Khalid Cheddadi, président directeur général de la CIMR. Les Echos quotidien : Comment évaluez-vous la conjoncture politique et économique du Maroc ? Khalid Cheddadi : Tout d'abord, il faut se féliciter que notre pays se soit sorti, durant ces trois dernières années de crise, de manière aussi extraordinaire. Réaliser depuis 2008, des taux de croissance de l'ordre de près de 5%, c'est exceptionnel. Deuxième chose, que je placerais entre l'économique et le politique, c'est cette manière très satisfaisante avec laquelle le Maroc a traversé la crise du printemps arabe. Les solutions politiques qui ont été apportées ont opéré un changement profond dans la continuité. Bien entendu, cela ne veut pas dire que les choses changeront du jour au lendemain, puisque nous sommes aujourd'hui dans un contexte économique difficile, à la fois sur le plan national et international. Cela nous amène à croire que rien n'est acquis et qu'il reste encore pas mal d'épreuves devant nous. Pour la CIMR justement, comment a évolué l'activité de la Caisse dans ce contexte là ? Pour la CIMR, cette période a été excellente sur le plan du recrutement. Je pense que cela peut s'expliquer par le fait que dans une période d'incertitude, les gens sont de plus en plus préoccupés par leur revenu de vieillesse. Maintenant, sur le plan de la gestion financière, nous sommes un acteur important sur le marché financier. Nous avons subi comme tout le monde les soubresauts de la Bourse, mais avec un effet d'amortissement qui est assez important, puisque nous avons un portefeuille relativement résistant. Cela ne vous attriste pas que la CIMR soit la seule Caisse à bien fonctionner contrairement aux autres? Nous participons avec nos confrères des autres Caisses dans les études sur la réforme. Nous mettons à leur disposition notre expérience. Je pense que la plus grande différence se fait au niveau de la prise de décision. La CIMR est une Caisse autonome, avec un système de gouvernance, ce qui lui donne une grande agilité et une capacité et une réactivité que les autres n'on pas. Le processus de prise de décision qui régit les autres régimes est beaucoup plus long et laborieux, dans la mesure où toute décision doit être prise au Parlement. En parlant de lourdeur de fonctionnement et en tant qu'expert membre de la commission en charge du dossier, où réside le point de blocage de la réforme des retraites ? Aujourd'hui, les décisions peinent à être prises, dans la mesure où les gens sont très hésitants. Ils rechignent un peu à prendre des mesures claires, de peur de décider des choses qui ne conviendraient pas dans l'absolu. Pour les managers des compagnies d'assurances, les objectifs sont tracés. Maintenant, il faut faire un choix et les partenaires sociaux ne sont pas encore prêts à le faire, par crainte de devoir annoncer des mauvaises nouvelles. Parmi les dernières nouvelles qui ont été annoncées figure celle du ministre des Finances, qui a finalement décidé d'écarter le scénario du relèvement de l'âge de départ en retraite. Qu'en pensez-vous ? Nous sommes dans une situation où il s'agit d'équilibrer le régime des retraites sur le plan financier. Soit on augmente les contributions, soit on diminue les prestations, soit on touche à l'âge de départ en retraite. Pour ce qui est de l'âge de départ en retraite, nous ne pouvons pas éviter d'y toucher. Concrètement, si l'espérance de vie augmente de cinq ans, nous allons avoir un déséquilibre, dans le sens où avant nous étions dans un rapport un tiers / deux tiers maintenant nous serons dans un rapport supérieur à un tiers. Si nous déplaçons le curseur de l'âge de départ en retraite, nous retrouverons l'équilibre du système. Dans l'absolu, ce dernier scénario est quelque chose d'absolument inévitable. Pourquoi donc écarter ce scénario ? C'est bien évidement une décision politique. Relever l'âge de la retraite est une mesure liée à l'emploi et à la création de nouveaux postes. Si l'Exécutif décide de relever l'âge de départ en retraite, cela impliquerait intrinsèquement que les personnes âgées devront travailler un peu plus, ce qui limiterait les opportunités de création d'emplois. C'est une décision politique courageuse qui doit être prise dans ce dossier et elle ne peut qu'être difficile. Les rendements seront révisés. À titre indicatif, nous avions une indemnité annuelle de 2,5% dans le secteur public, aujourd'hui il est impossible de continuer sur ce trend, c'est insoutenable ou alors il faudra multiplier les contributions par trois. Quelle est la formule la plus adéquate pour cette réforme ? Il y a plusieurs formules qui me paraissent tout à fait jouables. Parmi elles, il y a celle avancée par le cabinet d'études et qui a été validée par le BIT. Elle consiste à mettre en place un régime de base unifié, auquel vont adhérer tous les travailleurs marocains salariés et non salariés (privé, professions libérales et professions libres). Pour assurer la base de solidarité la plus large, ce régime de base fonctionnerait sur un plafond équivalent à deux SMIG et au dessus de ce régime de base, il y aurait deux régimes complémentaires. L'un régirait le secteur privé et l'autre serait dédié au service public, avec un plafond de 15 SMIG. Enfin, au dessus de ces deux étages obligatoires, il y aurait un étage facultatif pour les personnes désirant se constituer une retraite supplémentaire plus avantageuse. Tout ce ci devrait être examiné méticuleusement pour aboutir à une proposition claire, que la commission d'expert prévoit de déposer à la commission nationale avant fin juin. Si les Caisses de retraite sont au dessus du voyant rouge, à quel niveau de couleurs situeriez-vous la CIMR ? Au vert éclatant. Les indicateurs les plus récents fixent le niveau des contributions à 5 milliards de DH, avec un taux de progression de 10% pour l'année 2011. Au niveau des prestations, nous sommes à 3,4 milliards de DH et au niveau des revenus financiers nous sommes à 1,7 milliard de DH. Quant aux actifs cotisants, nous avons fait ne progression de 5%, ce qui porte le nombre de cotisants CIMR à plus de 283.000. Pour ce qui est de la pérennité du régime, nous faisons tous les ans un bilan actuariel qui comme vous le savez consiste à faire une projection de notre réserve de prévoyance sur soixante ans. Cela nous amène à la question relative à la stratégie d'investissement. Comment se décline-t-elle ? Tout d'abord, nous avons un mode de gestion financière qui reste très structuré. Dans la pratique, notre politique d'investissement s'inscrit dans un univers défini dans le règlement financier. Nous ne pouvons investir que dans cinq classes, à savoir les sociétés cotées, les obligations, l'infrastructure, dans l'immobilier et dans les produits structurés. En dehors de ces cinq catégories d'investissement, nous n'avons pas le droit d'investir. Dans un deuxième temps, il y a la location stratégique d'actifs. En fonction de notre horizon de classement long ou court, nous allons privilégier des classes présentant une espérance de rendement élevée, mais sans prise de risques. Dans le détail de nos activités d'investissement aujourd'hui, l'allocation actions est de l'ordre de 50%, les obligations de 20%, l'immobilier de 10%, l'infrastructure est de 10% et les produits structurés et divers de 10%. Lesieur est la dernière actualité de placement de la CIMR. Qu'est ce qui a motivé ce choix ? Les marges bénéficiaires varient selon le marché. Ce qui nous a intéressé dans Lesieur, c'est son activité dans des produits de première nécessité et de grande consommation. Cela est justement appelé à croître, avec le niveau de vie. Les activités de la société s'inscrivent par ailleurs dans une pérennité et dans un domaine où nous sommes engagés avec un opérateur qui détient 60% du marché et qui plus est, est un opérateur industriel de premier plan. Il y a donc là tous les ingrédients pour nous intéresser et c'était une opportunité à ne pas rater.