Le rapport Moneywise du Malabo Montpellier Panel dévoile une photographie lucide des forces et faiblesses du financement agricole au Maroc. Entre mécanisation dopée par la puissance publique, transition climatique urgente et montée en puissance d'instruments «dérisquants», le Royaume cherche à consolider un modèle plus résilient et inclusif. Le financement est devenu la clé de voûte de la transformation agricole au Maroc, bien au-delà des seules questions de productivité. C'est l'idée forte qui traverse le rapport Moneywise consacré aux innovations financières dans les systèmes agrifood africains. L'étude analyse également le Malawi et le Rwanda, mais le cas marocain se distingue par l'ampleur de ses dispositifs, la diversité de ses instruments et l'intensité des réformes en cours. Dès les premières pages dédiées au Royaume, le Panel parle d'un secteur en transition vers un modèle plus résilient, affirmant que le Maroc s'appuie sur un «écosystème financier dynamique qui soutient une transformation inclusive, durable et fondée sur l'innovation», lit-on dans le rapport. Le financement ne constitue plus un simple levier agronomique, il devient un outil de souveraineté, de résilience climatique et de développement territorial. Un écosystème financier réinventé pour moderniser l'agriculture Le poids stratégique de l'agrifood marocain justifie l'ampleur des réformes engagées. Avec 16% du PIB, 23% des exportations et 67% de l'emploi rural, le secteur reste l'un des principaux moteurs sociaux et économiques du pays. Moneywise rappelle que cette transformation s'appuie désormais sur «une combinaison d'instruments publics, de solutions numériques et de mécanismes de dérisquage destinés à libérer le potentiel des exploitations familiales comme des PME agroalimentaires» souligne le panel. Au cœur de cette dynamique, se trouve le Fonds de développement agricole. Grâce à lui, près de deux milliards de dirhams ont été déployés pour renforcer la mécanisation, un effort qui vise à doubler l'indice de puissance agricole par hectare afin d'aligner le Maroc sur les standards internationaux. Le dispositif Tasbiq FDA, permettant jusqu'à 90% de préfinancement, est présenté par l'étude comme «un mécanisme de liquidité qui réduit fortement les délais et renforce la viabilité des investissements des agriculteurs», un élément clé lorsqu'ils doivent engager des achats avant le versement effectif des subventions. Dans le même mouvement, la modernisation administrative est devenue une priorité. Les procédures ont été digitalisées, les dossiers simplifiés et l'accès aux aides fluidifié. Le rapport salue «une amélioration notable de la transparence et de la gouvernance financière» qui renforce l'attractivité du secteur pour les investisseurs privés, nationaux comme internationaux. Tamwilcom occupe également une place centrale dans cet écosystème. En partageant entre 50% et 80% du risque de crédit, l'agence nationale de garantie joue un rôle de stabilisateur. L'analyse rappelle que cette structure a été décisive dans la diffusion des prêts à destination des petites exploitations, des jeunes entrepreneurs et des coopératives, représentant «un pilier de la stratégie marocaine pour corriger les défaillances du marché du crédit rural» selon le rapport. Un secteur confronté à la sécheresse et au défi climatique Depuis 2023, la sécheresse place le Maroc dans une tension structurelle sans précédent. Les barrages stagnent autour de 25% de leur capacité habituelle et les pâturages ont reculé au point de provoquer une chute du cheptel estimée à 38%. Face à cette urgence écologique, l'étude note que «la transition vers des modèles agricoles moins dépendants de l'eau n'est plus une option mais une nécessité». Le rapport insiste sur la manière dont cette contrainte climatique bouleverse l'architecture du financement agricole. Les subventions sont réorientées vers des cultures plus résilientes comme le figuier, le carobier ou le cactus. Les experts observent que cette mutation marque «un tournant stratégique vers une agriculture plus compatible avec les réalités hydriques du pays». Les assurances agricoles deviennent également un pivot majeur. L'assurance multirisque climatique, élargie et renforcée, vise à réduire la vulnérabilité des agriculteurs face aux aléas. Le rapport élargit cette perspective en soulignant que «la gestion du risque climatique devient un préalable indispensable pour attirer les capitaux privés dans l'agriculture marocaine», une affirmation qui témoigne de l'évolution structurelle des priorités. Le numérique prend lui aussi une dimension nouvelle. Le FinTech Hub lancé par Bank Al-Maghrib, combiné à l'essor du scoring alternatif, ouvre la voie à une analyse plus fine du risque et à une bancarisation élargie. Selon le Panel, ces dispositifs permettent «d'intégrer des populations longtemps exclues du financement, notamment les femmes rurales et les jeunes», une inclusion indispensable pour accélérer la transition. La force d'un modèle qui combine investissement public et capital privé Le Plan Maroc Vert avait déjà démontré la puissance du levier public, mobilisant 21 milliards de dirhams en subventions et prêts pour attirer 7 milliards de dollars d'investissements privés. Le rapport rappelle que cette stratégie a permis de «doubler le PIB agricole» et de moderniser des filières entières, des agrumes au lait en passant par l'olivier. La stratégie Génération Green prolonge cette dynamique en y ajoutant une dimension sociale, avec un objectif de 350.000 emplois ruraux. L'Etat réaffirme son rôle d'investisseur moteur, mais cherche aussi à mieux orienter les capitaux privés vers les secteurs porteurs, la valorisation des terroirs, l'irrigation efficiente et les projets compatibles avec les objectifs climatiques. Les partenariats public-privé, les lignes de financement international, les mécanismes de cofinancement et les outils de «dérisquage» structurent désormais ce modèle hybride. Ils traduisent la volonté du Royaume de faire converger performance économique, résilience écologique et inclusion sociale. Le rapport rappelle enfin que l'avenir du secteur dépendra autant de la capacité du Maroc à mobiliser les financements nécessaires que de sa faculté à en orienter intelligemment l'usage. La transformation agricole ne se jouera plus seulement sur les champs mais au cœur des institutions financières, dans les choix d'investissement et dans la manière dont le pays saura concilier innovation, inclusion et adaptation climatique. Le Royaume possède déjà une longueur d'avance, encore faudra-t-il continuer à la cultiver. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO