Le Bulletin officiel n°7459 du 24 novembre 2025 vient poser les jalons d'une transformation en profondeur de la gouvernance sanitaire au Maroc. En précisant les modalités de fonctionnement et de représentation au sein des Groupements sanitaires territoriaux, ces textes ouvrent une nouvelle ère pour la régionalisation de la santé, fondée sur la proximité, la concertation et la responsabilité collective. Dans un contexte où les inégalités d'accès aux soins, la fragmentation de l'offre sanitaire et le déficit de gouvernance locale demeurent des défis structurels, une refondation du système de santé par la base est engagée. Le socle de cette transformation repose désormais sur les Groupements sanitaires territoriaux (GST), entités clés créées par la loi n°08.22 pour incarner la nouvelle gouvernance régionale en matière de santé. Le Bulletin officiel n°7459, publié le 24 novembre 2025, concrétise cette réforme à travers un ensemble de décisions réglementaires, en tête desquelles figure l'arrêté ministériel n°2106.25 du 1er septembre 2025, émanant du ministre de la Santé et de la Protection sociale. Ce texte détaille les conditions de candidature, les modalités d'élection et les mécanismes de fonctionnement démocratique au sein des organes de gouvernance des GST. Une gouvernance démocratisée : les professionnels de santé à la barre Désormais, les professionnels de santé ne seront plus de simples exécutants dans le système, mais des acteurs de gouvernance à part entière. L'arrêté ministériel stipule que tout professionnel exerçant depuis au moins deux ans dans une structure sanitaire rattachée au groupement peut se porter candidat pour représenter ses pairs au conseil d'administration du GST. Il peut s'agir de médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, infirmiers ou techniciens de santé. Les élections se déroulent selon un scrutin uninominal à un tour, à bulletin secret, garantissant un principe de neutralité et de transparence. Le directeur général du groupement fixe la date du scrutin, et les listes électorales sont publiées en amont dans tous les établissements concernés. Cette élection ne se veut pas symbolique. Elle vise à permettre à ces représentants d'intervenir activement dans la définition des plans d'action régionaux, la programmation budgétaire ou encore le contrôle de la qualité des services. Une supervision rigoureuse Pour encadrer le processus, chaque groupement se dote d'une commission électorale, chargée de garantir l'intégrité et la régularité du scrutin. Celle-ci est composée du directeur général ou de son représentant, du professionnel de santé le plus ancien et du plus jeune, ceux-ci n'étant pas candidats à l'élection. Elle valide les listes électorales, veille au bon déroulement du vote, statue sur les réclamations éventuelles, et proclame les résultats. Une structure légère, mais essentielle pour bâtir la confiance. L'innovation institutionnelle ne s'arrête pas là. Un arrêté conjoint du ministre de la Santé et du ministre de l'Enseignement supérieur, daté du 27 octobre 2025 (n°2529.25), introduit une nouvelle forme de représentation dans les GST, celle des enseignants-chercheurs. Les professeurs de médecine, pharmacie et médecine dentaire exerçant depuis au moins cinq ans dans une faculté publique de santé pourront désormais siéger dans les conseils d'administration des groupements sanitaires. Ce choix stratégique permet d'ancrer la réforme dans une logique de synergie entre soins, enseignement et recherche. Il ouvre aussi la voie à une meilleure intégration des Centres hospitaliers universitaires (CHU) dans la dynamique territoriale. L'expertise académique, longtemps cantonnée aux cercles scientifiques, entre ainsi dans les sphères de décision locale. Les GST : catalyseurs de la régionalisation sanitaire Ces innovations réglementaires s'inscrivent dans le cadre du décret n°2.23.1054 du 17 mars 2025, qui établit l'ossature juridique des GST. Ces groupements auront pour mission d'assurer la planification, la coordination et la gestion des services de santé à l'échelle régionale. Ils disposeront de compétences étendues : élaboration des projets de santé territoriaux, mobilisation des ressources humaines, gestion des établissements, suivi des indicateurs de performance et mise en œuvre des politiques nationales dans leur déclinaison régionale. Le directeur général du GST, nommé par l'autorité de tutelle, bénéficiera d'une autonomie administrative et financière accrue, encadrée par un conseil d'administration pluriel et désormais partiellement élu. Ce modèle hybride de gouvernance; associant représentants des professionnels, experts universitaires et cadres ministériels, cherche à rompre avec la verticalité classique du système pour introduire plus de souplesse et de réactivité. Un changement de paradigme : de la centralisation à l'intelligence territoriale Au fond, ces mesures traduisent un basculement de paradigme dans la gestion de la santé publique. Il ne s'agit plus uniquement d'investir dans des infrastructures ou de recruter du personnel, mais de construire une intelligence territoriale de la santé, fondée sur la connaissance des besoins locaux, l'implication des acteurs de terrain et la valorisation des ressources existantes. Les GST, une fois pleinement opérationnels, devraient permettre de fluidifier les parcours de soins, de mieux répartir les moyens, de favoriser la complémentarité entre structures de soins de base, hôpitaux provinciaux et CHU, et d'accroître la résilience du système face aux crises sanitaires. Maintenant, la réussite de cette réforme dépendra, bien entendu, de sa mise en œuvre effective sur le terrain à travers la mobilisation des équipes, la mise à disposition de ressources et l'accompagnement au changement.