Le Maroc coche toutes les cases du bon élève de l'ingénierie financière. Il attire des milliards de dollars d'investissements privés dans ses infrastructures, rivalise avec des pays à revenu élevé en matière de partenariats public-privé, modernise ses réseaux et multiplie les projets structurants. Une performance saluée à juste titre. Mais sous un prisme différent, la lecture critique du rapport de l'OCDE, «Dynamiques du développement en Afrique 2025», pousse à conclure à un affaiblissement stratégique de la puissance publique. Avec des dépenses d'infrastructure plafonnant à 1,2% du PIB, représentant l'un des taux les plus bas du continent, notre secteur public délègue aujourd'hui une grande partie de ses ambitions productives au privé. Ce choix, s'il permet d'accélérer la mise en œuvre de projets, laisse aussi de côté des pans entiers du territoire et des besoins sociaux peu rentables pour les logiques d'investisseurs. Or, une transformation productive durable ne peut pas reposer uniquement sur des montages financiers, aussi sophistiqués soient-ils. Elle suppose un pilotage public fort, une stratégie régionale coordonnée et, surtout, un capital humain formé pour accompagner la montée en gamme industrielle et énergétique. À ce titre, le constat de l'OCDE est sans appel. La pénurie de compétences techniques freine déjà l'exploitation optimale des infrastructures existantes. Sans réforme en profondeur de la formation professionnelle, nous bâtissons des infrastructures titanesques... sans ressources qualifiées pour les faire fonctionner. D'où l'impératif de redéfinir le rôle stratégique de l'Etat, non pas pour se substituer au privé, mais pour en fixer les règles, garantir la cohésion territoriale, investir là où personne ne veut aller, et anticiper les ruptures à venir. L'ingénierie financière a fait ses preuves. Il est désormais temps de lui adjoindre une vision publique ambitieuse, qui place l'humain, la souveraineté technologique et la résilience au cœur du modèle. Meriem Allam / Les Inspirations ECO