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Infirmier psychiatrique : un  métier de tous les dangers
Publié dans Le Soir Echos le 14 - 03 - 2011

Mardi 8 mars, hôpital Arrazi à Salé. Des pas rapides viennent briser le silence qui envahit les couloirs. C'est l'heure du rituel quotidien de la relève des blouses blanches. Impossible pour l'équipe du jour d'entamer son service (8h) sans poser cette question : «Alors, la nuit s'est bien passée ? Elle a été paisible ou y a-t-il eu des problèmes ?». Rien à signaler ! «Pour nous, la période de travail la plus cruciale se situe entre 2h et 5h du matin. C'est à ce moment-là où l'insomnie des malades dépressifs réveille en eux des idées noires. Les risques de suicide augmentent et nous devons rester très vigilants», explique Abdelaziz Arbaoui, chef de service des soins infirmiers.
Vigilance signifie prévention : le personnel doit accompagner les cas les plus vulnérables et aménager les lieux de leur séjour en prenant le soin de retirer tout élément pouvant servir d'arme. «Nous faisons notre maximum, mais parfois nous sommes dépassés. Je me rappelle d'une malade que nous avons découvert dans les toilettes inanimée. Elle s'est étranglée en utilisant le pantalon qu'elle portait. C'est vraiment pénible de voir des spectacles aussi désolants et de constater que notre travail est, dans certains cas, voué à l'échec», confie-t-il. Le sentiment d'échec creuse au fond du personnel une réelle hantise. «Nous avons tout le temps peur qu'un patient mette fin à ses jours et nous tentons, du mieux que nous pouvons, de l'en empêcher», affirme Aïcha Bouab, surveillante de soins par intérim. Dans sa mémoire, l'image d'une patiente reste à jamais gravée : «Elle était hospitalisée pour une grave dépression. Elle m'a appelé un soir pour me demander si j'avais de l'affection pour elle et j'ai répondu que je l'aimais énormément. Alors, elle m'a souri et m'a demandé de lui rendre un service auquel je ne m'attendais pas : aide moi à me suicider !». L'infirmière refuse et tente de dissuader la malade par tous les moyens : «Je lui ai rappelé que le suicide était religieusement illicite (haram), et qu'elle allait ainsi abandonner ses deux enfants qu'elle condamnerait à traîner, leur vie durant, le choc de sa perte prématurée et à faire face à des mentalités accusatrices». Face aux tentatives de l'infirmière, la patiente n'écoutait que sa dépression, générée par un conflit conjugal. «Le médecin de garde et le surveillant sont venus à mon secours cette nuit-là. Nous lui injections du valium et je restai auprès d'elle. Elle finit, du moins ce jour-là, par renoncer au suicide et rentrait chez elle au bout de quelques jours. Mais, ce n'était qu'une trêve momentanée, car au bout d'un an, nous apprenions qu'elle avait fini par se suicider à son domicile », regrette Aïcha Bouab.
Manque d'effectif
Sur ses gardes, le personnel psychiatrique doit veiller sur la sécurité des patients et la leur. «Nous disposons de 176 lits et de 108 infirmiers, dont 71 spécialisés en psychiatrie. La norme mondiale recommande un infirmier pour quatre malades. Ici, c'est un infirmier pour 24 malades», insiste Abdelaziz Arbaoui. Le manque d'effectif flagrant met les infirmiers face à une réelle menace. «Aucun de nous n'a échappé aux insultes et aux agressions physiques », indique Khadija Bougrin, chef de service de l'unité fermée des femmes. Les malades hospitalisés sont d'ailleurs partagés en deux catégories distinctes selon le danger qu'ils représentent pour les autres et pour eux-même. Les plus agités suivent leur traitement dans des unités fermées (30 femmes et 72 hommes), les cas sans risque résident dans des unités ouvertes (24 femmes et 28 hommes). L'hôpital Arrazi dispose aussi de 20 lits consacrés à des patients médicaux-légaux (criminels en majorité), et d'un centre d'addictologie où 16 hommes et 6 femmes suivent des cures de désintoxication.
