La mise en application de la Convention paneuro-méditerranéenne entre le Maroc et l'Union européenne réaffirme le rôle central des règles d'origine dans le commerce préférentiel. Une aubaine saluée par les exportateurs, qui y voient un puissant levier à même d'accroître la visibilité du «Made in Morocco» sur les marchés européen. À force de vouloir se protéger des aléas de la mondialisation, l'Europe redécouvre les vertus de la proximité. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la fragmentation des chaînes de valeur et la hausse des coûts logistiques qui en découlent, accentuées tout récemment par les nouvelles barrières tarifaires, ont incité les pays du pourtour méditerranéen à replacer la région au cœur de l'échiquier industriel mondial. Entrainé de fait dans cette reconfiguration, le Royaume, à la fois atelier, partenaire et relais logistique de la zone euro, a plus que jamais intérêt à consolider sa place dans ce bloc régional. C'est désormais chose faite depuis le 2 octobre 2025, date de mise en œuvre de la Convention Pan-Euromed (PEM). Après plusieurs mois de négociations, le Maroc et l'Union européenne (UE) ont convenu d'appliquer de manière bilatérale la Convention régionale sur les règles d'origine Pan-Euromed. Cette décision marque une étape majeure vers une plus grande fluidité des échanges entre les deux rives de la Méditerranée. «L'entrée en vigueur de ces nouvelles règles facilitera l'accès des produits marocains au marché européen, grâce à des règles plus souples», souligne Abdelouahed Rahal, directeur général du Commerce au ministère de l'Industrie. En pratique, l'accord permettra aux produits marocains de bénéficier de conditions d'accès élargies au marché européen grâce à des règles d'origine simplifiées. Le dispositif au cœur du commerce international : les règles d'origine Derrière ce dispositif se cache un principe fondamental du commerce international, celui de l'origine. Les règles d'origine déterminent, comme leur nom l'indique, la provenance économique d'un produit, condition indispensable pour accéder aux préférences tarifaires offertes dans le cadre d'accords de libre-échange. Elles précisent, par exemple, quelle part de la valeur ajoutée doit être réalisée localement pour qu'un bien soit considéré comme «marocain» aux yeux de l'UE. En intégrant pleinement les dispositions révisées de la Convention Pan-Euromed, le Maroc rejoint un ensemble de 25 pays partenaires — de l'Egypte à la Serbie, en passant par la Norvège ou la Turquie —, formant une vaste zone de complémentarité commerciale entre l'Europe, le Maghreb et le Proche-Orient. «La convention permet une ouverture, notamment sur les pays des Balkans qui ont une culture textile assez développée», analyse Redouane Lachgar, consultant en stratégie industrielle. Une aubaine à l'export Ces ajustements prennent tout leur sens à la lumière des nouvelles dispositions introduites par la version révisée de la Convention Pan-Euro-Med, adoptée à l'unanimité en décembre 2023. Longtemps attendue par les milieux industriels, cette réforme permet une certaine flexibilité dans l'application des règles d'origine. Elle porte la tolérance pour les intrants non originaires de 10% à 15% de la valeur du produit, autorise le remboursement des droits de douane pour la majorité des catégories et assouplit la règle de la double transformation jusque-là imposée au secteur textile. Pour les secteurs orienté export — automobile, textile, agroalimentaire ou câblage —, cette évolution ouvre la voie à une intégration plus profonde dans les chaînes de valeur euro-méditerranéennes. «Les industriels locaux disposeront d'une opportunité pour s'approvisionner en intrants compétitifs tout en continuant à bénéficier des avantages douaniers de l'accord d'association UE-Maroc», précise Lachgar. Dans l'automobile, l'intérêt de la réforme tient avant tout à la simplification des procédures et à la reconnaissance élargie des intrants régionaux. Les usines d'assemblage installées dans l'hinterland de Tanger ou Kénitra auront la possibilité de diversifier leurs fournisseurs tout en maintenant leur éligibilité aux préférences tarifaires. En pratique, à en croire un expert en supply chain, «cela réduit les coûts administratifs et renforce la compétitivité à l'export, tout en favorisant une montée en cadence des plateformes dans la chaîne d'approvisionnement européenne». Le secteur textile pourrait, lui aussi, tirer parti de ces assouplissements. En facilitant la traçabilité des matières premières et la reconnaissance des transformations effectuées dans plusieurs pays partenaires, la Convention révisée ouvre de nouvelles perspectives aux industriels locaux, notamment dans les segments à forte valeur ajoutée. Le secteur gagnerait ainsi en agilité et en réactivité face à la concurrence asiatique. «La réforme Pan-Euro-Med offre aux entreprises méditerranéennes une flexibilité qui n'existait pas auparavant leur permettant de se positionner comme partenaires à part entière de l'industrie européenne», fait valoir Hannes Schloemann, spécialiste européen des règles d'origine. Ce changement de paradigme, plus que technique, reflète la montée en puissance d'une logique régionale où la compétitivité se joue désormais à l'échelle du bassin méditerranéen plutôt qu'à celle des frontières nationales. Les mécanismes de cumul En effet, au cœur de la Convention Pan-Euro-Med se trouve la notion de cumul, un dispositif qui permet d'intégrer des composants issus de plusieurs pays partenaires dans un même produit sans perdre l'avantage tarifaire attaché à son origine. Formulé autrement, il s'agit de reconnaître qu'un bien peut être «originaire» d'une zone économique entière plutôt que d'un seul pays. Il existe trois formes principales de cumul. Le plus simple, le cumul bilatéral s'applique entre deux pays liés par un accord de libre-échange, par exemple le Maroc et l'UE. Les intrants européens utilisés dans une usine marocaine sont alors considérés comme locaux, et inversement. Vient ensuite le cumul diagonal, qui étend cette logique à plusieurs partenaires d'une même zone. Ainsi, un tissu produit en Italie, transformé au Maroc et exporté vers la France peut conserver un statut préférentiel, à condition que tous les pays impliqués appliquent les mêmes règles d'origine. C'est ce mécanisme d'ailleurs qui sous-tend l'idée d'une chaîne de valeur euro-méditerranéenne intégrée, où les étapes de production peuvent se répartir entre plusieurs territoires. La Convention révisée introduit également le cumul intégral, «plus ambitieux», permettant de comptabiliser les transformations partielles effectuées dans différents pays de la zone comme un tout cohérent. «Ce dernier exige une harmonisation réglementaire assez poussée et ouvre la voie à une coopération industrielle plus fluide entre l'Europe, le Maghreb et le Moyen-Orient», souligne le consultant en stratégie industrielle. L'assouplissement de ces mécanismes, qui accompagne la réforme de la Convention Pan-Euro-Med, vise à rapprocher les économies régionales autour d'un objectif commun, et à faire de la Méditerranée un espace de production partagé, à même de rivaliser avec les grands pôles industriels mondiaux. Au-delà des facilités commerciales, la mise en œuvre bilatérale de la Convention Pan-Euromed traduit la volonté du Royaume de s'ancrer dans une logique d'intégration régionale pragmatique. Elle s'inscrit dans la continuité des réformes engagées pour attirer l'investissement industriel et renforcer la souveraineté productive. Certes, le dispositif se veut exigeant sur le plan réglementaire, mais il constitue un puissant levier pour accroître la visibilité du «Made in Morocco» sur les marchés européens. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO