La CAN 2025 commence bien hors du terrain. Alors que la CAN 2025 s'ouvre dans quelques jours, le Maroc déploie une stratégie inédite où sport, gouvernance territoriale et diplomatie économique convergent pour créer un héritage structurel pérenne. À quelques jours du coup d'envoi de la CAN 2025, un certain nombre d'initiatives dépassant la logique du simple chantier événementiel méritent d'être analysées. Des initiatives qui dévoilent une méthodologie systémique, articulée autour de trois piliers : la gouvernance territoriale, l'attractivité intégrée et l'excellence opérationnelle, et qui révèlent une stratégie où le sport transcende le terrain pour impulser des réformes structurelles, renforcer la diplomatie économique et reconfigurer des secteurs clés. Le premier fait marquant est la création de la Société de développement locale (SDL) CASAREGIONSPORT, qui constitue une avancée stratégique majeure dans la gestion patrimoniale des équipements publics. Cette société, comme l'affirme Abdellatif Maâzouz, président du Conseil régional de Casablanca-Settat, est conçue pour «consolider la gouvernance» en assurant une gestion professionnalisée et intégrée des infrastructures dédiées à la CAN 2025 et à la Coupe du monde 2030. Cette démarche dépasse la logique du simple chantier événementiel pour inscrire les investissements dans une durée et une rentabilité à long terme. Les implications sont structurelles : elle rationalise les dépenses publiques en évitant la déperdition post-événement et crée un modèle économique innovant. L'augmentation du capital et les conventions de partenariat pour l'électrification, l'assainissement ou le transport intercommunal démontrent que l'infrastructure sportive devient le pivot d'un développement territorial plus large, attirant et sécurisant les investissements privés dans des projets connexes. Pour les acteurs économiques, cela signifie un cadre plus clair, prévisible et professionnel pour intervenir, que ce soit dans la maintenance, les services annexes ou les partenariats de commercialisation, transformant un coût opérationnel en un actif générateur de valeur. De l'autre côté, l'Office national marocain du tourisme (ONMT) orchestre une campagne intégrant connectivité aérienne renforcée, digitalisation du parcours visiteur via l'application YALLA et un narratif puissant, «Maroc, Terre de Football», diffusé par des créateurs de contenu africains. La stratégie déployée révèle une fusion calculée entre attractivité touristique et diplomatie économique. Une approche qui transforme l'événement sportif en une expérience touristique totale et en une marque continentale durable. Parallèlement, l'initiative «Léopard Business Village» portée par la RDC, qualifiée par l'ambassadeur Henri Mangaya de «pont stratégique», utilise la CAN comme une plateforme de diplomatie économique concrète. Cet espace interactif à Rabat dépasse la promotion touristique pour mettre en lumière les opportunités d'investissement dans des secteurs comme l'agriculture ou les infrastructures. L'implication pour les acteurs économiques est double : d'abord, les entreprises marocaines des chaînes de valeur touristique et culturelle doivent s'aligner sur des standards d'expérience client élevés et se connecter à des circuits de distribution numériques et internationaux. Ensuite, et c'est peut-être le plus novateur, la CAN devient une gigantesque foire commerciale et un espace de networking B2B panafricain, ouvrant des marchés et facilitant des partenariats Sud-Sud dans des secteurs non sportifs, positionnant durablement le Maroc comme un hub économique et un interlocuteur privilégié sur le continent. Labellisation et logistique, garants de compétitivité La préparation de la CAN 2025 agit comme un catalyseur d'exigence opérationnelle, structurant des filières et élevant les standards à travers deux leviers principaux. D'abord, le label «Equipementier Sportif 2025» de la Fédération marocaine des professionnels du sport (FMPS) répond à un enjeu critique de maturation du secteur. Comme le souligne Walid Saber El Idrissi, il s'agit de «valoriser les professionnels compétents face à une concurrence agressive qui nuit à la qualité». Ce dispositif, basé sur des critères techniques et de durabilité évalués par un jury indépendant, crée un référentiel crédible qui pousse les entreprises nationales vers la spécialisation, l'innovation et la formalisation. L'initiative transforme ainsi un marché souvent fragmenté en un écosystème identifiable et qualifié, préparé pour répondre