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André Elbaz  :« Je ne suis   qu'un artiste marocain, un juif   marocain ! »
Publié dans Le Soir Echos le 29 - 10 - 2010

Il expose du 2 novembre au 30 décembre, à la Villa des Arts de Casablanca et du 9 novembre au 30 décembre, à la Villa des Arts de Rabat. Rencontre avec un artiste peintre, thérapeute et créateur du Pictodrame
Fin de semaine, en milieu d'après-midi, dans un café fauchant tout sur son passage. Le peintre et thérapeute André Elbaz se présente. Il porte un pantalon marron d'époque et une chemise à carreaux aux couleurs des toiles qui sont les siennes. La barbe blanche, le regard qui brille,
l'air jovial… Premier contact. Salam a Sidi. Labass ?», dit-il en nous voyant.
- Ça va très bien monsieur Elbaz,
ravi de vous rencontrer.»
Il s'installe à table et se tourne vers un serveur implacablement rasé, propre sur lui : «Un café allahi khalik, walakine décaféiné, s'il vous plaît». Et nous avons discuté.
A peine commence-t-on à dialoguer qu'André Elbaz évoque son âge : 76 ans. Il ne les fait pas. Vraiment pas. Et il précise : « Je ne me sens pas vieux ! Mais alors là, pas du tout». Les artistes sont certainement les êtres humains qui vieillissent le mieux. Ils ne connaissent pas la solitude, ni l'usure, en tout cas pas tant qu'ils continuent à pouvoir écrire, peindre, créer, inventer… «Oui, on peut continuer jusqu'à 90-95 ans», assure-t-il. Puis nous parlons de Stéphane Zweig et Romain Gary (deux monstres de la littérature). Nous rappelons qu'ils ont fini par se donner la mort à leurs «vieux jours». Le premier, parce qu'il n'arrivait plus à écrire (il fera ses adieux littéraires dans sa dernière nouvelle «Le joueur d'échec», un texte qui parle très bien des limites intellectuelles imposées par l'âge avancé). Et le second, parce qu'il ne supportait plus de perdre la maîtrise de son corps. Il détestait être vieux. «Ils sont juifs tous les deux, il faut le préciser. C'est dur d'être juif. Surtout à l'époque de Zweig ! Il vivait seul, reculé dans les campagnes»…
Françoise Giroud a très bien traité le fardeau du juif, dans son roman «Les tâches du léopard». L'histoire d'un enfant abandonné à sa naissance, par amour, car la mère voulait éviter à son enfant d'être juif ! Elle le laissera à la DAAS. Plus tard, il la retrouve et, surtout, il l'aimera profondément. «Une très belle histoire. Très forte. Et dites-moi, ça fait déjà 4 juifs ! Zweig, Gary, Giroud et moi ! (rires)». C'est ce qu'on appelle une coïncidence. Qu'on y croit, ou pas. Mais entrons dans le vif du sujet.
Van Gogh
Nous ne sommes pas allés très loin dans la discussion, même si nous avons changé d'époque. Van Gogh par André Elbaz, cela donne ceci : «Il était un grand talent, immense, un rénovateur de l'art. Il faisait une peinture qui était absolument fantastique, impossible pour son époque. Personne ne la comprenait. Mais il vivait dans une carapace, et il s'est suicidé assez jeune». Encore un ! Décidément, c'est la journée internationale des artistes-génies morts de leur plein gré ! Nous dialoguons avec l'invité de ces pages.
«L'artiste est un hyperactif par définition, poursuit Elbaz. Van Gogh était spécial, fermé, hyper-renfermé… Moi, je ne comprends pas qu'on puisse être renfermé sur soi. Je suis très ouvert…
- En lisant «Lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo», poursuit-on, deux choses ressortent : Van Gogh a réussi son œuvre. Mais il a raté sa vie !
- … absolument ! C'est très vrai.
- Il était en perpétuel conflit avec un père qui ne l'aimait pas et qui ne l'encourageait jamais. Ça a beaucoup joué…
- Oui, mais c'était encore pire que cela, nous dit André. Son père était pasteur, rigide, sévère, mais surtout, Van Gogh avait un frère mort-né avant lui qui s'appelait aussi Vincent. Ce fameux Vincent était enterré dans le jardin de la maison familiale. Et quand Van Gogh descendait les marches de chez lui, il voyait cette tombe avec son prénom. Comme si lui-même était mort.
