Expert-comptable D.P.L.E et commissaire aux comptes Adoptée en juillet 2021, la loi-cadre n° 69-19 relative à la réforme fiscale devait servir de boussole à l'ensemble des politiques fiscales sur une période de cinq ans. Elle fixait des objectifs ambitieux : renforcer l'équité, améliorer la compétitivité et instaurer un climat de confiance entre le contribuable et l'administration. À un an de l'échéance fixée à 2026, le constat s'impose : si des progrès tangibles ont été accomplis, plusieurs volets essentiels demeurent encore en suspens, laissant la réforme inachevée sur des aspects structurants. Des avancées tangibles mais partielles Depuis 2022, plusieurs lois de finances ont mis en œuvre les premières orientations de la loi-cadre, notamment en matière d'impôt sur les sociétés. Le premier axe concerne la convergence vers un taux unifié d'imposition, qui vise à simplifier la grille des taux et à réduire les distorsions entre activités. Le deuxième axe est la baisse progressive de la cotisation minimale, considérée comme un impôt pénalisant pour les entreprises à faible marge. Enfin, la contribution accrue des établissements publics et sociétés opérant dans des secteurs régulés ou en situation de monopole traduit une volonté d'équité entre acteurs économiques. Ces mesures constituent des avancées réelles, mais partielles. L'essentiel du chantier fiscal reste à réaliser sur d'autres volets fondamentaux de la loi-cadre. Des chantiers essentiels encore en attente La loi-cadre 69-19 visait une refonte globale du système fiscal autour de quatre principes : cohérence, équité, neutralité et simplification. Or, plusieurs axes restent inachevés. L'article 3 de la loi-cadre prévoyait l'unification progressive du traitement fiscal de l'ensemble des revenus des personnes physiques. En pratique, le système demeure fragmenté : chaque catégorie de revenu (salaires, foncier, capitaux mobiliers, profits immobiliers) reste imposée selon un régime distinct. Cette segmentation va à l'encontre du principe d'équité horizontale et rend l'impôt sur le revenu partiellement déconnecté de la faculté contributive globale. Quelques ajustements du barème et de taux proportionnels ont été opérés, mais la réforme structurelle du revenu global n'a pas encore vu le jour. L'un des axes majeurs de la loi-cadre 69-19 concerne la simplification du système fiscal à travers une meilleure cohérence entre les règles fiscales et comptables. L'objectif recherché est de réduire les divergences d'interprétation, afin de concilier les intérêts du Trésor avec la sécurité juridique du contribuable. En pratique, les écarts demeurent importants entre le Code général des impôts (CGI) et le Code général de la normalisation comptable (CGNC). Ces divergences concernent notamment la durée d'amortissement des immobilisations, les méthodes d'évaluation des actifs et des stocks, la constatation du chiffre d'affaires ou encore le traitement des provisions. Par exemple, la base de calcul des amortissements pour les biens acquis en devises diffère selon qu'on applique le CGI ou le CGNC, créant des difficultés d'application et des risques de redressement. Pour y remédier, il devient indispensable de tendre vers une harmonisation des deux référentiels : d'une part, en éliminant les divergences non justifiées entre les textes ; d'autre part, en identifiant clairement dans le CGI les éléments non admis fiscalement, au lieu de maintenir une logique de réintégration généralisée. Une telle réforme permettrait de renforcer la lisibilité du dispositif fiscal, de sécuriser les déclarations des entreprises et de réduire les incertitudes liées aux contrôles. La loi-cadre prône également l'harmonisation entre la fiscalité de l'Etat et celle des collectivités territoriales, avec le regroupement des taxes économiques et immobilières. Ce chantier reste largement en suspens. La multiplicité des taxes locales, souvent de faible rendement et appliquées selon des logiques hétérogènes, nuit à la lisibilité du système et décourage l'investissement. Une rationalisation s'impose pour aboutir à une fiscalité locale plus cohérente et équitable. La neutralité de la TVA, principe central de la loi-cadre, reste encore incomplète. À ce jour, le droit au remboursement des crédits de TVA n'est pas généralisé à l'ensemble des entreprises réalisant des opérations taxables. De nombreuses sociétés, bien qu'assujetties et régulièrement déclarantes, continuent de cumuler des crédits sans pouvoir en demander la restitution effective. Cette situation crée une contrainte financière significative, notamment pour les entreprises en phase d'investissement ou à forte intensité d'achat local. La généralisation du droit au remboursement à tous les assujettis constituerait un pas décisif vers la concrétisation de la neutralité de la taxe et contribuerait à améliorer la trésorerie et la compétitivité du tissu productif. La Loi de finances 2026, pourtant dernière étape du calendrier fixé, ne contient pas de mesures concrétisant les objectifs restant de la loi-cadre 69-19. Les grands chantiers demeurent inachevés. Cette situation pose une question juridique essentielle : quelle sera la portée effective de la loi- cadre une fois le délai écoulé sans réalisation complète de ses objectifs ? Sans clarification, cette réforme risque de perdre sa valeur normative et de rester un cadre d'intention plutôt qu'un véritable levier de transformation.