Le secteur textile cède son rang de premier employeur national au profit de l'automobile. En tablant sur la «coopétition» avec des partenaires aussi inattendus que la Turquie, la Chine, ou l'Egypte, la filière entend restructurer son amont pour mieux répondre aux exigences du marché européen. C'est dans l'effervescence du salon Maroc in Mode, grand-messe des professionnels du textile, que le ministère de l'Industrie a dévoilé l'édition 2025 de son enquête annuelle. Un document qui dresse un bilan en demi-teinte pour le secteur textile-habillement. S'il reste un pilier historique de l'emploi industriel – 246.000 postes, soit 23,7% des effectifs –, il cède pour la première fois sa place de premier employeur à l'automobile, un séisme symbolique qui en dit long sur les défis à venir. Avec un chiffre d'affaires de 67,8 milliards de dirhams (MMDH) en 2024, en léger recul (–0,5%), et une valeur ajoutée qui stagne à 19,3 MMDH, la filière fait face à un impératif, celui de se réinventer. «Le nouveau visage de l'offre marocaine ne se limite pas à ce que nous voyons aujourd'hui, c'est surtout ce que le secteur doit devenir dans les années à venir», souligne Redouane Lachgar, consultant en stratégie industrielle. La dépendance à la sous-traitance et la fragilité de l'amont de la chaîne – production de fils, tissus et tricots – restent des points critiques. Consolider l'amont Face à ce constat, un mot d'ordre s'impose, la «coopétition», un concept qui a été au cœur des débats du Maroc in Mode. Il résume la nouvelle stratégie portée par l'AMITH (Association marocaine des industries du textile et de l'habillement), qui entend désormais composer avec des rivaux historiques comme la Turquie, l'Egypte ou la Chine pour consolider l'amont de sa chaîne de valeur. L'enjeu est de taille : il s'agit de proposer une offre intégrée – de la matière première au produit fini – pour répondre à la demande européenne, laquelle absorbe l'essentiel des exportations textiles marocaines. Le nearshoring (relocalisation géographique) devient l'argument maître du Royaume, qui mise sur sa proximité logistique avec l'Europe pour séduire les donneurs d'ordres en quête de résilience et de réactivité. «Avec un tarif appliqué de 10% sur plusieurs catégories de produits entrant aux USA, le Maroc bénéficie d'un écart de compétitivité concret face à des rivaux taxés à 25%-50 %», rappelle l'expert. L'attractivité en jeu Pourtant, cette ambition se heurte à une réalité sociale brûlante. La perte du titre de premier employeur au profit de l'automobile agit comme un signal d'alarme. «Le nerf de la guerre, c'est la main-d'œuvre», reconnaît Redouane Laghgar. Pour rester attractif, le secteur doit impérativement améliorer les conditions de travail : transports, crèches, cantines, formations et primes deviennent indispensables dans un contexte inflationniste. Cette main-d'œuvre doit être reconsidérée socialement», insiste un acteur de la filière. Malgré ces défis, les perspectives sont loin d'être sombres. Le dynamisme de l'offre marocaine est renforcé par l'émergence de marques locales qui commencent à séduire les marchés internationaux, portées par une «identité affirmée, une esthétique contemporaine et une maîtrise industrielle solide», note l'enquête. Parallèlement, des investisseurs de rang mondial confirment leur confiance dans le tissu productif local. Le groupe hongkongais Hop Lun, leader de la lingerie, et le chinois Sunrise annoncent ainsi des investissements massifs, dont un projet de 2,3 milliards de dirhams ! Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO