Chercheur à l'Institut des sciences agricoles du Conseil supérieur de la recherche scientifique d'Espagne (CSIC) Partageant avec le Maroc des défis climatiques et agricoles similaires, notamment en matière de gestion de l'eau, l'Espagne constitue un pôle d'innovation pertinent en agriculture de précision. La proximité géographique et les collaborations scientifiques existantes rendent l'expérience espagnole particulièrement éclairante. Pour approfondir cette perspective, nous avons interrogé Jose M. Peña, chercheur scientifique à l'Institut des Sciences agricoles du Conseil supérieur de la recherche scientifique d'Espagne (CSIC). Quelle est la place de l'agriculture biologique en Espagne et comment la technologie des drones (UAV) peut-elle bénéficier à la fois aux modèles conventionnel et biologique ? L'Espagne présente un bon équilibre entre l'agriculture conventionnelle et biologique, avec des parts respectives de 80-85 % contre 15-20%. Bien que l'agriculture conventionnelle domine, l'agriculture biologique connaît une croissance rapide grâce aux politiques de l'UE, à la demande des consommateurs et aux objectifs de durabilité. Dans ce contexte, l'intégration de la télédétection et, plus spécifiquement, de la technologie des drones (UAV) contribuera à accroître l'efficacité et la productivité des deux modèles en mettant en œuvre des décisions de gestion des cultures optimisées et basées sur les données, telles que celles fondées sur les stratégies d'agriculture de précision. Comment l'Espagne se positionne-t-elle en Europe par rapport à la technologie des drones agricoles ? Pouvez-vous donner des exemples concrets d'applications, notamment au sein de votre groupe de recherche Tech4Agro ? Globalement, l'Espagne est à la pointe de la «technologie des drones agricoles» en Europe, combinant recherche, politiques gouvernementales et innovation du secteur privé pour améliorer sa production agricole diversifiée. Par exemple, l'imagerie thermique par drone pourrait servir à estimer le stress hydrique des cultures, aidant les agriculteurs à ajuster leurs systèmes d'irrigation. Ceci est particulièrement important en Espagne, où la conservation de l'eau est une priorité en raison des sécheresses périodiques. De plus, les drones équipés de caméras hyper ou multispectrales pourraient aider à surveiller la santé des cultures, à détecter les maladies et à évaluer les niveaux de stress des plantes. Au sein de notre groupe de recherche Tech4Agro, nous avons développé un système automatique combinant drones et IA pour détecter et cartographier les espèces de mauvaises herbes dans diverses cultures arables. Nous sommes déjà en train de transférer cette technologie au secteur, obtenant des réductions d'applications d'herbicides d'environ 60-80% grâce à des traitements localisés et sélectifs basés sur nos cartes de mauvaises herbes. Le coût de la technologie des drones diminue, tandis que le nombre d'entreprises de services agricoles s'appuyant sur cette technologie augmente rapidement, ce qui conduit à son intégration dans la gestion agricole à différentes échelles et la rend plus accessible aux petits et moyens agriculteurs. Face au stress hydrique important sévissant en Espagne, quelles sont les initiatives technologiques majeures mises en œuvre pour préserver les ressources en eau et optimiser leur utilisation dans l'agriculture ? L'Espagne est l'un des pays d'Europe les plus touchés par le stress hydrique. Elle a développé plusieurs initiatives technologiques, intégrant l'IA, l'IdO (Internet des objets), le dessalement et les systèmes d'économie circulaire de l'eau, pour lutter contre la sécheresse, conserver les ressources en eau et optimiser leur utilisation, avec un accent majeur sur le secteur agricole. Grâce à un mélange de partenariats public-privé, de financements de l'UE et d'actions locales, ces initiatives comprennent, par exemple, la numérisation des systèmes d'irrigation et la promotion de l'irrigation de précision en appliquant des modèles de planification de l'irrigation basés sur les conditions climatiques et pédologiques pour optimiser l'application de l'eau et réduire le gaspillage. De même, l'observation de la Terre est appliquée à la gestion de l'eau, en utilisant la télédétection pour surveiller les niveaux de sécheresse et optimiser la distribution de l'eau, aidant les décideurs à allouer les ressources hydriques plus efficacement. Dans certaines régions de la côte est et sud-est et des îles Canaries, on applique le dessalement alimenté par des énergies renouvelables pour fournir des sources d'eau douce durables pour l'agriculture et l'eau potable. De plus, d'autres initiatives, à Valence et Murcie, appliquent des systèmes de recyclage et d'économie circulaire de l'eau pour convertir les eaux usées en eau d'irrigation grâce à une filtration avancée, réduisant la dépendance aux sources d'eau douce tout en garantissant une eau de qualité pour les cultures. Le Maroc et l'Espagne partageant des défis hydriques similaires, comment les approches espagnoles de gestion de l'eau pourraient-elles être spécifiquement adaptées au contexte marocain ? Tenant compte de la similitude des défis entre les deux pays, les approches pourraient être adaptées au contexte marocain où de nombreuses exploitations agricoles dépendent d'une irrigation inefficace. Un partenariat d'innovation hydrique Maroc-Espagne accélérerait cette adaptation en transférant, par exemple, des technologies d'irrigation intelligentes basées sur les données, en utilisant des capteurs d'humidité du sol IdO, la surveillance par satellite ou par drone, et ce, afin d'optimiser l'utilisation de l'eau et de réduire le gaspillage d'eau agricole dans les régions où la pénurie d'eau est critique. Pouvez-vous nous éclairer sur la nature et la portée de la collaboration scientifique entre les deux royaumes dans le domaine de l'agriculture de précision ? L'Espagne et le Maroc partagent des défis climatiques similaires et une solide histoire de collaboration scientifique, qui pourrait être renforcée par une participation conjointe à des projets financés par l'UE dans le cadre des programmes Horizon Europe, PRIMA et Erasmus+, axés sur l'agriculture numérique dans le contexte de l'agriculture de précision. En fait, le groupe de recherche Tech4Agro et le groupe de la Faculté Pluridisciplinaire de Nador partagent deux projets PRIMA consécutifs dédiés à la mise en œuvre de la détection des cultures basée sur l'IdO et de la télédétection pour la prédiction de la sécheresse, l'irrigation intelligente et l'estimation des rendements, appliquées à plusieurs cultures communes (tomate, melon, blé, orge, vigne) à l'échelle locale et régionale. Mehdi Idrissi / Les Inspirations ECO