Ecrasées par la dette, les classes moyennes urbaines sont gagnées par le sentiment de déclassement. Les conclusions de l'enquête de la Banque centrale sont sans ambages : Près de quatre ménages sur dix affichent un taux d'endettement compris entre 40% et 50%. Et pour 24% des ménages, la charge de dette absorbe 60% de leur revenu. Contrairement aux apparences, c'est le crédit à la consommation qui est le moteur de cette course au crédit. Résultat, le taux de défaut à 13,9%, est 5 points au-dessus du crédit habitat, et presque 4 points au-dessus de la moyenne générale. Pour des ménages qui scolarisent leurs enfants dans le privé, le réseau des missions étrangères, ou dans les établissements dits «homologués», la préparation de la rentrée scolaire est souvent vécue dans l'anxiété. Ainsi, pour financer les frais de scolarité de leurs enfants, beaucoup de parents n'ont parfois d'autre choix que de souscrire à un crédit. Si le réseau bancaire et les sociétés de crédit-conso connaissent une effervescence particulière durant la deuxième quinzaine du mois d'août et début septembre, cela est dû aussi à l'afflux de cette clientèle. Lorsqu'ils sont encore en capacité d'emprunter, des milliers de personnes sont à la limite du «reste à vivre», soit 30% du revenu mensuel (salaire) hors charges fixes, selon la grille d'analyse du risque des banques. Ces ménages sont étranglés par les charges fixes (logement, eau, électricité, téléphone, connexion Internet, etc). Ils se recrutent surtout dans les classes moyennes de la catégorie «B-», celles que le Haut-commissariat au plan (HCP) assimile aux catégories vulnérables. Ce sont des ménages qui ne sont ni assez pauvres, ni assez riches non plus. En cas d'accident de la vie ou d'un gros évènement exceptionnel, ils peuvent basculer dans la pauvreté. Cycle infernal Pour des milliers de ménages, le surendettement est déjà une réalité comme le relève l'enquête réalisée par Bank Al-Maghrib portant sur 439.780 dossiers de crédit décaissés en 2024. Cette investigation fait un focus sur les personnes dont la charge de dette dépasse 40% du revenu (mensuel). Il ressort que le taux d'endettement moyen s'élève à 34%, mais la moyenne est un indicateur trompeur, car il ne renseigne pas sur la situation des ménages pris dans le cycle infernal du crédit, et qui enchaînent souvent des traites impayées. Par ailleurs, c'est dans cette population que se trouvent les personnes qui sollicitent constamment le dépassement du découvert à leur banque. La proportion des particuliers dont la charge de dette est supérieure à 40% de leur revenu représente 32% en 2024. Les individus dont le taux d'endettement est situé entre 40% et 50% représentent 38%, soit près de quatre sur dix. Ceux ayant une charge de dette par rapport à leur revenu, comprise entre 50% et 60% et celle située entre 60% et 70% constituent respectivement 24% et 15%. Les 23% des particuliers qui restent affichent un taux d'endettement au-delà de 70%, révèle Bank Al-Maghrib. L'évolution du «taux de chute» ne laisse aucun doute sur les «dégâts» du surendettement. À 44,5 milliards de dirhams, les créances en souffrance marquent une inquiétante hausse de 6,6%. Par type de crédit, ce sont les prêts à la consommation qui concentrent le plus d'impayés avec un taux de défaut de 13,9%, soit 5,6 points au-dessus de la sinistralité observée sur les crédits immobiliers (8,3%). Les plus bas revenus sont aussi les plus surendettés Par tranche de revenu, les emprunteurs dont le revenu net dépasse 10.000 dirhams, une cible prioritaire des sociétés de financement, trustent 60% des prêts pour un taux d'endettement de 31%. Ceux dont le revenu varie entre 6.000 et 10.000 dirhams par mois, soit près de 2/3 des employés déclarés à la CNSS, cumulent 21% du montant total avec un taux d'endettement moyen de 35%. Les bénéficiaires avec un revenu entre 4.000 et 6.000 dirhams représentent une part de 13%, tandis que ceux qui gagnent moins de 4.000 DH ont bénéficié de 6% des prêts accordés aux ménages l'an dernier. Les taux d'endettement moyens de ces deux dernières catégories se situent respectivement à 37% et 35%. Par catégorie socioprofessionnelle, la part des salariés du privé décroche de 9 points en un an, à 33% en 2024 tandis que celle des fonctionnaires, clientèle historique des opérateurs du crédit-conso, augmente de 4 points, à 28%. Les parts des retraités et des professions libérales sont restées inchangées en une année à 19% et 9%. Les fonctionnaires demeurent toujours les plus endettés avec un taux de 40,7% tandis que les autres catégories affichent des taux d'endettement avoisinant les 31%. Selon les calculs de Bank Al-Maghrib, l'encours de la dette des ménages s'est élevé à 427 milliards de dirhams en 2024, en hausse de 3,8%. Dans ce montant, 62% sont des crédits à l'habitat et 38% des crédits à la consommation. Mais ne vous y trompez pas : c'est surtout le crédit-conso qui est le propulseur du crédit aux ménages alors que les prêts à l'habitat peinent à se redresser, constatent les autorités de régulation. Ce qui confirme au passage la pression qui pèse sur les classes moyennes et le stress budgétaire qu'elles vivent au quotidien. Moins rassurant, le taux de défaut progresse de 0,3 point, à 10,5%. La dette des ménages gravite autour de 27%, «un niveau globalement plus élevé que celui des pays en développement et de certaines économies émergentes», s'inquiètent les autorités monétaires. Le profil du crédit-conso en 2024 Le crédit à la consommation a atteint 162 milliards de dirhams, enregistrant une progression de 7,9% après 6,1% observée en 2023. Cette évolution provient de l'augmentation de 11,5% des financements accordés par les sociétés de crédit à la consommation, et d'une progression de 4,6% des prêts consentis par les banques aux particuliers. La durée initiale des crédits à la consommation a globalement rétréci ces dernières années. La part des financements d'une maturité supérieure à 7 ans s'est située à 43% en 2024 après 44% en 2023 et 45% en 2022. Parallèlement, la proportion des crédits d'une durée comprise entre 5 et 7 ans a augmenté progressivement au cours des cinq dernières années, atteignant 38% en 2024. En outre, les prêts à rembourser sur une période de 3 à 5 ans représentent 15% du total. Leur proportion a connu une baisse régulière depuis 2019, où elle s'élevait à 20%. Abashi Shamamba / Les Inspirations ECO