Maroc–Gambie : un mémorandum pour renforcer l'audit public    Economie tunisienne. La reprise se fait attendre    Finances publiques : les dépenses pèsent lourd sur le budget    Canicule : Peut-on rendre nos bâtiments moins énergivores ? [INTEGRAL]    Crash d'Air India: L'Inde ordonne une inspection d'urgence des interrupteurs de carburant des Boeing    CAN féminine de football : le Maroc affronte le Mali en quart de finale    Edito. CAN 2025 : le Maroc dans les starting-blocks    Patrimoine mondial : Trois sites africains sortent de la Liste du péril selon l'UNESCO    Décès du manifestant retranché 18 jours en haut d'un château d'eau à Béni Mellal    Tensions Brasilia-Washington : la Cour suprême brésilienne réfute les accusations de Trump au sujet de Bolsonaro    Commission nationale des investissements : 237 projets approuvés en 8 sessions pour plus de 369 MMDH    La startup marocaine ORA Technologies lève 7,5 millions de dollars    Brahim Diaz perte de vitesse au Real Madrid, mais le club continue de lui faire confiance    Cañizares : "Hakimi mérite le Ballon d'or 20 fois plus que Dembélé"    Récolte sucrière : Cosumar accélère la mécanisation    Administration équitable : lancement du programme national du Médiateur du Royaume    Feux de forêt au Canada: Toronto parmi les villes ayant la plus mauvaise qualité de l'air au monde    Inquiet, le Polisario mobilise ses partisans au Parlement irlandais    Sahara : Le PP espagnol réagit à l'appel de l'Istiqlal de soutenir le plan marocain    La Chine accompagne le Maroc dans le déploiement de la 5G : l'ouverture des licences renforce le partenariat technologique entre Rabat et Pékin    Financement participatif destiné à l'habitat : Un encours de 26,6 MMDH à fin mai    Camps de Tindouf : Les discours triomphalistes du Polisario peinent à convaincre    La Résidence de France à Rabat célèbre la Fête nationale en présence de plus de 2 500 invités    Les prévisions du mardi 15 juillet    Sáhara: El Polisario llama a Francia, España y Estados Unidos a reconsiderar sus posiciones    Festival des Plages 2025 : Maroc Telecom donne le coup d'envoi    L'UNESCO inscrit les tombeaux impériaux de Xixia au patrimoine mondial... La Chine poursuit la valorisation de son héritage civilisationnel    Inscription des tombes impériales de la dynastie Xia de l'Ouest sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO    La France célèbre son 14 Juillet sous le sceau du renouveau diplomatique avec le Maroc    Maroc-France. Sa Majesté le Roi Mohammed VI félicite le Président français    Newcastle courtise le Marocain Amir Richardson    E-Visa. Le Maroc dresse le bilan    Maroc Telecom lance la 21eédition du Festival des Plages    La Chine... Le festival de musique "Strawberry" à Urumqi : une vitrine de l'ouverture culturelle au Xinjiang    ANEF : risque extrême d'incendie identifié à Chefchaouen, Taounate et Taza    DGAPR : 962 détenus réussissent les examens du Baccalauréat en 2025    CAN féminine : le Maroc affronte le Mali en quart de finale    Montée de haine contre les Marocains à Torre Pacheco : Vox mis en cause    Séisme de 5,5 au large de l'Espagne : Secousses ressenties dans plusieurs villes du nord du Maroc    Mondial des clubs: Hakimi et Bounou dans l'équipe type du tournoi (FIFA)    Lou Yixiao émerveille le public avec une tenue inspirée des femmes Hui'an de l'époque républicaine chinoise : Quand la magie du passé rencontre l'élégance contemporaine    Prévisions météorologiques pour le lundi 14 juillet 2025    Diplomatie : Rabat entre le poids de l'Occident et l'infortune des BRICS [INTEGRAL]    Maroc Telecom Beach Festival 2025 unites six cities with 113 free concerts    Italie : Quatre militantes arrêtées pour avoir voulu empêcher une expulsion vers le Maroc    Jazzablanca 2025 : A citywide celebration of jazz, beyond the stage    Décès de l'animateur vedette de la télévision française Thierry Ardisson    Biens culturels. Le Maroc s'attaque au trafic    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Modernité endommagée
Publié dans L'opinion le 07 - 04 - 2017

« Comparée à la ferveur des années 70, l'atmosphère actuelle est plutôt morose (...). Il n'y a rien de tel aujourd'hui. » Abdallah Zrika
C'est avec désappointement et déception que l'on peut comparer l'époque que nous vivons, aux vingt dernières années du siècle passé. « Les années 70, en particulier, constitueraient une sorte d'âge d'or. Années mythiques, marquées par les manifestes torrentiels de la revue Souffles, que dirigeait le poète Abdellatif Laâbi (...). Les audaces picturales de l'école dite de Casablanca (Farid Belkahia, Mohamed Chebaa, etc.). (...) Années fécondes où la galerie l'Atelier de Rabat servait de lieu de ralliement à des peintres en quête d'eux-mêmes. »(1)
L'expérience picturale des dernières décennies du 20ème siècle, se cantonne malheureusement, à digérer l'indigeste. On répète le « déjà vu » des années 60 et 70. Ce « déjà vu » lui-même qui n'a cessé durant des années, et continue encore, à côtoyer ce que l' »Autre » a crépité : un abstrait futile et frivole, repris avec cécité ; un lettrisme emballé dans des contextes nostalgiques et passéistes, auquel on se cramponne toujours, un figuratif mal dit, comme disent les maîtres d'école, et une régénération du naïf. Ce faufilage, en amont et en aval, est un phénomène chimérique de ces derniers temps. On assiste à des « sous-produits » qui calquent, sous une forme ou une autre, d'autres sous-produits. C'est une situation problématique, louche, confuse et ambigüe.
