La cinéaste Leïla Kilani revient sur les temps forts de Sur la planche , fiction présenté à la Quinzaine des réalisateurs au 64e Festival de Cannes. Comment avez-vous vécu la présentation de Sur la planche à Cannes ? La copie numérique de mon film était prête, ces quelques jours à Cannes étaient particulièrement intenses et frénétiques. Il s'agissait d'une forme de parenthèse hystérique pour Sur la planche : c'était le plus bel accomplissement dont l'équipe aurait pu rêver. Mais ce qui est d'autant plus important à Cannes, c'est l'accès au marché international, puisqu'à l'issue de la sélection de la Quinzaine des réalisateurs, on a été approchés par Fortissimo, vendeur international chargé de vendre le film à tous les pays à l'international. Cette étape est décisive pour la future vie de Sur la planche , qui va véhiculer une image différente du cinéma au Maroc. Quel a été l'accueil du public cannois ? La majeure partie des spectateurs étaient sous le choc, car c'est un film qui suscite des réactions très fortes, et donc très intéressantes. L'accueil a été favorable à l'unanimité. Cela vous encourage-t-il à explorer la fiction plutôt que le documentaire ? Il n'existe pas de chaîne entre la fiction et le documentaire ; il y a simplement un choix à évoquer l'un des genres. Ce sont deux exercices radicalement différents en terme de mise en scène, de dispositif économique, de production. J'aime la matière de la fiction comme celle du documentaire qui implique un frottement avec le réel : ce sont deux têtes bicéphales qui correspondent à mon travail. Je continuerai à aller là où la matière me convoque. Comment définiriez-vous Sur la planche ? C'est une fiction où tout est sublimé, codifié, transfiguré. Il ne s'agit pas d'un film naturaliste et documentaire mais d'une œuvre qui s'appuie sur la transfiguration de codes. Comment est née l'idée de ce film ? C'est la succession de plusieurs éléments. L'envie de travailler avec les codes propres au film noir. Je suis une fan du film noir. Il s'agit de plus, d'une écriture et d'une dramaturgie qui s'appliquent totalement à la ville de Tanger, dotée d'une esthétique et d'une ciné-génie fusionnelles avec le film noir. Vous avez fait appel à des comédiennes non professionnelles. Pourquoi ? Il est vrai que cela représente un risque économique. Il est plus aisé de tourner avec des comédiens professionnels, mais cela correspond également à un apprentissage en soi et mène à une ouverture vers un dispositif de direction d'auteur. On m'a fait des propositions de comédiennes confirmées à l'étranger dont la projection au quatuor de personnages nécessaires à mon film n'était pas réalisable. L'enjeu tenait précisément à la bonne constitution de ce quatuor et à ce que je puisse de surcroît le diriger de façon directe. Après plusieurs jours d'essais, j'ai constitué ce quatuor au prix d'une difficulté de coût car ces quatre comédiennes non professionnelles ont travaillé de 9h du matin à 9h du soir durant trois mois. Elles devaient acquérir une culture cinématographique afin de savoir quel cinéma on pouvait approcher. Elles ont vu les premiers films de Scorsese, Jerry Schatzberg, les frères Darden, ceux des années 30, de Kiarostami pour le travail sur les muscles. Nous avons énormément travaillé sur les premiers films des années 70 afin de leur faire comprendre la nervosité et la tension qui se dégagent de la mise en scène. Le cinéma est un acte politique et esthétique ; historienne de formation, je recours pleinement à l'expérimentation. Quelle est la musique de Sur la planche ? C'est une musique urbaine, faussement naturaliste, qui se joue des codes du film noir, ludique, car elle révèle une liberté d'écriture très poétique. A la fois traversée de rap marocain et occidental, de scansions coraniques et soufies telles que le zikr, le melhoun. La musicalité est un aspect fondamental pour moi, une forme de réminiscence ouverte et fortement contemporaine. Une sortie de Sur la planche est-elle prévue ? Non car nous attendons la sélection du prochain FIFM. Et contrairement à ce qu'ont écrit vos confrères, une copie du film n'a pas été envoyée. Je suis particulièrement heurtée par ce manque d'éthique et que l'on ne garde pas fidélité à mes propos au cours d'une interview. Propos recueillis par Fouzia Marouf