Lors de la séance mensuelle des questions de politique générale à la Chambre des conseillers, qui s'est tenue mardi, Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, a présenté la vision de l'Exécutif en matière de justice spatiale. Il a exposé les principaux axes d'intervention, les données chiffrées relatives aux efforts de développement territorial, ainsi que les réformes institutionnelles en cours, en insistant sur la nécessité d'une approche intégrée et adaptée aux spécificités locales. Face aux Conseillers de la deuxième chambre, Akhannouch a déroulé hier la vision d'un Maroc plus équitable, plaçant la justice spatiale au cœur de l'action publique. L'intervention du chef de gouvernement a pris la forme d'un plaidoyer ponctué de chiffres et d'une feuille de route territoriale détaillée. Dès les premiers mots, le ton était donné : ce débat n'est pas une formalité constitutionnelle, mais un rendez-vous avec les fondamentaux du pacte social. Ce rendez-vous parlementaire, inscrit dans le cadre de l'article 100 de la Constitution, est l'une des rares occasions où le chef du gouvernement est tenu d'exposer sa vision globale devant la Chambre des conseillers. Le choix du thème, «la justice spatiale», n'est pas neutre. Il traduit une forme de consensus transversal sur l'urgence d'un rééquilibrage territorial durable. «La justice spatiale n'est pas un slogan vide, ni une priorité passagère. C'est un choix stratégique, un enjeu vital qui doit structurer toutes nos politiques publiques», a déclaré Akhannouch, en citant le discours royal d'ouverture de la session législative. Une «Marocanité territoriale» à rebâtir Le discours s'est construit sous la forme d'une démonstration en plusieurs temps. D'abord, un rappel historique et institutionnel, dans la mesure où Akhannouch a rappelé que la question des inégalités régionales n'est pas nouvelle, mais s'est trouvée magnifiée par l'exigence royale de cohésion nationale. Et de souligner que les inégalités ne relèvent pas uniquement de l'économie, mais aussi de la préservation de la dignité ainsi que de l'accès aux services, à la mobilité, à la participation… «Chaque territoire porte en lui une mémoire, une promesse et aussi une part de blessures accumulées. Les zones rurales, les oasis, les montagnes, les zones marginales… ce ne sont pas des périphéries, ce sont des morceaux de nation», a-t-il clamé. Le chef de gouvernement a ainsi redéfini la mission de l'action publique non comme une simple gestion budgétaire ou technique, mais comme un acte de réparation sociale et de reconnaissance collective. La justice spatiale, dans sa vision, est un projet de nation à part entière, un moyen de restaurer l'équilibre entre centre et marge, entre mémoire et avenir. Virage méthodologique Revenant sur les limites des politiques passées, Akhannouch a reconnu que l'empilement des logiques sectorielles a nui à l'efficacité de l'action publique. L'enjeu est désormais de penser le développement «par et pour» les territoires. Il plaide ainsi pour une nouvelle génération d'interventions, «fondée sur le ciblage précis des besoins, la convergence effective des programmes et l'utilisation intelligente des données territoriales». Il s'agit d'une mutation de méthode, autant que de vision. Ce changement ne concerne pas seulement les instruments techniques, mais l'architecture institutionnelle elle-même. Le chef du gouvernement a insisté sur la nécessité de sortir du modèle de «l'action publique désynchronisée», au profit d'un pilotage territorial fondé sur l'intelligence collective, les diagnostics locaux et la responsabilité partagée. Et pour sortir de l'abstraction, il a fait appel aux chiffres. Depuis 2020, a-t-il précisé, l'investissement public a augmenté de 86,8%, atteignant 380 milliards de dirhams (prévus pour 2026). Mais au-delà des agrégats, le chef de gouvernement argumente en rappelant 26.500 km de routes construites ou rénovées, 1.135 douars électrifiés, plus de 32.000 raccordements à l'eau potable, 820 ambulances déployées, 4.142 établissements scolaires construits ou rénovés et 3,2 millions d'enfants soutenus socialement. Dans la même lignée, le nombre de communes disposant de tous les services de base est passé de 502 en 2016 à 743 en 2023, soit une progression de 48%. Les centres ruraux émergents au cœur de la nouvelle stratégie Un pan central du discours d'Akhannouch a été consacré à l'annonce d'un programme national de développement intégré pour 77 centres ruraux émergents. Dès 2026, 36 d'entre eux bénéficieront d'un financement de 2,8 MMDH. Ces centres, a-t-il expliqué, doivent devenir «des nœuds d'intégration territoriale, où convergent les investissements publics et privés, les services sociaux de base, les infrastructures de mobilité, et les opportunités d'emploi». C'est une vision de la ruralité en tant que levier stratégique de développement. Mais au-delà de la programmation budgétaire, le chef du gouvernement a annoncé un processus de concertation territoriale, déjà amorcé par les walis et gouverneurs. Ces consultations régionales doivent permettre d'aligner les plans d'action sur les réalités de terrain, et de co-construire des projets avec les élus, les acteurs locaux et les citoyens. Les centres ruraux émergents ne doivent plus être vus comme des «petites villes», mais comme des plateformes d'intégration spatiale et sociale. Une dynamique fondée sur la justice et la responsabilité Pour autant, le volet des défis a également été abordé. Le chef du gouvernement a rappelé que la pauvreté multidimensionnelle, bien qu'en recul (de 11,9% en 2014 à 6,8% en 2024), reste une réalité tenace. Il a également reconnu que les retards dans la convergence des politiques, le cloisonnement des ministères et la faible capacité d'absorption locale des investissements freinent encore l'impact réel des politiques publiques. Mais pour Akhannouch, la solution est claire. Il faut décentraliser le pouvoir de décision, renforcer les capacités des collectivités locales et bâtir une gouvernance partagée entre Etat, élus et société civile. «Le développement n'est pas un don venu d'en haut. Il est une œuvre collective, territoriale, construite au plus près des besoins», insiste-t-il, tout en revenant également sur les nouveaux dispositifs institutionnels en cours de déploiement. Il a notamment rappelé la mise en place d'une Commission nationale dédiée au développement rural et montagnard, appuyée par 12 commissions régionales chargées d'assurer la coordination, le suivi et l'évaluation des programmes territoriaux. Cette architecture vise à assurer une meilleure cohérence des politiques publiques tout en renforçant le rôle des élus locaux en tant qu'acteurs de transformation.