- Comme s'il avait pris la place de son frère…
- Non, c'est ce nom, c'est cette tombe, c'est ce frère mort-né, qui a pris la place du vivant. Le défunt n'existait pas et ne permettait pas au peintre d'avoir à une place. C'est terrible.
- Vous, André Elbaz, si vous deviez choisir entre réussir votre vie ou réussir votre œuvre ? Que préféreriez-vous ?
- Ce n'est pas une question qui se pose pour un artiste, ça. On ne peut pas prendre les choses de cette façon. L'art ou la vie ? C'est impossible ! Il y a les bandits qui disent la bourse ou la vie. Mais pas l'art ou la vie. L'art est une nécessité pour l'humanité ! Certainement parce qu'elle est une très grande nécessité pour les artistes. Et quand un artiste choisit l'art, quand il ne peut plus faire que de l'art, et bien c'est qu'il a choisi la vie. Et dieu sait que ce n'est pas facile d'être artiste».
C'est toujours plus facile d'être artiste, pour un artiste. Parce qu'il ne se voit pas vivre autrement, quitte à gagner très peu d'argent. C'est toujours plus facile d'être artiste, pour un artiste, car il ne peut pas envisager sa vie dans le commerce du fric. Parce que les priorités et les nécessités sont ailleurs. Parce qu'il y a urgence. Parce que le besoin de s'exprimer est une dictature de l'âme, une dictature contre le pragmatisme et contre la vie dite classique.
Alors que cherchent les artistes ? La bourse, l'art ou la vie ? Ou les trois ?
Nous avons une vague réponse pour nos contemporains… Mais pour les Marocains des années 60, c'était une certitude, ils cherchaient l'art dans leur vie. L'art-reconnaissance aussi. André s'explique :
« Mes copains Ahmed Cherkaoui, Jalil Gherbaoui et beaucoup d'autres, et bien, ils ont crevé de faim à cette époque. Comme Van Gogh. A des moments, c'était terrible. Aujourd'hui, quand on voit que les faux Cherkaoui valent je ne sais combien…
- En tant que Marocain de confession juive, était-ce plus facile pour vous de vendre vos toiles en 1960 ? Dans ce sens où «la communauté» vous a-t-elle aidé ?
- (rires) Je vais vous donner la réponse «de la bouche du cheval». Vous savez pourquoi les juifs se tiennent les coudes ? Non ? Pour ne pas se laisser dépasser les uns les autres. Les meilleurs copains entre eux, et pas seulement les juifs, ils disent «Qu'est-ce que je peux ne pas faire pour toi ?».
- C'est terrible que les meilleurs copains soient dans la dualité permanente. Ils ne peuvent pas supporter de voir l'autre passer devant !
- L'individu est jaloux, c'est humain, universel. Et même les vrais amis le sont, sauf certains. Dans mes vieux jours, et je ne me sens pas vieux encore une fois, je me suis découvert un ami qui vient presque spécialement de Paris pour faire des conférences sur mon travail. Il s'appelle Jean-François Clément. C'est une nouvelle amitié, je ne lui demande rien, il ne me demande rien, et c'est un plaisir d'être avec. Il est d'une intelligence e-xcep-tion-nelle, un crack ! L'adversité n'existe pas entre nous. Par contre, j'ai reçu aujourd'hui un mail d'un de mes meilleurs copains, si ce n'était le meilleur des mes premières années parisiennes. Et vous ne pouvez pas savoir comme il est jaloux ! Il a fait la Sorbonne, il a travaillé au «Times», il a été un grand éditeur de dictionnaires, il en a vendu 20 millions, il avait été nommé directeur d'une des plus grandes maisons d'édition au monde ! Et avec ça, il arrive toujours à être dans l'adversité avec moi ! Attendez, moi, je ne suis qu'un petit Marocain, un juif marocain, un artiste qui essaye de gagner sa vie !».
