Le Maroc se trouve face à un double impératif, réduire sa vulnérabilité structurelle et transformer la transition verte en levier de compétitivité. Selon BMCE Capital global research, le Royaume a déjà engagé une trajectoire ambitieuse, mêlant stratégies nationales, financements durables et initiatives d'entreprises. Mais la réussite de ce tournant dépendra de la capacité à passer des engagements aux résultats tangibles. L'atténuation des risques climatiques n'apparaît plus comme un choix mais comme une nécessité stratégique pour les acteurs tant publics que privés. C'est le constat majeur formulé par BMCE Capital global research (BKGR) dans sa dernière note RSE Insights, consacrée aux enjeux et opportunités liés aux risques climatiques. Alors que les critères Environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) s'imposent progressivement dans les politiques publiques et dans la gestion des entreprises, le Maroc est directement interpellé par les mutations en cours. Les risques climatiques, une typologie systémique BKGR rappelle que le changement climatique ne se limite pas à une problématique environnementale, mais constitue un facteur de risque systémique pouvant affecter la stabilité financière et socio-économique mondiale. L'étude distingue trois catégories. Les risques physiques, aigus ou chroniques, englobent les inondations, les sécheresses prolongées, la montée des eaux ou encore l'érosion côtière. Les risques de transition sont liés aux politiques publiques (taxes carbone, normes plus strictes), aux coûts d'investissement dans de nouvelles technologies (hydrogène vert, capture du carbone), aux litiges climatiques ou encore à l'évolution de la demande de produits à forte empreinte carbone. Enfin, les risques systémiques et socio-économiques couvrent des phénomènes plus larges comme les perturbations des chaînes d'approvisionnement, la dévalorisation rapide d'actifs fossiles, les migrations climatiques ou la propagation de maladies vectorielles favorisées par le réchauffement. Le Maroc, pionnier régional mais fortement exposé Si le Maroc affiche une empreinte carbone relativement faible, il n'échappe pas aux conséquences du dérèglement climatique. BKGR rappelle que la température moyenne a augmenté de 1,4°C depuis 1960, un réchauffement supérieur à la moyenne mondiale, accentuant la fréquence et l'intensité des sécheresses. La raréfaction des ressources hydriques représente un enjeu majeur, avec une réduction attendue de 20% de la disponibilité en eau d'ici 2050. Le pays est aussi confronté à des risques d'inondations qui ont déjà causé d'importantes pertes, notamment à Casablanca et Tanger en 2021. Face à ces défis, le Royaume a progressivement érigé la durabilité au rang de priorité stratégique. La Stratégie nationale de développement durable (SNDD), adoptée en 2017 et déclinée à l'horizon 2030, fixe le cap vers une économie verte et inclusive. Le Maroc s'est également engagé dans l'actualisation de sa Contribution déterminée au niveau national (NDC) et dans une Stratégie bas carbone à l'horizon 2050, réaffirmant son ambition de neutralité carbone. Transition énergétique et adaptation sectorielle La politique énergétique illustre cette ambition. Le Maroc vise à atteindre 52% de capacité électrique installée issue de sources renouvelables d'ici 2030, avec 15 gigawatts supplémentaires attendus entre 2025 et 2030. L'initiative Morocco Offer, lancée en 2024, promeut l'hydrogène et l'ammoniac verts, destinés à accélérer la décarbonation industrielle. Sur le plan de l'adaptation, la gestion de l'eau occupe une place centrale avec un programme massif de dessalement et d'interconnexions hydrauliques. D'ici 2030, la capacité des usines de dessalement, alimentées par des énergies renouvelables, atteindra 1,7 milliard m3 par an. Le complexe solaire NOOR Ouarzazate, conçu comme la plus grande centrale solaire à concentration au monde, illustre la matérialité de cette stratégie. Avec environ 510 MW de capacité, il constitue un symbole de la volonté du pays de transformer ses contraintes géographiques en capital stratégique. À plus long terme, les projections tablent sur une enveloppe d'investissement de 2,6 milliards de dollars par an d'ici 2030 dans le solaire et l'éolien, un effort rare parmi les économies émergentes. Les entreprises en première ligne Les sociétés cotées intègrent progressivement les critères ESG dans leurs stratégies. BKGR cite notamment Managem, qui a conduit des audits énergétiques entre 2021 et 2023, fixé des objectifs de réduction de 15% des émissions de GES d'ici 2027 et prévoit 75% d'énergies renouvelables dans son mix au Maroc. TAQA Morocco vise 1.000 MW de capacités renouvelables supplémentaires d'ici 2030, pour réduire son empreinte carbone de 25%. Le secteur bancaire joue aussi un rôle moteur. Bank of Africa a émis une obligation verte dès 2016 (500 millions de dirhams) et est devenue, en janvier 2025, la première banque marocaine à soumettre son rapport «Stratégie Climat» à Bank Al-Maghrib, anticipant les nouvelles normes IFRS S2. Attijariwafa Bank a réduit de 33% ses émissions liées à la consommation d'électricité entre 2018 et 2024, tandis que BCP a levé 135 millions d'euros en 2017 via une obligation verte. Enfin, LafargeHolcim Maroc affiche 90% d'électricité verte sur ses sites de production en 2024, grâce notamment à la cimenterie de Tétouan équipée de son propre parc éolien de 32 MW. Pour BKGR, l'atténuation des risques climatiques s'impose comme un impératif stratégique. L'intégration des principes RSE et climatiques ouvre au Maroc de nouvelles perspectives, à savoir l'amélioration de l'attractivité auprès des investisseurs étrangers, l'accès facilité aux financements verts, la stimulation de l'emploi dans les énergies renouvelables et le renforcement de la compétitivité globale. La réussite de cette trajectoire exige toutefois une approche intégrée, combinant innovation technologique, mobilisation des financements et implication active du secteur privé. Un paysage international en recomposition Au niveau mondial, BKGR souligne l'essor fulgurant des investissements durables. En 2023, la valeur des produits d'investissement durable (obligations et fonds) a progressé de 20% pour dépasser les 7.000 milliards de dollars. L'Europe, et particulièrement les pays nordiques, confirme sa position d'avant-garde, grâce à une gouvernance exigeante et à une économie largement tournée vers les énergies renouvelables. Les Pays-Bas renforcent leur rôle de hub de la finance durable, tandis que les Etats-Unis accélèrent les investissements dans les technologies propres, stimulés par l'Inflation reduction act. À l'inverse, plusieurs marchés émergents, tels que l'Inde et le Brésil, peinent à compenser leur forte exposition aux risques physiques en raison de niveaux de gouvernance ESG encore hétérogènes. Cette polarisation croissante oppose, selon BKGR, les économies capables de transformer le risque climatique en levier de compétitivité durable, et celles qui demeurent vulnérables à la revalorisation négative de leurs actifs faute d'anticipation suffisante. Sanae Raqui / Les Inspirations ECO