Les malades ne présentent pas de profil typique : ils appartiennent à toutes les tranches d'âges et sont issus de toutes les couches sociales. «Les plus nombreux sont ceux qui souffrent de schizophrénie, de psychoses maniaco-dépressives et d'états névrotiques», souligne le chef de service des soins infirmiers. «Il faut être prêt à comprendre et à côtoyer ce type de malades pour faire partie du personnel psychiatrique. Moi, c'est ma famille qui m'a transmise la passion de la psychiatrie», indique Hajar Hazmi. Venue de Fès, c'est la plus jeune infirmière à avoir rejoint l'équipe d'Arrazi. Elle travaille au sein de l'unité fermée, mais l'habitude et la passion lui insufflent une énergie exceptionnelle. «Même quand on est agressé, on reprend facilement notre travail le lendemain», confirme-t-elle. Hajar ne fait pas l'exception, c'est bien la passion qui anime tout le personnel qui fait vibrer cet hôpital dont le directeur, Pr. Jallal Toufiq, veille de très près à leur bien-être. « J'ai instauré, il y a quelques mois, une cellule de bien-être au travail. Une psychologue y travaille de manière continue pour l'écoute et le soutien moral du personnel», déclare le Pr. Jallal Toufiq. Pour lui, le personnel psychiatrique souffre à différents niveaux: « il doit gérer une profession très mal vue, stigmatisée, des malades qui projettent leur frustration et évacuent leur colère sur les infirmiers. Le personnel est stimatisé, violenté, montré du doigt… Il ne jouit pas d'une reconnaissance ! »
Ici, à l'hôpital Arrazi, personne n'oubliera cette tragédie qui a emporté un des leurs : Abdellah El Faji. Cet infirmier a été assassiné le 12 juillet 2007 alors qu'il tentait de calmer un malade hystérique accompagné de sa famille.« Le drame a eu lieu la nuit. Abdellah faisait partie d'une équipe de huit personnes dont trois ont été atteints d'une dépression. L'une d'elle a fini par quitter son travail», se souvient Abdelaziz Arbaoui.
Apaiser son stress
A l'époque, des grèves avaient été organisées. La direction a donc instauré des réunions régulières pour permettre à chacun de prendre la parole, de faire des propositions. L'hôpital a été aménagé de manière à devenir plus agréable. Des salles de séjour pour le personnel et les patients sont flambant neuves. «On s'offre une petite détente en prenant un verre de thé. C'est une pause capitale !», lance le Dr. Salwa Kjiri. Comme elle, le personnel a appris à apaiser son stress, mais rien ne le dissuadera de changer de métier. «Il faut se mettre à la place de ces malades pour les comprendre. J'ai moi-même été agressé par un malade qui a planté dans mon épaule un couteau, en 2001. Il venait d'un commissariat tout déboussolé. Il croyait que j'étais un ennemi et s'est jeté sur moi. Au bout de 40 jours de repos, j'ai repris mon travail, mais j'ai pris soin de cacher l'incident à ma famille parce qu'elle m'aurait obligé de quitter ce travail», confesse ce chef de service des soins infirmiers. Comme lui, ils continueront à accomplir leur mission coûte que coûte.
Aïcha, douze ans au chevet de malades « particuliers »
Aïcha Bouab rêvait de devenir infirmière, mais pas dans un service psychiatrique; pas auprès de patients si particuliers. Son affectation eut l'effet d'un choc. La jeune infirmière décida alors de ne jamais se présenter à l'administration de l'hôpital Arrazi. «Je me suis cloîtrée chez moi. Je pleurais continuellement, croyant que ma vie était désormais détruite. C'est mon père qui finit par me convaincre de tenter ma chance, de constater par moi-même si je pouvais assumer ma tâche ou l'abandonner. Je suivis son conseil», raconte Aïcha Bouab.
Au sein de l'hôpital, la peur au ventre, l'infirmière fraîchement diplômée est accueillie chaleureusement par le directeur du personnel. «J'étais obsédée par la hantise de me retrouver avec des fous. Je croyais que ces malades allaient me sauter dessus, qu'ils allaient me rendre folle comme eux», confie l'infirmière.
Fausses idées
Elle réalisera très vite que ce n'était qu'une perception culturelle, de fausses idées qui encombraient sa pensée. «On m'offrit de travailler dans la clinique des femmes, une unité ouverte au sein d'Arrazi. J'y allais donc jeter un premier coup d'œil, en restant toujours sur mes gardes comme si j'étais persécutée. Les malades venaient vers moi pour m'offrir une banane ou une pomme, alors que d'autres lançaient des youyous. Elles étaient contentes de me voir. J'ai alors compris que ma terreur n'avait pas lieu d'être, que ces femmes avaient juste besoin de reconnaissance et d'affection».
Cela fait douze ans aujourd'hui, Aïcha est toujours au chevet de ces femmes qu'on étiquette de «folles». Elle ne ménage aucun effort pour les apaiser, leur venir en aide.
Et pour mieux les comprendre et répondre à leurs besoins, Aïcha a décroché son diplôme d'infirmière spécialiste en psychiatrie au bout des quatre premières années de son exercice. Hygiène, traitement, alimentation, surveillance, la mission d'Aïcha ne se limite plus à un simple programme. «Il faut accorder à chaque malade un petit moment, pour l'écouter, gagner sa confiance et construire une relation durable, incontournable pour sa guérison et son bien-être. Ces femmes deviennent nos amies, et leur fragilité nous doit nous interpeller. En un mot, cela requiert une grande responsabilité ! ».
Aïcha Bouab, aujourd'hui, surveillante des soins par intérim, a appris une leçon humaine qu'elle prend soin de transmettre aux nouvelles recrues.
l.h.


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