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L'automédication à travers les médias: Dr Souad Skalli: Nous ne disposons pas de réglementation qui régit la prescription et la dispensation des plantes médicinales
C'est dans l'air du temps. Les vertus des plantes reviennent sur scène tambour battant. Des boutiques de produits curatifs naturels, des herboristeries naissent comme des champignons ; des « connaisseurs » en plantes médicinales aussi. Et pour ne pas être en reste les médias s'y mettent et louent leurs pages et leurs ondes à ce réseau, ayant apparemment trouvé en la pratique un vrai filon d'or. Aurait-on trouvé la panacée universelle contre tous les maux du siècle ? Ou serait-on en train de faire courir un danger latent aux consommateurs de ces produits qui échappent au contrôle et à un usage correct ? Le point avec Dr Souad Skalli,Docteur d'Etat en Sciences Biologiques et Responsable de la Phytovigilance au Centre Anti Poison et de Pharmacovigilance du Maroc (CAPM) L'Opinion : Qu'est-ce qui explique, à votre avis, cet engouement, ou si vous voulez, ce regain d'intérêt vers l'automédication par les plantes ? Dr Skalli : C'est vrai qu'au cours de ces dernières décennies il y a un regain d'intérêt vers l'automédication par les plantes mais cet intérêt n'est pas spécifique au Maroc. Une immense augmentation d'utilisation de ces plantes médicinales dans toutes les cultures même des non usages traditionnels a été remarquée. Aux Etas unis d'Amérique par exemple 400% d'augmentation de cet usage a été enregistrée entre 1990 et 2000. En Allemagne, 70% de la population utilise les plantes médicinales. Le phénomène est mondial parce qu'on vit dans une époque de mondialisation ; parce que ce sont les nouvelles technologies qui y participent ; parce qu'en effet plusieurs plantes ont des propriétés médicinales; de fait, plusieurs médicaments pharmaceutiques ont été dérivés de plantes et surtout parce que les plantes médicinales et les ″médicaments″ d'origine végétale passent dans l'esprit de nos populations pour être efficaces et bien tolérés, parce que naturels et faisant partie de la médecine ″douce″. Mais cette confiance en la nature n'est-elle pas un peu aveugle et dangereuse ? Parce que tout ce qui est naturel n'est pas forcément synonyme d'anodin et tout ce qui est chimique ne signifie pas toxique et dangereux. Et c'est là la grosse erreur parce que les plantes sont, certes, naturelles mais contiennent des composés chimiques tout aussi puissants que ceux que renferment les médicaments sur ordonnance et, étant pharmacologiquement actives, les plantes, utilisées de façon irrationnelle, peuvent être responsables d'effets nuisibles, dangereux voire mortels nécessitant une vigilance continue. Il y a aussi le facteur information. Avant c'était à la façon traditionnelle, la maman qui conseille, la belle-mère, la voisine... Aujourd'hui l'information nous vient d'autres sources dont les médias : j'ouvre ma radio, j'entends une émission qui parle de tel produit ; cela m'encourage à aller à sa recherche, à le découvrir et à l'utiliser. L'Opinion : Surtout que de nos jours on est encouragé par la source du conseil : un « spécialiste » et non plus la maman ou la voisine... Dr Skalli : Voilà, si on présente la chose ainsi. On a plus confiance quand cela passe à la radio ou à la télé. L'information est plus « crédible » et donc elle passe mieux. Et c'est vrai que l'appellation « Docteur » ou « Professeur » met en confiance ; ce sont des gens diplômés, spécialistes dans le domaine et donc on ne craint rien en suivant leurs directives. L'Opinion : Quelles sont les plantes les plus toxiques selon les cas enregistrés par votre centre ? Dr Skalli : Nous-mêmes en tant qu'unité de phytovigilance, nous ne sommes pas contre la phytothérapie mais contre l'usage irrationnel des plantes dites médicinales. Je peux vous citer une dizaine des plus toxiques. Nous avons Bereztem, dont l'appellation latine, botanique ou scientifique est Aristolochia longa, le katran, (huile de cade), dont le nom scientifique est le Juniperus oxycedrus. L'huile de cade donne des effets indésirables graves chez l'enfant et les bébés. Cette huile contient du phénol qui est très toxique aussi bien par application que par ingestion. L'Opinion : Le fait de boire dans des verres en terre badigeonné de cade, comme c'est l'usage chez certains consommateurs, est-il nocif aussi ? Dr Skalli : Non, ce n'est pas vraiment nocif parce que le contact n'est pas direct et la composition est différente aussi bien sur le plan quantité que qualité du produit utilisé. Nous avons aussi M'khinza (Chemopodium ambrosioides). Les Marocains l'utilisent dans le traitement de la fièvre. Seulement il y a plusieurs plantes qui lui ressemblent ; aussi cette plante a la particularité d'avoir sa dose thérapeutique très proche de sa dose toxique. Il y a aussi Addâd appelé en Français le Chordon à glu (Atractylis gummifera), utilisé généralement en milieu rural. C'est une plante qui ressemble à l'artichaut et dont la racine est sucrée. Les enfants, quand ils jouent dans les champs, l'apprécient pour son bon goût sucré et donc c'est généralement une fratrie qui en subit les conséquences ; une intoxication collective dans la plupart des cas. Malheureusement les manifestations cliniques de cette plante sont tardives ; elles peuvent survenir trois jours après l'ingestion de cette plante qui est vraiment dangereuse et qui peut même être fatale. L'Opinion : C'est une plante qu'on retrouve chez l'herboriste, non ? Elle est quand même connue... Dr Skalli : Oui, certes, on la retrouve en herboristerie alors que c'est une plante toxique. L'Opinion : Qui ne doit donc même pas être commercialisée ? Dr Skalli : Normalement non parce que nos textes de loi sont, certes, très anciens; nous avons un vide juridique de plus de 50 ans mais ces textes qui existent interdisent la vente de toutes les substances vénéneuses et c'est le cas pour addad qui ne doit pas être vendu en herboristerie. Il y a aussi Chedeq jmel (Datura stramonium), Kharwaa ou wriwera (Ricinus communis), Khachekhach (Papaver somniferum), Harmel (Peganum harmala), Chih (Artemisia herba alba), une plante aromatique assez toxique sur le plan neurologique. Nous avons une autre problématique, importante à indiquer : les recettes toutes faites, une mixture de plusieurs plantes et autres produits de la pharmacopée traditionnelle dont nous ne connaissons pas la composition et que la patiente affirme l'avoir acheté chez l'herboriste ; elle est à base de produits naturels ? On ne sait pas ce qu'il y a dedans parce que la mixture est souvent sous forme de poudre. Quand on a le nom de la plante qui a été utilisée au moins on sait de quoi il s'agit ; on a une idée de la composition, on connait l'intoxication. Si on est appelé par le médecin qui prend en charge le malade on lui donne rapidement le principe toxique, la conduite à tenir et la prise en charge du malade est rapide et l'évolution souvent favorable. Mais cela reste quand même un effet indésirable, une intoxication, un malaise, une hospitalisation, un coût par rapport à l'Etat et aux patients.