À partir du 1er janvier 2026, la hausse annoncée de 5% portera le Smig mensuel à 3.422,72 dirhams, sur la base d'un taux horaire de 17,92 dirhams. Dans l'univers du textile, ce relèvement intervient en pleine guerre tarifaire. Il place le Maroc dans une zone de coûts intermédiaires, comparable à certaines régions d'Asie, face à une Chine qui consolide ses positions sur les principaux marchés européens, partenaires commerciaux du Royaume. Les vagues tarifaires décidées courant 2025 par l'administration Trump ont déplacé le centre de gravité des chaînes d'approvisionnement de l'industrie du textile, mais sans parvenir à brouiller les cartes de la Chine. Selon le cabinet Mckinsey, les droits de douane moyens pondérés sur les importations américaines d'habillement et de chaussures ont bondi de 13% à 54% au printemps 2025, avant de s'établir à 36% à la mi-octobre, soit à un niveau nettement supérieur aux taux historiques. De ce fait, les achats américains d'habillement et de textile chinois ont enregistré une forte baisse. Le spécialiste de la mode FashionNetwork fait état d'une baisse de 27% sur les neuf premiers mois de 2025. À mesure que les flux se réorganisent, une partie de la pression se reporte sur l'Europe. Les données de l'Office statistique de l'Union européenne (Eurostat) indiquent une progression des importations européennes d'habillement en provenance de Chine de 7,15% sur janvier-octobre 2025, et ce, au détriment des fournisseurs méditerranéens. À l'exception de l'Italie, qui affiche une dépréciation de -13,4 %, l'examen du top 5 des pays européens importateurs d'habillement en provenance de Chine, entre 2023 et 2025, fait ressortir une nette appréciation, avec l'Espagne en tête (+16%), suivie de l'Allemagne (+11,1% entre 2024 et 2025), de la France (+8%) et des Pays-Bas (+3,8%). Suprématie chinoise Au milieu de ce grand basculement, l'argument du Maroc demeure jusqu'à présent la proximité. Les exportations d'habillement vers l'Union européenne ressortent quasi inchangées sur janvier-octobre 2025, en léger recul de 0,2%. «La Chine domine toujours les chaînes d'approvisionnement mondiales du textile et de l'habillement, avec la plus grande capacité de production et un réseau intégré unique au monde. Cette maîtrise lui confère une certaine flexibilité et une efficacité que peu de concurrents égalent, au point de neutraliser une partie des contraintes géographiques et logistiques», avance Redouane Lachgar, consultant en stratégie industrielle. Selon lui, la proximité géographique, longtemps érigée en argument phare par les industriels locaux, se heurte désormais au triptyque innovation technologique, data ingénierie et logistique de pointe. «Ce modèle industriel, soutenu par une supply chain globale dominée par Pékin, rebat les termes de l'équation centrée sur les bas salaires», renchérit Redouane Lachgar. Dès le 1er janvier 2026, une hausse de 5% portera le Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) mensuel brut à 3.422,72 dirhams, sur la base d'un taux horaire de 17,92 dirhams et de 191 heures travaillées. Après déduction des cotisations salariales, le salaire net correspondant ressort à 3.192,02 dirhams. Pour l'employeur, ce niveau de rémunération représente un coût total de 4.144,52 dirhams, charges patronales comprises. «L'augmentation annoncée du Smig accentuera la pression sur les marges, si elle n'est pas compensée par des gains de productivité», souligne Redouane Lachgar. Concurrence rude Un avantage industriel d'ores et déjà intégré par l'Empire du milieu. Il faut dire que la suprématie chinoise ne s'explique plus uniquement par des écarts salariaux. Dans les principaux pôles chinois (Guangdong, Zhejiang, Jiangsu, Shandong), le salaire minimum mensuel dépasse souvent 260–350 USD, un niveau comparable à celui de certaines zones de production alternatives, y compris des pays à coûts intermédiaires comme le Maroc. Cette évolution met en lumière le rôle décisif de l'automatisation, de l'intelligence artificielle (IA) et de l'optimisation de la supply chain dans la performance de ses usines. Une situation susceptible d'accentuer, selon Redouane Lachgar, la compétitivité des pays méditerranéens. Il va sans dire que les droits de douane ont servi de catalyseur, en précipitant la redistribution des chaînes d'approvisionnement. Dans sa dernière livraison, intitulée "The State of Fashion 2026", McKinsey relève que, du fait de la volatilité des tarifs, les chaînes sont en proie à une instabilité permanente, au gré des contre-mesures et d'une incertitude durable. Les auteurs du rapport notent que la plupart des acteurs de la mode considèrent les perturbations commerciales et la hausse des droits comme un facteur structurant de l'exercice 2026. Ceci d'autant plus que la concurrence pourrait se durcir davantage avec un éventuel accord UE–Inde. Plusieurs articles de presse indienne évoquent en effet un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Inde, présenté comme entrant dans une phase finale de discussion, avec une séquence politique attendue fin janvier. Si ce scénario se confirme, l'Inde gagnerait un avantage d'accès de nature à renforcer la pression concurrentielle sur des segments où le Maroc tient encore par la rapidité d'exécution. Comment la Chine parvient à rester compétitive malgré la hausse des coûts La Chine consolide sa position sur les principaux marchés européens et cette percée ne s'explique plus seulement par les écarts salariaux. En dépit de la hausse du salaire minimum dans les principaux pôles chinois, Guangdong, Zhejiang, Jiangsu, Shandong, et des droits de douane appliqués par l'administration américaine sur ses produits, l'atelier du monde continue de tourner à plein régime. Le secret réside dans la performance industrielle qui amortit, en partie, le renchérissement du coût du travail, avec la productivité pour premier ressort. En effet, l'automatisation et le pilotage des flux réduisent les temps morts et rendent les délais plus prévisibles. Deuxième levier, l'intégration de la chaîne (matières premières, tissus, accessoires et confection), ce qui limite les ruptures de charge. Troisième variable, la logistique, devenue une arme redoutable de l'Empire du milieu, avec le recours ponctuel à l'aérien, quand le calendrier l'exige, permettant ainsi de tenir les délais de livraison. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO