Sous couvert d'enquête journalistique, Le Monde publie un article biaisé, approximatif et complaisant sur Mehdi Hijaouy, poursuivi pour escroquerie et faux. Derrière le storytelling orientaliste se cache une entreprise de manipulation, où la justice marocaine est travestie et un fugitif maquillé en héros. Décryptage. Le 17 juillet 2025, Le Monde publiait, sous la plume de Frédéric Bobin, un article aussi bien honnête qu'un alibi de truand. Il y dépeint une prétendue guerre de tranchées au sommet de l'appareil sécuritaire marocain, mettant en scène un « ex-chef espion » en cavale, Mehdi Hijaouy, érigé en martyr d'un Etat répressif. Mais derrière ce récit aux allures de thriller oriental, se cache une entreprise grossière de manipulation. Une fiction cousue de fil blanc, truffée d'approximations, d'affirmations gratuites et d'accusations aussi vagues qu'insinuantes. Une tentative désespérée de fabriquer un mythe à partir d'un dossier judiciaire banal et de transformer un justiciable poursuivi pour escroquerie en dissident traqué. Hijaouy : fausse légende, vrai imposteur Dans le rôle principal, un certain Mehdi Hijaouy. Bobin le présente comme un « ancien haut responsable » de la DGED. Or, la réalité est tout autre : Hijaouy a été radié des services en 2010, sans jamais avoir accédé à la moindre fonction stratégique. Un pion parmi d'autres, un élément périphérique, loin des centres de décision et certainement pas un maître du jeu. Mais qu'importe la vérité, quand la fiction vend mieux. Et pour créer du drame, encore faut-il un personnage central. Alors, on l'invente. Bobin gonfle donc le personnage, lui prête un statut qu'il n'a jamais eu, pour ensuite crier au scandale lorsque ce prétendu « chef espion » est rattrapé par la justice. Cette exagération sert une mécanique connue : si le fugitif était haut placé, sa fuite devient un scandale ; s'il n'était rien, son arrestation perd tout intérêt. L'auteur choisit le roman, pas la rigueur. La ficelle est aussi grosse que la prétention à faire de ce personnage marginal une pièce maîtresse de l'Etat. LIRE AUSSI : Trop de liberté tue la liberté : Le cas Jerando La vieille rengaine du « complot politique » Accusé d'escroquerie, de faux et de facilitation d'immigration illégale, Mehdi Hijaouy crie au complot et active la défense la plus éculée, celle de la persécution politique. Classique. Ses avocats français mobilisent les poncifs habituels et dégainent la carte usée du « procès politique », avec la bénédiction implicite de Bobin, qui relaie ces éléments sans le moindre recul, sans aucune vérification ni mise à distance critique. Pas de preuves, pas de documents, pas de contradictions judiciaires soulevées, pas de témoignage indépendant qui viendrait étayer la thèse d'un « harcèlement d'Etat ». Juste un discours dramatique, aux accents messianiques. Pourtant, la notice rouge d'Interpol a été validée par une commission indépendante, justement chargée d'écarter les poursuites à caractère politique. Mais ça, Bobin s'en garde bien. Les frères Azaitar en alibi : diversion ou opération de com ? Autre tour de passe-passe : lier les poursuites de Hijaouy à sa prétendue défense des frères Azaitar dans une tribune. Une manœuvre grossière pour détourner l'attention de ses démêlés judiciaires. L'article suggère que cette prise de position l'aurait propulsé dans le viseur des autorités. Sauf que les poursuites judiciaires le visant étaient déjà engagées bien avant cette prise de parole opportuniste et cette sortie médiatique. Ce plaidoyer tardif n'est qu'un calcul stratégique, un coup de pub destiné à se draper dans les habits du dissident. Aucun autre journaliste ou influenceur ayant soutenu les Azaitar n'a été inquiété. Preuve que la ligne de défense ne repose que sur du vent et l'hypothèse d'une vengeance d'Etat s'effondre donc. Ce que Bobin présente comme un acte de bravoure n'est en réalité qu'une manœuvre de repositionnement médiatique. Les proches visés ? Non : des complices jugés Bobin dénonce aussi une supposée cabale contre les proches de Hijaouy. Encore une fois, il n'apporte aucun élément concret. Or, les faits sont têtus et les dossiers bien clairs. Des policiers et civils ont été jugés pour complicité, condamnations pour corruption, blanchiment et fausses déclarations. Il ne s'agit pas d'intimidation ni de représailles, mais de justice. Ce sont des actes punis dans tout Etat de droit et ce, dans le respect des procédures. Prétendre le contraire revient à insulter le travail des magistrats, à remettre en cause l'intégrité des institutions judiciaires sans l'ombre d'un début de preuve. Une posture paternaliste, condescendante et dangereuse, une accusation grave, assénée à la légère. Le fantasme orientaliste du « complot de palais » Et comme dans tout bon feuilleton colonial, Bobin ne peut s'empêcher d'ouvrir le tiroir aux fantasmes : rivalités au sommet, transition dynastique, « nervosité du makhzen ». Un récit sans source, sans nom, sans vérification. Juste une atmosphère savamment entretenue pour séduire un lectorat en quête d'exotisme politique. Ce schéma est connu : remplacer les faits par des « climats », insinuer sans prouver, jouer sur les clichés orientalistes d'un royaume opaque et impénétrable. L'exercice est habile, mais intellectuellement malhonnête. Cette mise en scène, aussi floue que commode, dépeint le Maroc comme une monarchie obscure où les procès ne sont que règlements de comptes et où toute action judiciaire serait téléguidée. Une caricature insultante, bien plus révélatrice de l'imaginaire du journaliste que de la réalité marocaine. Le vrai scandale est ailleurs Pas une citation d'un magistrat. Pas un extrait de dossier. Pas de recoupement sérieux. Seulement des témoignages anonymes, des interprétations hâtives, et un ton péremptoire. Ce que Bobin propose ici n'est pas du journalisme, c'est un plaidoyer camouflé, une défense déguisée. Et surtout, une insulte à l'intelligence du lecteur. Ce qui scandalise ici, ce n'est pas l'action de la justice marocaine. Ce que révèle cet article, ce n'est pas une défaillance marocaine, mais une dérive éditoriale. Celle d'un journalisme qui troque la rigueur contre la narration sensationnaliste dès qu'il s'agit d'un pays du Sud. Un journalisme de préjugés, prompt à donner crédit à tout fugitif dès lors qu'il crie au complot depuis l'Europe et s'empresse de le sanctifier. Celui qui, dès qu'il s'agit d'un Etat du Sud, part du principe que la justice ne peut qu'être instrumentalisée. Ce paternalisme journalistique est aussi condescendant que dangereux. Ce que le Monde oublie c'est que la justice ne se rend pas dans les colonnes d'un journal. Mehdi Hijaouy n'est ni un héros, ni un dissident. C'est un homme poursuivi pour des faits graves, qui cherche à maquiller ses délits en combat politique. Et Frédéric Bobin, en prêtant sa plume à cette entreprise, devient le complice médiatique d'une fuite organisée. Bien entendu, le Maroc, comme toute démocratie, doit être critiqué mais sur la base de faits, pas de fantasmes transformés en roman-feuilleton pour flatter les biais d'un lectorat occidental friand de scénarios à la Homeland. Mais quand un article oublie la vérification, ignore les sources judiciaires et épouse sans recul la version d'un homme recherché, il cesse d'informer. Il devient instrument de diversion. Certes le Royaume a ses défis, ses contradictions, ses zones d'ombre, comme tout pays. Cependant, réduire ses institutions à des marionnettes et ses procédures à des vendettas, c'est faire le jeu de ceux qui fuient leurs responsabilités. Le Maroc mérite mieux qu'un article paresseux. Il mérite qu'on le regarde avec lucidité, pas à travers le prisme trouble d'un fugitif en quête d'impunité. Ce que Mehdi Hijaouy doit à la justice, il devra l'assumer sans écran de fumée médiatique, sans storytelling de fuite héroïque, et surtout sans la plume complaisante de ceux qui confondent tribune et investigation.