Portée par le Discours du Trône 2024, la réutilisation des eaux usées gagne du terrain. Les stations se modernisent et les volumes progressent, tandis que le pays prépare la montée en échelle. C'est à l'occasion du Discours du Trône 2024 que la réutilisation des eaux usées est véritablement entrée dans le cœur de la stratégie hydrique marocaine. Dans ce discours, Sa Majesté le Roi Mohammed VI déclare : «Dans le même cadre, Nous donnons Nos orientations pour l'adoption d'un programme plus ambitieux de traitement et de réutilisation des eaux. De fait, les volumes ainsi traités peuvent représenter une source importante pour couvrir les besoins des secteurs de l'irrigation, de l'industrie et d'autres activités». Cet extrait fixe un cap clair : il ne s'agit plus seulement de dépolluer avant de rejeter, mais de considérer l'eau traitée comme une ressource stratégique à part entière, mobilisable pour l'agriculture, l'industrie et certains usages urbains. Cette inflexion intervient dans un contexte de sécheresse persistante depuis 2017 et de baisse marquée du taux de remplissage des barrages, qui oblige notre pays à diversifier rapidement son "mix" hydrique en combinant barrages, dessalement et réutilisation des eaux usées traitées. Un parc en expansion Pourtant, le traitement des eaux usées ne date pas d'hier sous nos cieux, puisque depuis le lancement des grands programmes d'assainissement liquide, notre pays a mis en service près de 187 stations d'épuration, faisant progresser le taux national d'épuration de 7% en 2006 à plus de 57,5% en 2024. Les investissements cumulés dans ce secteur atteignent 48,58 milliards de dirhams à fin 2024, dont 25,33 milliards déjà réalisés et plus de 23 milliards engagés, selon le ministère de l'Intérieur. Ce socle d'infrastructures permet aujourd'hui de produire des volumes significatifs d'eaux usées traitées : en 2024, environ 40 à 50 millions de mètres cubes ont été réutilisés, principalement pour l'irrigation de golfs, d'espaces verts urbains et pour quelques projets industriels pilotes. La tendance est clairement à la hausse : en 2023, quelque 37 millions de mètres cubes étaient déjà réutilisés, et les autorités estiment que ces volumes devraient plus que doubler à court terme lorsque les projets en cours se concrétiseront. Villes pilotes Ainsi, la montée en puissance de la réutilisation se joue d'abord dans les grandes agglomérations, qui concentrent la majorité des stations et des usages non domestiques. À Casablanca-Settat, la Société régionale multiservices prévoit la construction de 13 nouvelles stations d'épuration, capables de traiter jusqu'à 26 millions de mètres cubes d'eaux usées par an, destinés à l'arrosage des espaces verts, des golfs et à l'alimentation de certaines zones industrielles. Dans la métropole, la future station dédiée à l'arrosage des espaces verts de Casablanca et Mohammedia s'inscrit dans ce mouvement de bascule vers des réseaux séparés pour l'eau régénérée. D'autres villes comme Marrakech, Rabat-Salé-Témara, Tanger, Tétouan ou Agadir réutilisent déjà une partie de leurs effluents pour les espaces verts ou certains sites touristiques, ce qui permet de préserver l'eau potable pour les usages prioritaires. Ces projets urbains servent de vitrines techniques et institutionnelles : ils montrent que la réutilisation peut s'intégrer à la gestion quotidienne des services municipaux, à condition de sécuriser les normes de qualité, les canalisations dédiées et les montages financiers. Horizons 2027 et 2040 Derrière ces projets de terrain se dessine une trajectoire chiffrée beaucoup plus ambitieuse. Le Programme national d'assainissement mutualisé et de réutilisation des eaux usées prévoit de porter les volumes réutilisés à 100 millions de mètres cubes par an à l'horizon 2027, soit un triplement par rapport aux niveaux actuels, puis de viser environ 573 millions de mètres cubes d'ici 2040. La quasi-totalité de ces volumes serait destinée aux villes et centres urbains, avec une part plus réduite pour les centres ruraux, afin de soulager durablement les nappes et d'accompagner la croissance de la demande en eau, qui pourrait passer de 16 à 18,6 milliards de mètres cubes par an à l'horizon 2050. Pour atteindre ces objectifs, les autorités misent sur la poursuite des investissements dans l'assainissement, sur des partenariats public–privé pour exploiter les nouvelles stations et sur l'intégration de solutions numériques de télémesure et de contrôle en temps réel. Si les jalons annoncés sont tenus, la réutilisation des eaux usées traitées pourrait couvrir une part significative des besoins non domestiques, libérant des volumes d'eau potable pour la consommation humaine et faisant de ce chantier l'un des principaux leviers de résilience hydrique du Royaume.
