elle animait, notamment celles organisées par le pacha. Un musicien, mais aussi un écrivain Tout bascule lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate. Les soirées deviennent de plus en plus rares et les musiciens de la jeune troupe de Zniber se trouvent du jour au lendemain sans emploi. Que faire ? Saleh choisit donc un autre métier pour subvenir à ses besoins. Il devient tisserand, mais pas pour longtemps, puisqu'il s'envole pour la France en 1950 où il passera deux ans. Son retour au bercail sera marqué par une certaine renaissance de la chanson.À l'époque, le grand Abdenebi El Jirari venait de constituer le premier orchestre marocain, composé, entre autres, de Abdelkader Rachdi et Ismail Ahmed. Saleh rejoint cet orchestre et devient l'un des premiers musiciens de la chanson marocaine moderne. «Au début, on était peu nombreux avant que le nombre des musiciens n'atteigne 35 membres... Et c'est Ahmed El Bidaoui qui nous dirigeait à l'époque», se rappelait-il. Saleh Cherki fut donc l'un des pionniers de la musique marocaine. Avec ses collègues, il écrivait les contours d'un joli scénario. Des années durant, l'artiste œuvre pour la promotion de cette musique qui fascine plus d'un. Talentueux, il était loin de passer inaperçu. Ce n'est pour rien que la diva Oum Kalthoum décide en 1968 d'interpréter la chanson «Ya Rassoul Allah Khoud Bi Yadi». Après des décennies au service de la chanson marocaine, Saleh prend sa retraite en 1984. Toujours aussi enthousiaste, il crée, deux ans après, une formation musicale qui sillonnera les pays arabes, chantre d'une musique marocaine moderne. Une autre troupe musicale voit le jour en 1991, «Atoulati Al moussali». Guitare, cithare, violoncelle et violon sont les instruments fétiches de ce groupe apprécié par les mélomanes. Ce que le grand public ne connaît pas, c'est que Saleh Cherki était aussi un écrivain-chercheur. Il est l'auteur en effet de bon nombre d'ouvrages et articles sur la musique marocaine, en plus d'être un grand collectionneur d'instruments musicaux et de documents traçant l'histoire de la chanson marocaine. «La musique marocaine, un patrimoine riche et diversifié» et «Introduction à l'histoire de la musique marocaine» sont considérés aujourd'hui comme une référence en la matière. La scène artistique nationale en deuil Juste après l'annonce du décès de Saleh Cherki, plusieurs artistes marocains ont déclaré que la mort du grand musicien constitue une perte indélébile pour la scène artistique nationale. «Saleh Cherki était plus qu'un simple musicien, mais plutôt une mémoire des styles musicaux marocains, notamment populaires», avait indiqué le chercheur Ahmed Aydoun. Le compositeur Ahmed Alaoui, lui, a tenu à rappeler que le défunt avait élaboré une étude exhaustive sur le qanoun. Il était également à l'origine de la création d'un club musical à Salé au lendemain de l'indépendance. Le grand artiste Abdelhadi Belkhayat, très ému par la triste nouvelle, s'est contenté de saluer la mémoire d'un «pionnier qui a tout sacrifié pour mettre sur pied l'édifice de la musique marocaine». De son côté, son ami de jeunesse, l'artiste Omar Tantaoui, l'un des amis proches de feu Salah Cherki, a affirmé que ce dernier fait partie du groupe des fondateurs de la musique marocaine moderne, qui a marqué la scène artistique par des compositions de haut niveau et des études approfondies dans le domaine musical. Fatima-Ezzahra Saâdane