La mise en œuvre de la loi 31.13 sur le droit d'accès à l'information au Maroc demeure entravée par d'importantes résistances administratives, avec un taux de réponse dérisoire de seulement 33,33% pour un délai moyen de traitement dépassant les 50 jours. L'accès à l'information constitue le socle de toute démocratie participative et un levier essentiel de la bonne gouvernance. Au Maroc, bien que ce droit soit constitutionnellement garanti depuis 2011, sa mise en œuvre concrète se heurte à des défis structurels et institutionnels majeurs. Le récent rapport de bilan, publié par la collaboration entre SimSim – Participation Citoyenne et l'Association Pionniers du Changement (APCD), dresse un état des lieux sans concession. Ce document, qui clôture les activités au 30 novembre 2025, évalue l'impact du projet intitulé «Le droit d'accès à l'information comme mécanisme de plaidoyer pour la transparence et la bonne gouvernance».
Diagnostic alarmant sur la réactivité institutionnelle Le cœur de ce projet, cofinancé par l'Union Européenne, s'appuie sur une expérience de terrain visant à tester la réactivité des organismes publics via le portail national (lien non disponible). Les résultats sont particulièrement éloquents : sur un total de 102 demandes électroniques adressées à 60 institutions nationales et locales, le taux de réponse global n'a pas dépassé 33,33%. Cette faible interaction s'accompagne d'un non‐respect flagrant des délais légaux prévus par l'article 16 de la loi 31.13. En effet, seules 20 réponses sur les 34 obtenues ont respecté ces délais, tandis que la durée moyenne d'attente pour un citoyen s'élève à 50,53 jours ouvrables. Cette lenteur bureaucratique souligne une culture du secret encore ancrée, contrastant avec les obligations de transparence.
CDAI, un régulateur dont les prérogatives sont à renforcer Un point central du rapport concerne la Commission du Droit d'Accès à l'Information (CDAI). Bien qu'elle soit l'organe de régulation, le rapport pointe une «limitation de son rôle» et une connaissance insuffisante du public quant aux voies de recours qu'elle propose en cas de refus d'une administration. Le projet a cependant permis d'initier un dialogue direct avec cette instance à travers cinq réunions de plaidoyer et sa participation aux conférences annuelles du projet. Les conclusions du rapport soulignent que l'efficacité de la CDAI est actuellement bridée par un manque de coordination institutionnelle et des moyens d'action qui méritent d'être élargis par une réforme législative.
Les failles structurelles de la loi 31.13 L'analyse produite par SimSim et l'APCD interroge la substance même du cadre législatif actuel. Elle dénonce des ambiguïtés rédactionnelles qui affaiblissent le caractère obligatoire de la transparence. L'utilisation de clauses telles que «dans la mesure du possible» concernant le partage des données offre aux administrations une échappatoire légale pour limiter la diffusion proactive d'informations. L'un des points les plus critiques du rapport concerne le positionnement international du Royaume. Le Maroc occupe la 92ème place sur 140 pays en matière de droit d'accès à l'information, avec un score de 74 points sur 150, selon l'indice RTI (Right to Information). Ce classement montre que, si l'étape de la reconnaissance légale est franchie, le pays échoue encore dans l'étape de l'efficacité démocratique. Ce résultat médiocre s'explique par des faiblesses structurelles de la loi 31.13, notamment une liste trop large d'exceptions (sécurité, vie privée, etc.) qui permet aux administrations de justifier très facilement un refus. Le rapport souligne également que le manque d'automatisme dans la «publication proactive» et la complexité des recours pèsent lourdement sur l'indice marocain. Pour remonter dans ce classement, le pays doit s'aligner sur les principes de l'«Article 19», qui stipulent que la divulgation doit être la règle et le secret l'exception. Autre élément soulevé par l'étude : des plateformes comme le portail de la Chambre des Représentants ou l'expérience de la commune d'Aït Melloul constituent des modèles encourageants, mais restent des exceptions dans un paysage où le partage d'informations est souvent partiel et irrégulier.
Mobilisation régionale pour forcer le changement Pour pallier ces blocages, le projet a déployé une stratégie de renforcement des capacités dans six régions cibles : Béni Mellal‐Khénifra, Fès‐Meknès, l'Oriental, Marrakech‐Safi, Drâa‐Tafilalet et Souss‐Massa. Jusqu'à novembre 2025, cette dynamique a permis de former 300 citoyennes et citoyens, dont 55 journalistes, et de créer six observatoires régionaux chargés de surveiller l'application de la loi au niveau local. L'aboutissement majeur de cette initiative est la rédaction d'une proposition de loi réformant le texte 31.13. Ce projet de réforme suggère de réduire les délais de réponse, de limiter les exceptions discrétionnaires et de renforcer l'indépendance de la CDAI pour en faire un véritable garant de la transparence. En guise de conclusion, le rapport de SimSim et de l'APCD agit comme un signal d'alarme. Le passage d'un droit théorique à une pratique citoyenne quotidienne exige désormais une révision courageuse de la loi 31.13 et un investissement massif dans la culture de la transparence. Seule une volonté politique claire et un renforcement des pouvoirs de la Commission permettront de transformer l'information en un véritable levier de redevabilité et de confiance entre le citoyen et ses institutions.
A. CHANNAJE
Loi 31‐13 : Modalités de demande et exceptions L'adoption de la loi 31‐13, promulguée le 12 mars 2018, a marqué le passage d'un principe constitutionnel à un cadre juridique concret pour l'accès à l'information au Maroc. Le texte a été présenté comme une avancée majeure, car il précise les modalités selon lesquelles tout citoyen, résident ou personne morale peut solliciter des documents détenus par les administrations publiques. Pour formuler une demande, le requérant doit adresser une requête écrite, soit par courrier, soit via le portail numérique (lien non disponible) La demande doit contenir l'identité du demandeur, une description précise de l'information recherchée et, le cas échéant, la justification de l'intérêt à obtenir ces données. La loi impose aux autorités de répondre dans un délai de vingt jours ouvrés, avec la possibilité de prolonger ce délai de dix jours supplémentaires en cas de recherche complexe. Si la demande est acceptée, l'administration doit fournir l'information sous forme lisible ; si elle est refusée, elle doit notifier le motif en se référant explicitement à l'une des exceptions prévues par la loi. Les exceptions, au cœur du débat, sont listées à l'article 6 de la loi. Elles couvrent la protection de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la vie privée, des secrets commerciaux et industriels, ainsi que les informations dont la divulgation porterait atteinte à la conduite des relations internationales ou à la protection des sources judiciaires. Une clause de «mesure du possible» permet aux administrations de limiter la diffusion lorsqu'elles jugent que la publication pourrait nuire à l'intérêt général, ce qui a souvent été interprété comme une porte d'entrée à des refus discrétionnaires. En pratique, ces dispositions ont généré une tension entre la volonté de transparence affichée par le législateur et la persistance d'une culture du secret au sein de l'appareil administratif.