Autour d'une table ronde organisée par le Cercle des ECO, plusieurs acteurs majeurs du secteur de l'énergie ont débattu de la place du solaire dans le mix énergétique marocain et de son évolution face à l'émergence de nouvelles filières vertes. Nader Al-Zouabi, directeur général Maroc et Mauritanie de Schneider Electric, Noureddine Aouda, directeur de l'innovation et des partenariats chez Nexans Maroc, et Houda Bouchara, responsable développement au Cluster ENR Maroc ont livré une analyse lucide sur les défis et les perspectives du solaire à l'heure de la diversification énergétique. Alors que le Maroc accélère sa transition vers un modèle énergétique bas carbone, le solaire s'impose comme une pierre angulaire de cette transformation. Mais à l'heure où les projecteurs se braquent sur l'hydrogène vert ou l'éolien, comment le solaire s'adapte-t-il à cette nouvelle ère de diversification? C'est autour de cette question que se sont réunis, lors de la table ronde du Cercle des Eco, trois figures clés du secteur : Nader Al-Zouabi, directeur général Maroc et Mauritanie chez Schneider Electric, Noureddine Aouda, directeur de l'innovation et des partenariats à Nexans Maroc et Houda Bouchara, responsable développement au sein du Cluster ENR Maroc. Pour Noureddine Aouda, le solaire demeure un pilier incontournable du mix énergétique national. «Le Maroc vise plus de 52% d'énergies renouvelables à l'horizon 2030, et cet objectif est inatteignable sans un renforcement de la part du solaire», rappelle-t-il. Selon lui, la force du Maroc réside dans la complémentarité entre le solaire et l'éolien. «Le solaire est dominant dans les zones intérieures, tandis que l'éolien prospère sur les côtes. Ensemble, ils offrent une couverture saisonnière et géographique optimale», explique-t-il. Une lecture partagée par Houda Bouchara, qui insiste sur l'ancrage territorial du développement énergétique. «Chaque région a ses spécificités. Certaines sont plus adaptées au solaire, d'autres à un mix solaire-éolien. Cette diversité fait la richesse du Maroc et renforce notre souveraineté énergétique», indique la responsable. Du CSP au photovoltaïque : une décennie de mutation L'expérience marocaine dans le solaire est jalonnée par une transition majeure, à savoir le passage du Concentrated Solar Power (CSP) au photovoltaïque. Le complexe Noor à Ouarzazate, symbole de cette ambition, illustre cette évolution technologique. «Nous avons commencé avec la technologie CSP, qui offrait un avantage en matière de stockage grâce à son inertie thermique. Mais la chute drastique du coût du photovoltaïque l'a rendu plus compétitif, plus simple à installer et à maintenir», explique Aouda. Le développement du stockage par batteries constitue aujourd'hui la nouvelle frontière du solaire. «Les technologies LFP permettent désormais de compenser l'intermittence du solaire et d'assurer une meilleure stabilité du réseau», précise-t-il. Houda Bouchara abonde dans le même sens. «En dix ans, nous sommes passés d'une dizaine d'entreprises spécialisées dans le solaire à un écosystème de plus de 300 acteurs au sein du cluster ENR. Cela montre à quel point la filière a gagné en maturité. Mais nous ne sommes pas encore au bout du chemin : de nouveaux chantiers s'ouvrent, notamment autour du stockage et de la fabrication locale de panneaux photovoltaïques». Pour Nader Al-Zouabi, le Maroc possède des atouts naturels uniques qui doivent être pleinement exploités. «Avec près de 300 jours d'ensoleillement par an, soit environ 3.000 heures de rayonnement solaire, le Maroc est l'un des territoires les plus attractifs au monde pour la production d'énergie solaire», affirme-t-il. Mais il met aussi en garde : «la question n'est pas seulement de produire, mais d'intégrer efficacement cette production au réseau. Cela exige une infrastructure intelligente et un renforcement des partenariats public-privé». Le dirigeant de Schneider Electric souligne également l'importance de la flexibilité du réseau national. «L'intégration des fermes solaires dans la grille électrique demande une gestion fine de la variabilité de la production. Le défi n'est pas technologique, il est systémique», ajoute-t-il. Hydrogène vert : prolongement ou rival du solaire ? La montée en puissance de l'hydrogène vert, nouvelle frontière de la transition énergétique, interroge sur la place du solaire. Pour Aouda, les deux filières sont indissociables : «L'hydrogène vert est la continuité naturelle du solaire et de l'éolien. On ne peut produire de l'hydrogène vert qu'à partir d'énergies renouvelables». Il rappelle que ce tandem permet de valoriser les excédents de production solaire. L'énergie produite en surplus peut être convertie en hydrogène, méthanol ou ammoniac, des formes stockables et transportables. Mais il souligne également un dilemme stratégique. Faut-il consacrer nos moyens financiers à l'hydrogène, destiné à l'export, au détriment du solaire, plus directement lié à notre autonomie énergétique ? Pour Houda Bouchara, la réponse est claire. «Le solaire reste la base. On ne peut pas avoir d'hydrogène vert sans solaire ni éolien. Le solaire continuera son chemin, notamment à travers les contrats PPA qui permettent aux industriels de se décarboner». Nader Al-Zouabi, lui, replace l'hydrogène dans une perspective globale. «L'hydrogène n'est pas une source d'énergie, mais un vecteur. Il est essentiel pour décarboner certains secteurs comme la sidérurgie, le transport lourd ou l'aéronautique. On ne fera pas voler un avion avec des panneaux solaires, mais on peut produire du carburant vert à base d'hydrogène», illustre-t-il. Au terme de cette table ronde, un consensus se dégage : le Maroc ne doit pas opposer ses filières renouvelables, mais les articuler intelligemment. Le solaire, arrivé à maturité, conserve un rôle central dans le mix énergétique, tout en s'ouvrant à de nouvelles synergies technologiques. Comme le résume Nader Al-Zouabi, la question n'est pas de savoir quelle énergie est la meilleure, mais quel est le bon équilibre pour construire un modèle durable et souverain. Une vision partagée par l'ensemble des intervenants, qui voient dans le solaire non pas une énergie du passé, mais la fondation d'un futur énergétique marocain décarboné, diversifié et exportable. Noureddine Aouda Nexans Maroc «L'hydrogène vert est la continuité naturelle du solaire et de l'éolien. On ne peut produire de l'hydrogène vert qu'à partir d'énergies renouvelables.» Houda Bouchara Cluster ENR Maroc «En dix ans, nous sommes passés d'une dizaine d'entreprises spécialisées dans le solaire à un écosystème de plus de 300 acteurs au sein du cluster ENR. Cela montre à quel point la filière a gagné en maturité.» Nader Al-Zouabi Schneider Electric «Avec près de 300 jours d'ensoleillement par an, soit environ 3.000 heures de rayonnement solaire, le Maroc est l'un des territoires les plus attractifs au monde pour la production d'énergie solaire.» Biomasse : l'énergie oubliée du mix marocain Si le solaire et l'éolien concentrent l'essentiel des efforts du Royaume, la biomasse reste la grande absente du débat énergétique. Pourtant, son potentiel est réel, notamment dans les régions agricoles et forestières. Selon Noureddine Aouda, «la biomasse n'a pas encore trouvé sa place dans la stratégie nationale, même si elle présente un fort intérêt pour la valorisation des déchets organiques issus de l'agriculture et de l'industrie agroalimentaire». Des projets pilotes existent déjà, soutenus notamment par le Cluster ENR Maroc, mais peinent encore à atteindre une échelle industrielle. Houda Bouchara le confirme. «Il y a des initiatives locales prometteuses, notamment autour du biogaz et de la cogénération, mais elles restent dispersées et manquent d'un cadre incitatif clair», dit-il. Le potentiel est pourtant considérable. Les résidus agricoles, le bois de récupération et les déchets organiques pourraient contribuer à la production d'électricité et de chaleur, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. La biomasse peut jouer un rôle clé dans les zones rurales, où elle permettrait d'assurer une autonomie énergétique locale et de créer des emplois verts, ajoute Aouda. Mais pour que la biomasse sorte de sa marginalité, un accompagnement politique et réglementaire s'impose. Bouchara souligne l'urgence de «structurer la filière, de créer des incitations fiscales et d'encourager les partenariats public-privé». Une vision qui s'inscrit dans l'esprit d'un mix énergétique national plus diversifié, où le solaire ne serait plus seul à porter la transition.