aux appels d'offres des grands événements actuels et futurs. Ensuite, la logistique et la formation humaine anticipent concrètement l'afflux et les exigences internationales. Le lancement accéléré de l'Aérobus, avec ses bus aux normes Euro VI et son service 24h/24, ne résout pas seulement un problème de connectivité aéroportuaire ; il institue un nouveau standard de mobilité durable et fluide pour l'ensemble des voyageurs d'affaires et touristes. En parallèle, le programme stratégique de formation des professionnels de l'hôtellerie à Rabat, structuré autour de modules immersifs, vise explicitement à transformer le capital humain. Mehdi Hameda Benchekroun président du Conseil régional du tourisme (CRT) l'affirme : l'objectif est que «Rabat garantira un accueil professionnel à la hauteur de l'attention continentale». Cette double dynamique — labellisation des entreprises et professionnalisation des services — renforce durablement la compétitivité de l'offre économique marocaine au-delà de la seule période événementielle. Ce qui change concrètement pour les acteurs économiques Ainsi, l'on assiste à un changement de paradigme concret pour plusieurs catégories d'acteur. Pour les collectivités territoriales, le passage d'une gestion fragmentée et événementielle à un modèle intégré et pérenne, matérialisé par des entités comme CASAREGIONSPORT, représente une rationalisation majeure. Cela permet une mutualisation des coûts d'exploitation et de maintenance et transforme les infrastructures sportives en leviers de développement économique et d'aménagement du territoire à long terme. Les entreprises locales, notamment les PME du BTP et des équipements, font face à une exigence accrue de qualité et de formalisation via le label FMPS. Cette contrainte initiale se mue en opportunité stratégique : elle leur ouvre l'accès à un marché structuré, crédibilise leur offre et les prépare à la concurrence sur les grands projets nationaux et continentaux. Le secteur touristique dans son ensemble est incité à évoluer d'une logique de capacité d'accueil vers une logique d'expérience intégrée. La stratégie de l'ONMT, avec ses packages transport-hébergement-expériences et sa digitalisation du parcours visiteur, l'oblige à se structurer en chaîne de valeur cohérente et à miser sur la qualité de service pour capter une demande désormais plus informée et exigeante. Enfin, pour les investisseurs et entrepreneurs africains, la CAN 2025 se métamorphose en une plateforme inédite de diplomatie économique. L'initiative comme le «Léopard Business Village» de la RDC démontrent que l'événement est un tremplin concret pour la coopération Sud-Sud, facilitant les rencontres B2B, la promotion sectorielle et l'émergence de partenariats qui dépassent le cadre sportif, consolidant ainsi le positionnement du Maroc comme hub économique africain. La CAN, accélérateur d'une transition structurelle Comme l'on peut le constater, la CAN 2025 opère bien au-delà de son cadre sportif en tant qu'accélérateur puissant d'une transition structurelle pour l'économie marocaine. Les implications économiques, soigneusement orchestrées, s'inscrivent résolument dans le long terme. L'héritage le plus significatif sera institutionnel, avec la création d'outils de gouvernance pérennisant des standards de qualité, à l'image de CASAREGIONSPORT pour la gestion patrimoniale ou du label FMPS pour la professionnalisation des filières. En parallèle, l'événement catalyse une intégration continentale plus profonde, transformant le territoire national en une plateforme de diplomatie économique et de coopération Sud-Sud tangible, comme l'illustre le Léopard Business Village. Cette dynamique consolide la position du Maroc en tant que hub africain, tant pour les échanges économiques que pour le tourisme. Enfin, cette mobilisation générale élève la compétitivité sectorielle intrinsèque, poussant les chaînes de valeur, des services hôteliers à la mobilité logistique, à se hisser aux standards internationaux. Comme le souligne Said Amzazi, wali d'Agadir, à propos du «dynamisme sans précédent» de sa région, cette effervescence est l'expression concrète d'une vision de développement stratégique. Ainsi, la CAN 2025 marque l'entrée du Maroc dans une ère où le méga-événement sportif est consciemment instrumentalisé comme un levier sur plusieurs dimensions, capable de transformer en profondeur l'appareil productif, l'aménagement du territoire et le positionnement géoéconomique du pays. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO