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Emeutes du pain 30 ans après…
Publié dans L'observateur du Maroc le 28 - 06 - 2011

Un procès au nom de la justice, de la transparence et de l'histoire», lance le procureur général du roi. En présence de quelques familles de victimes du drame et de survivants qui tentent tant bien que mal de retenir leurs larmes, le juge commence cette audience «au nom du peuple». Trente ans auparavant, ces mêmes familles vivaient le pire jour de leur vie. Après l'allocution du procureur, l'assistance est émue à l'arrivée des familles de victimes venues témoigner, raconter leur vécu et commémorer ce 30e anniversaire. Comme si c'était hier…
flash-back. 20 juin 1981. 10 heures. C'est le début d'une émeute sanglante qui laissera sur le pavé de Casablanca des centaines de morts et de blessés. Raison première invoquée, la hausse brutale de 30% en moyenne des prix des produits de première nécessité. Ce qui a eu l'effet d'une bombe sociale dans un Maroc au bord du chaos économique, entre la sécheresse persistante et le coût toujours plus élevé de la facture pétrolière. Les masses en colère s'attaquent à tous les symboles de la bourgeoise et du capitalisme : agences bancaires, villas, palais de la colline d'Anfa, voitures de luxe... Face à cette situation, le mot d'ordre est la répression: arrestations et inculpations en masse, procès en série, fermeture de locaux et interdiction de journaux. Toute une armada policière et judiciaire est déployée à l'encontre de la CDT et de l'USFP, accusées d'avoir été les instigateurs du soulèvement populaire. En décembre 2005, lors de la découverte du charnier de Hay Mohammadi, plusieurs associations de droits de l'homme ont clamé leur insatisfaction envers le travail de l'Instance Equité et Réconciliation (la commission nationale pour la vérité) dans sa recherche de la vérité.
Aujourd'hui, 30 ans après le drame, les familles des victimes pleurent toujours leurs proches. Zoubida, Mustafa, Saïd ou encore Mohamed… Plusieurs mères, pères et enfants ont péri dans ces émeutes, laissant derrière eux des familles affligées dont le seul espoir était de voir le corps de leurs proches avant de les enterrer.
Noureddine Zaki : «Sans ma mère»
Noureddine Zaki a cinq ans lorsque sa maman, Zoubida, décède dans les émeutes de 1981. Elle était enceinte. «Lorsque les forces de l'ordre ont jeté des bombes lacrymogènes sur les manifestants, je me rappelle que ma mère nous a lavé les yeux, mon frère, ma sœur et moi, avec de l'eau et de la menthe, avant de ressortir», se rappelle-t-il. Il était dix heures. A 14 heures, son père rentre à la maison. Noureddine se rappelle encore de son expression. «Ses traits étaient impassibles. Je savais qu'une chose grave avait eu lieu». Les voisins font sortir la fratrie Zaki de la maison pour les accueillir chez eux. Devant la porte d'entrée, le jeune enfant voit le corps de sa mère gisant par terre, couvert d'un drap. C'est le seul souvenir qu'il gardera d'elle. «Lorsque mon père tente de faire entrer le corps à la maison, deux éléments des forces de l'ordre le menacent et lui ordonnent de rentrer». Le corps de Zoubida reste à l'extérieur de 14 heures à 1 heure du matin. A cette heure-ci, une estafette vient le chercher et la famille Zaki ne le reverra plus jamais. A l'âge de 16 ans, Noureddine commence à poser des questions à son père. «Où se trouve la tombe de maman?». Le père demeurait alors silencieux. Et, après la grâce royale de 1994 et la création de l'IER, l'homme refuse de déposer le dossier. «Mon père avait tellement peur. Il ne voulait plus rien des responsables. Ils lui ont pris sa femme. Plus rien ne comptait pour lui après», raconte Noureddine. Ce n'est que lorsque des membres de l'instance viennent le convaincre qu'il accepte, difficilement. En 2007, la famille Zaki reçoit ses indemnités. 148.0000 dirhams répartis entre six membres de la famille : le père, les deux frères, la soeur et les grands-parents maternels. «Malheureusement, personne n'a su gérer cette somme. On n'en a pas profité», se rappelle Noureddine, qui n'a pas même eu droit à l'Intégration sociale. Après la découverte de la fosse commune de Hay Mohammadi (en décembre 2005), les responsables de l'enquête prennent un échantillon de l'ADN de la tante et de l'oncle de Noureddine. «Après le test, on m'a dit voilà ta mère. Mais qui pourra me l'assurer ? Je voulais enterrer ma mère selon les normes de l'islam. Je n'en aurai malheureusement jamais l'occasion» se désole-t-il. Aujourd'hui, Noureddine est âgé de 35 ans, marié et père de cinq enfants. Il habite à Derb Laâfou El Fassi et vend du jus en face de la gare routière Oulad Ziane à Casablanca. Bien qu'il ait réussi à trouver un travail, Noureddine pense toujours à sa mère qu'il n'a pas eu l'occasion de connaître. «La douleur n'a pas de prix. Je ne l'oublierai jamais…».
Jamal Lekwiss : «Je l'ai échappé belle»
20 juin 1981. Comme nombre de jeunes de son âge, Jamal, 19 ans, lycéen, participe à la grève générale lancée à l'initiative de l'UMT et de la CDT. Membre de l'Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM), le jeune homme sort protester dans la rue, et à l'instar de centaines de manifestants, il reçoit une balle à la cuisse. Dans un état critique, il est transporté aux urgences par des amis. «A la surprise générale, ce sont les autorités qui m'accueillent à la place des médecins». Deux éléments des forces de l'ordre l'emmènent dans une salle et l'interrogent durant des heures sans que sa blessure ne soit traitée. Ce n'est que lorsque les médecins interviennent que l'interrogatoire prend fin. Les médecins enlèvent la balle de sa cuisse et lui cousent la plaie sans anesthésie. «Je m'évanouissais et je me réveillais. La douleur était atroce», se rappelle-t-il. Il passe quatre jours à l'hôpital, d'un interrogatoire à un autre. «On me «colle» un premier procès. On m'emmène ensuite, les yeux bandés, à un endroit que je ne connais toujours pas et dans lequel je passe 48 heures d'interrogatoires et de torture. On faisait tout de même attention à ma blessure», raconte Jamal. Il est transféré ensuite à la centrale d'Al Maârif où il signe un deuxième procès qu'il n'a jamais pu lire. Le jour de l'audience, plusieurs autres personnes qu'il n'a jamais vues se présentent avec lui. Audience fermée et aucune défense… Jamal a droit à un procès marathon. Il écope de 15 ans de réclusion et est transféré à la prison centrale de Kénitra, appelé communément Alcatraz par les prisonniers. «C'était horrible», se souvient-il. Autre mal dans l'histoire : sa plaie. Jamal garde le pansement durant dix jours. Elle s'infecte. Lorsque les infirmiers de la prison enlèvent le bandage, l'odeur est nauséabonde. Jamal a du traiter sa blessure pendant deux ans. 13 ans après, il est gracié avec les 424 autres prisonniers politiques. Après des allers retours incessants, Jamal a droit à 200 000 dirhams d'indemnités. «Pour moi, l'IER c'est l'instance de l'équité et de la non réconciliation», dénonce-t-il. Jamal estime que ce dossier nécessitait un traitement exceptionnel par des responsables capables de comprendre la situation des familles de victimes en détresse. A présent, Jamal est au chômage, malgré son DESS en relations internationales. Marié et père de deux filles, Jamal, âgé de 49 ans, tente tant bien que mal de joindre les deux bouts. Ce n'est pas gagné…
Abdellah Zouik : «J'aurais préféré mourir»
Abdellah dit ne s'être jamais intéressé à la politique. Il arrête ses études avant d'intégrer le lycée et essaie d'aider son père en enchaînant les petits boulots. Le 20 juin 1981, il a 24 ans. Alors qu'il déjeune avec sa mère et sa femme enceinte, des forces de l'ordre font irruption dans la maison et l'emmènent, sous le regard sidéré des deux femmes. Il est transféré dans la centrale 46 et est enfermé dans un 10m2 en compagnie de 80 autres personnes. «C'était l'été. Il faisait chaud. Je voyais les gens mourir d'étouffement. C'était horrible», se remémore Abdellah. Total : 36 morts. Ceux qui ont survécu sont transférés à la caserne d'Ain Harrouda. «On a eu droit à des procès improvisés comme beaucoup de manifestants. J'ai écopé d'un an de prison», raconte-t-il. A sa sortie, Abdellah ne croit toujours pas à l'histoire qui lui est arrivé. «J'avais toujours l'impression que je finirais par me réveiller de ce cauchemar. En vain». Père de quatre enfants actuellement, Abdellah n'a jamais pu trouver de travail. «Quelqu'un avec des antécédents judiciaires ne peut plus jamais travailler. A chaque fois que je me présentais à un poste, on me refoulait». Le père de famille sort de la grande prison pour se retrouver dans une autre, plus petite, mais qu'il estime incroyablement injuste. «Je n'ai même pas eu droit aux indemnités. Lorsque j'ai déposé mon dossier, on m'a dit que le délai était dépassé. Comment aurai-je pu savoir cela?», se rappelle-t-il. C'est grâce à son père, décédé en 2007, que les enfants d'Abdellah finissent leurs études. Ils n'ont malheureusement toujours pas trouvé de poste. «Ma vie n'a plus de sens depuis 1981. J'aurai préféré mourir que de vivre cet enfer», pleure Abdellah.
«Nos morts ne reposeront jamais en paix.»
Saïd Masrour, Président de l'association de familles des victimes de 1981
Entretien réalisé par N.M
L'Observateur du Maroc. Comment s'est déroulé le 30e anniversaire des émeutes de 1981 ?
Saïd Masrour. On a fêté le 30e anniversaire des émeutes de Casablanca chez la famille de la victime Mohcine Bechar en présence des familles, des sympathisants et de quelques associations. Sous le thème «Toute la vérité en mémoire des victimes», cette réunion nous a permis de faire le point, 30 ans après le drame. Les survivants de 1981 et les familles des victimes reconnaissent les avancées du dossier grâce notamment au Roi Mohammed VI. Pourtant, beaucoup d'éléments ont empêché la résolution de ce dossier et continuent encore de retarder le processus. A nos yeux, la façon avec laquelle le dossier de 1981 a été traité sous-estime l'impact de la tragédie. Selon nous, de 1981 à 2011, tout a été établi de manière aléatoire. Même l'Instance Equité et Réconciliation n'a pas été à la hauteur. On voulait résoudre ce dossier de façon démocratique. On avait besoin d'une bonne volonté politique avec des responsables qui compatissent avec les familles et qui comprennent leur situation.
Les indemnités étaient-elles à la hauteur ?
Malheureusement, les indemnités ont également été données de façon aléatoire. Certains n'ont rien eu. Ils n'ont même pas profité de l'Intégration sociale. Nos indemnités ont été dérisoires, alors que certaines familles de martyrs ont pu avoir des indemnités avoisinant les 400.0000 dirhams. Y a-t-il une différence entre les victimes ? Il n'y a pas pire que ce qui s'est passé en 1981. Pourquoi ne donne-t-on pas de valeur à la caste populaire? En plus, l'IER a imposé un délai de dépôt de dossier. C'est «Hchouma»! Nos enfants ont passé la fleur de l'âge en prison ou ont même perdu leur vie dans ce drame ! Malheureusement, il n'y avait pas de communication sur le sujet. La plupart des victimes et de leurs proches étaient analphabètes Pourquoi les partis politiques ne s'intéressent pas à notre dossier ? Ils auraient pu au moins le médiatiser davantage et dénoncer tous ces gens indemnisés sans mérite. On n'a plus besoin de cette politique d'improvisation. Le Roi en personne veut la résolution du dossier.
Et cette dernière fosse commune découverte à Hay Mohammadi ?
Lorsque nous avons découvert la fosse commune mitoyenne à la caserne de la protection civile de Hay Mohammadi, nous avons organisé le même jour une manifestation en présence de Mohamed Sebbar, alors président du Forum Vérité et Justice, Abdeslam Oumalek, Secrétaire général de l'IER, et des familles des victimes de 1981. Les restes des corps trouvés ont été extraits avec des tracteurs et de façon aléatoire, sans aucun respect pour la mémoire des morts ni pour les familles présentes. Les corps ont été exhumés puis enterrés individuellement dans la discrétion. Durant la même période, les responsables nous avaient dit que des équipes françaises travaillaient sur les échantillons d'ADN des corps trouvés pour définir leur identité. Toutes les familles n'ont pas été appelées le jour de l'inauguration du cimetière. C'était de la pure improvisation. En plus, la fosse contenait 77 corps tandis que le rapport de l'IER parlait de 114. Où sont les autres ? Malheureusement, nos morts ne reposeront jamais en paix.


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