Malgré les tentatives de conciliation du maréchal Tantaoui, les manifestants continuent d'occuper la place Tahrir, déterminés à aller jusqu'au bout de leurs revendications. Selon le chercheur Bernard Botiveau contacté par Le Soir-échos, l'armée n'est pas près de quitter le pouvoir. La place Tahrir ne désemplit pas. Malgré les tentatives du Conseil militaire de calmer le mécontentement, les manifestants sont toujours des milliers à occuper la place du Caire, véritable symbole de la révolution. Après la démission du gouvernement d'Essam Charaf lundi, les promesses du maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, à la tête du Conseil suprême des forces armées (CSFA), n'ont pas convaincu les Egyptiens. « Dégage, dégage » Mardi soir, le maréchal s'est adressé aux protestataires dans une allocution télévisée. Il a promis une accélération du processus de transfert du pouvoir aux civils avec la tenue d'une élection présidentielle à la mi-juin. « Les forces armées, représentées par le Conseil suprême, n'aspirent pas à gouverner et placent au-dessus de toute considération l'intérêt suprême du pays », a assuré à cette occasion le maréchal Tantaoui. Selon lui, l'armée est « absolument prête à transmettre les rênes immédiatement et à reprendre sa mission initiale de protection de la nation si la nation le souhaite, via un référendum populaire ». Mais les contestataires ne l'entendent pas de cette oreille, voyant dans le référendum un piège destiné à diviser les Egyptiens. Après son intervention, le slogan « Dégage, dégage » a été scandé de plus belle sur la place Tahrir. Le message des militants est clair : « Lui doit partir ! Nous ne partirons pas! ». Entretien avec … Bernard Botiveau, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste du monde arabe. « L'armée n'abandonnera pas facilement le pouvoir » Le maréchal Tantaoui a affirmé que les élections législatives seront maintenues ce lundi 28 novembre. Mais le scrutin peut-il réellement se tenir de façon transparente dans ce contexte ? Pour le moment, l'information se fait un peu au jour le jour. Les élections vont se tenir le 28 novembre comme prévu. Ce que l'on sait moins, c'est comment elles vont se dérouler. Beaucoup de questions se posent : les élections seront-elles transparentes ? Seront-elles suffisamment bien organisées pour qu'il n'y ait pas de contestation ? Est-ce que tous les partis pourront être correctement représentés? Le problème de la transparence est hérité du régime de Moubarak où les élections étaient de façon récurrente falsifiées. Pour ces élections, ce sont les juges qui doivent vérifier la validité des élections, conformément à la Constitution, avec en plus un contrôle des ONG et des observateurs internationaux. La volonté de tenir des élections ouvertes et transparentes est en tout cas affirmée. « L'armée ne veut pas le pouvoir », a assuré hier le maréchal Tantaoui. Mais pourquoi l'armée rechigne-t-elle autant à transférer le pouvoir à une autorité civile ? Le maréchal Tantatoui est l'ancien ministre de la Défense de Moubarak. Tous les chefs d'Etat égyptiens et une partie de l'état-major politique sont issus des rangs de l'armée égyptienne, qui est très nombreuse numériquement. L'armée est donc l'héritière du régime et défend des intérêts mis en place sous Moubarak. Elle ne va pas abandonner le pouvoir. Actuellement, beaucoup d'Egyptiens ont le sentiment que la révolution est confisquée. La société civile est écartée des négociations, cantonnée à un rôle d'observatrice. Or beaucoup de discussions sont en cours entre l'état- major et la direction des Frères musulmans. Certains évoquent une contre-révolution, c'est-à-dire une dynamique destinée à stopper la première révolution de janvier. «Tantaoui, c'est Moubarak copié-collé. C'est Moubarak en tenue militaire», déclarait un manifestant de la place Tahrir. Le général Tantaoui va-t-il subir le même sort que Moubarak, suite à la pression populaire ? Beaucoup de manifestants disent cela, et certains exigent son départ. Il y a une dynamique dans ce sens là. Le départ de Tantaoui, bien que souhaité, n'est pas sûr. Le rapport de force est en train de se préciser, et va se confirmer avec les élections. Est-ce Mohamed El Baradei pourra incarner une alternative crédible ? On a parlé de Baradei comme candidat présidentiel lors des premières manifestations de Tahrir, en janvier dernier. On considérait qu'il avait alors très peu de chance de s'imposer. Il est très apprécié des Egyptiens, notamment en raison de sa présidence, terminée récemment, à la tête de l'AIEA. Bien qu'étant un personnage important, certains secteurs de l'opposition lui ont reproché de revenir de l'étranger alors que personne ne le connaissait plus vraiment, voire d'être trop proche des Américains. Il est difficile de penser qu'il pourrait refaire surface politiquement. Peut-être ultérieurement pourra-t-il jouer un rôle d'arbitre…