Les efforts et les rencontres se multiplient pour rapprocher l'université et l'entreprise. C'est dans ce cadre, que s'inscrivent les séries de conférences «l'Entrepreneuriale» de l'université Hassan II de Casablanca, corganisée avec la CGEM et la fondation Création d'entreprise du Groupe Banque Populaire, qui en est à sa deuxième édition cette semaine. Plusieurs chantiers sont ouverts dont celui de la recherche et développement au service de l'entreprise. L'évènement destiné à encourager la culture d'entreprise au sein de la pépinière universitaire revêt un caractère particulier puisqu'il intervient dans un contexte marqué par un regain d'intérêt du secteur économique à l'endroit des établissements universitaires. Une initiative qui s'inscrit dans le cadre de la Vision 2020 du patronat visant à faire de l'université un partenaire stratégique, dans la réponse aux grands défis qui constituent des freins structurels à un appui conséquent à la croissance nationale de notre PIB. En plus d'un besoin en moyens humains compétents pour combler le déficit engendré par le lancement des grands chantiers nationaux, l'université marocaine est appelée à jouer un rôle prépondérant dans l'accompagnement des entreprises en recherche et développement ainsi qu'en matière d'innovation qui constitue un atout non négligeable de l'accélération de la croissance. En dépit des efforts engagés depuis plusieurs années, les efforts en matière de R&D et innovation restent en effet insuffisants, surtout dans le secteur privé selon les conclusions de la CGEM. Or, l'université reste le partenaire par excellence en la matière pour insuffler une nouvelle dynamique orientée vers le secteur privé, afin de promouvoir la compétitivité des entreprises nationales et ainsi contribuer sensiblement au développement national. Toujours peu exploité «Des enseignants-chercheurs, on en a, mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche !». Ce sont les mots, savamment choisis par un homme politique africain, pour caractériser la place qu'occupe la contribution de la recherche scientifique et de l'innovation des universités du continent à l'effort de développement. Une remarque qui s'applique bien au système marocain, bien qu'il soit classé parmi les trois premiers du continent en raison notamment de la qualité des compétences universitaires et de la production scientifique, de plans sectoriels clairs, d'infrastructures technologiques adéquates, d'un système de protection de propriété intellectuelle et industrielle assez efficace et d'une certaine expérience qui reste certes à capitaliser. Cependant, cela ne reste qu'à l'échelle du continent, car comparé aux standards internationaux en la matière, le décalage est énorme. Certes, le système marocain de la recherche et de l'innovation est relativement jeune, mais au vu des multiples ambitions qu'affiche le royaume, notamment en matière de compétitivité économique, beaucoup reste à faire dans ce domaine. Selon une étude réalisée, en 2003 puis 2006, sur le diagnostic du système de recherche national, les principales faiblesses de la recherche au Maroc sont liées à une faiblesse du financement qui, en 2010, tournera autour de 1% du PIB national provenant pour l'essentiel du budget de l'Etat à raison de 5.000 DH en moyenne par an et par chercheur et absorbé en majorité en dépenses de fonctionnement et salaire. À cela s'ajoutent une diminution les dernières années de la production scientifique, la dispersion du capital scientifique, le manque de coordination et de synergies entre les équipes de recherche et des chercheurs peu motivés dans les activités de recherche parce que recrutés plus pour le besoin de l'enseignement que celui de la recherche. Des lacunes dont la correction est à portée de main pour peu que la volonté politique et l'intérêt par les entreprises se manifestent avec un peu plus d'engagement. Ce qui a été lancé depuis plusieurs années mais qui reste encore à confirmer en s'appuyant sur les atouts dont dispose le royaume, surtout avec l'installation de plusieurs entreprises de calibre international et la mondialisation de la R&D. Selon l'indice global d'innovation 2009 (GII), le Maroc se classe à la 94e place sur 132 pays, alors qu'il