Conflit
Julian Schnabel est juif américain. Il a grandi à New York. Rula Jebreal est une Palestinienne israélienne. Elle a grandi dans un orphelinat à Haïfa. Les deux vivent maritalement depuis 2007. Lui est artiste peintre et cinéaste. Elle est auteur et journaliste, spécialiste du conflit au Proche-Orient. Julian a mis en scène au cinéma «Miral», le livre de Rula où elle raconte son histoire. Ils sont véritablement amoureux. «C'est normal qu'ils soient attirés l'un vers l'autre, commente Elbaz. Ils sont jumeaux quelque part. Ces deux peuples sont jumeaux. Ils se déchirent, ils ne sont pas sages, mais c'est ce qu'ils sont. Des jumeaux». Est-ce que ce conflit existe en l'artiste Elbaz, lui, Marocain de confession juive ? «Je ne me considère pas comme tel. Je suis moi, je suis né ici, je suis Marocain, je suis artiste marocain, et je suis juif. En tant qu'humain, il y a certaines choses qui me touchent comme n'importe qui. Ce problème, ce conflit israélo-palestinien, c'est quelque chose de terrible. Déjà en 1967, c'était terrible. J'ai fait une grande série d'escrimeurs pendant et après la guerre des Six jours, sans savoir ce que je faisais. Vraiment, c'était inconscient. Ces escrimeurs sont en luttes, en combats, ils sont extraordinairement en mouvement. On ne sait pas qui est l'un, qui est l'autre, et il était important pour moi qu'ils ne se touchent pas et qu'aucun d'entre les deux ne tombent. Si il y a une réponse à faire sur ce conflit, c'est celle-là. Je suis un juif arabe. Mon côté arabe n'a pas être écrasé par mon côté juif, et mon côté juif n'a pas a être écrasé par mon côté arabe. Je suis dans une situation… comment dire ? Qu'est-ce que moi j'en ai à foutre de tout ça ? Je sais une chose, depuis très longtemps. Je sais que je ne peux absolument rien faire ! Je ne peux, mais alors là… rien, rien faire du tout. Je peux casser des portes, me casser la tête, mais pour ces choses, je ne peux rien ! Je ne peux : rien faire ! Même le peindre, je ne peux pas.
Je peux dessiner le Rwanda, peindre la Deuxième Guerre mondiale, je peux avoir une espèce d'idée d'Hiroshima… Bref, vous verrez dans mon exposition la force que je peux exprimer dans les conflits ! Je suis un peintre engagé ! Pas politiquement, mais dans la vie.
Et je n'y peux rien à ce conflit. Je disais un certain moment, et je le dis toujours : le juif, c'est la même chose que le musulman ou le chrétien, à la seule différence que lui est juif et que l'autre est musulman ou chrétien.
«Pictodrame»
André Elbaz est d'une sympathie à mettre à l'aise le plus complexé des hommes. Normal, puisqu'il est aussi psychothérapeute. D'ailleurs, et en marge de l'exposition «Rétrospective André Elbaz», qui se tiendra à la Villa des Arts de Casablanca à partir du 02 novembre prochain, il présentera le concept du «Pictodrame», sa création originale.
Le Pictodrame est «une thérapie par l'art» qui consiste à guérir ses maux à travers la peinture.
«Tu peins ton père, ta mère, ta famille, ta maison, nous explique-t-il. Des choses ressortent. Mais ensuite tu détruis ton œuvre d'art».
Et il est là, le concept. Dans la définition de Jean-François Clément, «Le Pictodrame permet d'accepter l'idée que la destruction n'est pas synonyme de malheur, donc l'œuvre d'art détruite peut continuer à exister sous une forme nouvelle et reconquérir un statut d'œuvre d'art tout en ayant été apparemment désacralisée».
A travers cette technique, André Elbaz a marié ses deux amours, l'art et la thérapie. «Moi aussi je détruis mes œuvres d'arts. C'est incroyable l'effet que ça fait. Ça soulage mais d'une force !
- Vous pourriez détruire une de vos toiles en public le jour de votre vernissage ? (elles valent cher ces toiles).
- Non. Je ne vois aucun intérêt à faire cela. Je ne suis absolument pas exhibitionniste.


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