Penser l'Europe, via ses productions cinématographiques, n'est pas un exercice facile. Par la force des choses, toute une série de nuances s'impose et cohabite avec une série de spécificités européennes à la fois communes et nationales. Il ne fait pas beau partout Sur le vieux continent, le cinéma européen se plaint des parts de marché qu'il détient sur la scène internationale. Ce constat n'est pas partagé par tous, surtout au-delà des frontières de l'Europe. Pour le Maroc, par exemple, l'aura des productions cinématographiques européennes n'est plus à prouver et les films internationaux suscitent un grand intérêt auprès du public. C'est ainsi que sur un marché dynamique produisant un minimum de 1.000 films chaque année, un seul et unique événement vient égayer tous les ans un cinéma marocain des plus moyens. «À voir la simplicité, la beauté et le traitement cinématographique de ce film, je demanderai aux réalisateurs marocains d'aller se rhabiller», déplore Habib El Amrani, en sa qualité de cinéphile averti. «Ce n'est plus une question de moyens financiers», reproche un autre cinéphile au réalisateur Ahmed Boulane. Cette scène a eu lieu lundi dernier, dans le hall du cinéma Lynx à Casablanca. Une foule des moins habituelles s'est déversée ce jour-là sur le boulevard 2 Mars à Casablanca comme pour accueillir un revenant. C'est la 19ème édition des semaines du film européen qui revient bouleverser les habitudes d'un public loin du cœur des salles obscures, loin des yeux des projecteurs de la chambre noire. Le film en question, qui a remué le couteau dans la plaie d'un pays en mal de créativité cinématographique est «Etreintes brisées» de Pedro Almodovar. Après Tétouan et Rabat et avant de se diriger vers Marrakech, le drame de Pedro Almodovar a ouvert à Casablanca la parade des films européens. Des films et des auteurs Si ce festival attire, depuis 1991, un public curieux de visionner des films jamais diffusés dans les salles marocaines, il est devenu aujourd'hui un rendez-vous incontournable. Aussi bien du côté des organisateurs que pour les villes de Casablanca, Rabat, Tétouan et Marrakech, il s'agit d'une preuve supplémentaire de réciprocité et de coopération culturelle, confirmée par un chiffre record avoisinant les 17.000 spectateurs pour la dernière édition. Historiquement, l'Europe a vu naître et renaître des mouvements cinématographiques, artistiquement très remarquables. L'expressionnisme allemand, le néoréalisme italien, le dogme danois et la nouvelle française... Et concrètement, les semaines du film européen viennent rappeler que les grands auteurs sont tout de même en forme. En très bonne forme même ! «Le ruban blanc» de Michael Haneke, palme d'or à la dernière édition du festival de Cannes, est un film puissant dont l'histoire se déroule à la veille de la Première Guerre mondiale. 2h30 froides, noires et blanches racontent d'étranges accidents survenus à des adolescents d'une chorale dirigée dans un cadre intimiste. «Vincere» de Marco Bellochio, présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2009, est un grand film d'époque monté sur un fond fasciste et noyé dans la vie de Mussolini. Et la liste est longue entre le belge «Panique au village» de Vincent Patar et Stéphane Aubier, «Soul Kitchen» du jeune Fatih Akin (Prix spécial du jury à Venise-2009), «Country Teacher» du Tchèque Bohdan Slama, «Looking for Eric» de Ken Loach, et «Morse», du Suédois Tomas Alfredson. Le cinéma roumain n'est pas en reste avec «La fille la plus heureuse du monde» (primé aussi bien à Berlin qu'à Cannes, 2009) du talentueux Radu Jude. Et le meilleur est pour la fin : «Adieu Gary» de l'Algérien Nassim Amaouche. Les recettes de cette grande initiative de l'Union européenne, conjuguée aux efforts des ambassades et des instituts culturels des Etats membres, seront versées à des associations et des ONG marocaines. Déclaration d'amour au cinéma Dans le noir, un homme aime, vit et écrit. Quatorze ans auparavant, il a eu un violent accident de voiture dans lequel il perd toutes les lumières de sa vie : la vue et Lena, la femme de sa vie. Cet homme a deux noms : Harry Caine, pseudonyme ludique sous lequel il signe ses travaux littéraires, ses récits et scénarios. Puis, Mateo Blanco, son vrai nom, sous lequel il vit et signe les talentueux films qu'il dirige. Après l'accident, Mateo Blanco n'est plus qu'un Harry Caine. Dépourvu de la vue, il partage avec sa femme (Judit Garcia) et son enfant une vie sombre, mais active. Alors qu'il a développé tous ses autres sens pour ne pas subir sa vie, Harry Caine décide de raconter des histoires. Une histoire d'amour fou, dominée par le profit, la trahison et la franchise. La photo la plus éloquente du film, celle de Matéo et Lena, déchirée en mille morceaux est à l'image de la fin tragique de cette idylle démesurée.Pedro Almodovar propose, comme à l'accoutumé, une de ses fables envoûtantes où poésie, souffrance et amour se côtoient élégamment. Le jeu d'acteurs et la mise en scène sont tous les deux irréprochables. En bonne muse attitrée d'Almodovar, Penelope Cruz est fascinante et sensible. Elle se métamorphose sans cesse pour le film pour dégager charme et talent. Un film qui rend un bel hommage au cinéma espagnol du 20ème siècle et qui peut se vanter d'une magnifique maîtrise de l'image, qui saura émouvoir sans l'ombre d'un doute.