se positionnait à la 82e place en 2009. Un recul en porte-à-faux avec les différents mécanismes mis en place ces dernières années pour promouvoir le secteur (RMIE, RDT, IMIST). D'où la nécessité d'ajuster le tir, en portant un intérêt particulier au rapprochement entre l'université et l'entreprise afin qu'elles puissent exploiter efficacement les capacités de R&D des universités marocaines pour mieux se positionner à l'international. Le secteur ne contribue jusqu'à présent qu'à hauteur de 0,8% au PIB contre 2,26% pour les pays de l'OCDE. Des leviers pouvant servir d'accélérateur existent même si selon Guido Declercq, le vice-chancelier de l'université de Louvain, «l'innovation ne se laisse pas commander». Tout en reconnaissant que la promotion de la R&D et de l'innovation a plus besoin de temps, de liberté et d'accompagnement, l'universitaire qui participait récemment à la rencontre internationale, tenue à Casablanca, des présidents d'universités sur la recherche et l'innovation en Afrique, a reconnu que le Maroc a de grands atouts pour «être un pionnier de la recherche et de l'innovation en Afrique». A.Y.B Lesechos.ma : Comment se présente, aujourd'hui, la recherche universitaire au Maroc ? Jaâfar Khalid Naciri : La recherche au Maroc a débuté depuis une vingtaine d'années et a pris un tournant décisif depuis 1998, avec la mise en place de toute la structure au niveau national puis par la suite, l'augmentation du financement afin d'atteindre une contribution de la recherche au PIB à hauteur de 0,7%. Aujourd'hui nous sommes dans une deuxième phase qui met l'accent sur la promotion de l'innovation avec le concours de plusieurs acteurs. À l'heure actuelle, nous avons pris une avance sur certains pays africains tout comme nous accumulons un retard devant les pays occidentaux. Que peut-on retenir de la contribution des universités marocaines dans le développement de la recherche et de l'innovation ? Les universités marocaines constituent l'un des principaux pourvoyeurs des laboratoires de recherche des entreprises en ressources humaines. La quote-part des universités marocaines dans ce domaine est importante puisqu'elles disposent également des étudiants de 3e cycle qui contribuent à améliorer le rendement national. L'une des difficultés auxquelles les universités marocaines font face c'est d'avoir une recherche orientée vers les besoins nationaux. C'est là une complexité à gérer car, comme vous le savez, un chercheur de haut niveau ne se «fabrique» pas en une année mais sur une trentaine, voire plus. Ce sont des stratégies qui ne peuvent se déployer que petit à petit. Le grief porté aux universités est leur incapacité à relever le défi pour ce qui est de l'accompagnement des grands chantiers qu'il s'agisse des compétences nécessaires ou en matière de recherche et d'innovation... Les universités accompagnent les grands chantiers. Il est vrai qu'en termes de recherche, il y a un décalage qui tient à d'autres raisons. Au Maroc nous ne disposons, par exemple, que de 10.000 chercheurs actuellement et à tous les niveaux. C'est la taille d'un seul laboratoire et pour un seul domaine comparativement aux pays européens ou à l'échelle internationale, ce qui pose un réel problème de compétitivité. Le Maroc a donc intérêt à repenser et à définir les orientations de son système de recherche de façon très subtile et optimale pour instaurer un système des plus performants. L'arrivée récente des universités privées ne risque-t-elle pas de concurrencer cette contribution des universités publiques ? Nous ne pensons pas le système d'enseignement au Maroc en termes de chapelle. Notre préoccupation est que notre pays dispose de ressources humaines et d'un système qui puisse former les jeunes pour devenir des cadres compétents. Que ce soit fait dans le cadre des universités publiques ou privées, l'essentiel, est que les jeunes soient formés à un haut niveau de qualité. Il n'y a pas de concurrence, mais plutôt une complémentarité. Peut-être le système privé pourra-t-il disposer de plus de souplesse ou de moyens financiers, mais les universités publiques aussi ont leurs atouts comme en termes de ressources humaines compétentes et elles ont d'ailleurs déjà fait leurs preuves.