3 questions à Driss Ouazar, expert dans le domaine de l'eau : « Le Maroc prévoit d'augmenter significativement les volumes réutilisés » * Comment le chantier de la réutilisation des eaux usées évolue-t-il et quelles perspectives ouvre-t-il pour les prochaines années ? - La réutilisation des eaux usées traitées occupe désormais une place centrale dans la stratégie hydrique nationale, renforcée récemment par les orientations du Discours Royal. Ce chantier connaît désormais une accélération importante : le Maroc dispose d'un parc de plus de 160 stations d'épuration, dont un nombre croissant est conçu ou adapté pour permettre la réutilisation directe ou indirecte. Plusieurs villes (Marrakech, Oujda, Agadir, Casablanca, Rabat) irriguent déjà leurs espaces verts ou alimentent des usages industriels grâce aux eaux réutilisées. L'Etat encourage la montée de ces stations, le passage aux traitements avancés et la création de réseaux séparatifs dédiés.
* Au-delà de cette accélération, quels sont les effets concrets de la réutilisation sur la gestion de la ressource en eau au Maroc ? - L'évolution du chantier s'inscrit aussi dans une logique de gestion intégrée : la réutilisation des eaux usées traitées contribue à réduire la pression sur les eaux superficielles et souterraines, en particulier dans les régions en stress hydrique. Elle offre une ressource pérenne et régulière, indépendante de la variabilité climatique. Certains programmes visent aussi la recharge artificielle des nappes, l'irrigation contrôlée des périmètres agricoles périurbains et l'alimentation de certains processus industriels.
* Quelles sont les perspectives attendues pour les prochaines années en matière de réutilisation des eaux usées ? - Les perspectives sont ambitieuses pour les prochaines années. Le Maroc prévoit d'augmenter significativement les volumes réutilisés, de généraliser les projets de réutilisation des eaux usées traitées dans les grandes agglomérations, et de déployer des partenariats public–privé (PPP) pour accélérer la modernisation des stations. L'intégration de solutions digitales (télémesure, contrôle en temps réel) et l'adoption de normes de qualité renforcées permettront d'élargir les usages possibles. La réutilisation des eaux usées traitées deviendra ainsi un pilier essentiel du mix hydrique national, capable d'accroître la résilience du pays, de sécuriser les activités économiques et de soutenir la transition vers une gestion circulaire de l'eau à l'instar de Singapore. Territoires pilotes : Premiers résultats, mais les défis majeurs toujours en suspens Dans plusieurs régions, la réutilisation des eaux usées traitées commence à prendre forme. Les derniers recensements font état d'une quarantaine de projets en service ou en déploiement, principalement dédiés aux espaces verts, aux golfs et à quelques installations industrielles. Ces usages restent limités, mais ils permettent de tester les réseaux, les normes et les capacités réelles des stations d'épuration. À Marrakech, la STEP traite près de 33 millions de mètres cubes par an. Une partie alimente quatorze golfs et la palmeraie, évitant des prélèvements dans des nappes très sollicitées. Dans le Nord, une convention de plus de 280 millions de dirhams finance l'arrosage des espaces verts de Tanger, Assilah et Geznaya grâce à plusieurs stations, pour un volume prévu de 3,4 millions de mètres cubes par an. À Casablanca-Settat, treize nouvelles STEP sont programmées pour produire jusqu'à vingt-six millions de mètres cubes d'eau traitée, dont une part sera distribuée aux parcs urbains via des réseaux dédiés. Ces avancées montrent que les villes apprennent à substituer l'eau régénérée à l'eau potable pour les usages non prioritaires. Mais elles soulignent aussi la distance qui sépare ces applications urbaines des objectifs les plus sensibles : l'irrigation agricole, la recharge artificielle des nappes ou, un jour peut-être, la production d'une eau potable issue de l'eau usée traitée. La question n'est plus technique : elle est de savoir quand le Maroc atteindra un niveau suffisant de maîtrise, de sécurité sanitaire et de contrôle pour franchir cette nouvelle étape.
Procédés : Comment les eaux usées deviennent une ressource réutilisable Avant de pouvoir être réutilisée, l'eau usée suit un parcours précis dans les stations d'épuration. La première étape consiste à retirer les éléments les plus visibles : plastiques, graviers, sable ou matières en suspension. Vient ensuite le traitement biologique, où des micro-organismes dégradent la pollution organique dissoute. Cette phase, qui constitue le cœur de l'épuration, permet d'obtenir une eau nettement plus propre, mais encore insuffisante pour être utilisée en toute sécurité. Pour atteindre la qualité nécessaire aux usages urbains ou industriels, un traitement tertiaire est appliqué : filtration fine, membranes ou rayons UV permettent d'éliminer les germes résiduels. L'eau devient alors apte à l'irrigation de parcs, de golfs ou à certains processus industriels. Dans les installations les plus avancées, une étape supplémentaire peut compléter le cycle : la réduction des micropolluants ou des résidus chimiques. Ces procédés, encore rares, annoncent la prochaine génération d'eaux régénérées, capables d'offrir une qualité stable et contrôlée pour les usages sensibles.