Déjà, en 1965, les peintres du « Groupe 65 » tirent la sonnette d'alarme, à travers leur « Position-manifeste », publiée dans la revue Souffle : « Si la confusion règne dans les domaines du cinéma, du théâtre et de la littérature, de la presse, le secteur des arts plastiques n'est pas épargné non plus »(2). Cette situation malaisée que vit le secteur culturel dans sa globalité, se voit s'aggraver depuis la fin des années 80. Ce n'est plus un abîme dans la sphère de notre réalité vécue. Plus que ça, un vécu, un quotidien où la tradition abuse des âmes comme elle dupe les visions. Même les descriptions sont devenues réticentes à ce fait et rien ne surprend. Les prémices de ce malaise ont commencé à émerger depuis les conflits qu'a connus le Moyen Orient, notamment, la guerre civile du Liban et celle de l'Irak – Iran.
« Lorsque je lève la tête pour méditer, je sens comme un vertige qui paralyse mes membres. Je ne suis plus capable de traverser les distances qui séparent nos moments vécus des trente dernières années et ce que nous vivons aujourd'hui ». (3)
Fort témoignage d'une masse d'intellectuels marocains qui ont accompagné le projet utopique qui visait la modernisation de la culture arabe. Projet d'une « modernité inachevée » (Jürgen Habermas) !
Le problème majeur de la modernité artistique marocaine et arabe en général, est qu'elle restait ancrée aux rivages du patrimoine «Attorat», au moment où la modernité occidentale a relativement rompu avec les traditions esthétiques gréco - latines et l'héritage de l'art classique, quelle jugeait médusés. Je dis bien relativement, car cette modernité n'a absolument pas rompu avec le passé et la tradition, comme on le croyait. Des mouvements artistiques de la fin du 19ème siècle et d'autres du début du 20ème ont pris naissance grâce à une ouverture sur les patrimoines d'autres civilisations non occidentales. Parmi les influences jugées décisives dans la genèse de l'art moderne restent celles de l'Extrême Orient asiatique (Chine et Japon), des arts du monde islamique, de l'Afrique noire et de l'Amérique latine. Les artistes occidentaux découvrent les œuvres de leurs collègues japonais Hokusai (1760-1849), Hiroshigué (1797-1858), Utamaro (1753-1806). Celles de Sesshu (1420-1506) restent « importantes pour comprendre l'art de Van Gogh ».
Vers 1911, projetant la rédaction de l'almanach du « Der Blaue Reiter* », Wassily Kandinsky (1866-1944) écrit à Franz Marc (1880-1916) : « J'ai un nouveau projet. Une sorte d'almanach avec des reproductions et des articles... et une chronique. Un lien avec le passé ainsi qu'une lueur éclairant l'avenir, doivent faire vivre ce miroir... Nous mettrons une œuvre égyptienne à côté d'un petit Zeh (nom de deux enfants doués pour le dessin), une œuvre chinoise à côté d'un Douanier Rousseau, un dessin populaire à côté d'un Picasso et ainsi de suite... »
Cette période a également connu un intérêt croissant pour les arts du monde islamique. L'attention a été focalisée spécialement sur l'arabesque, la miniature et la calligraphie. Edouard Vuillard (1868-1940), Emile Bernard (1868-1941), Mauris Denis (1870-1943), Pierre Bonnard (1868-1947), Henri matisse (1869-1954), Gustave Klimt (1862-1918), Raoul Duffy (1877-1953)... se trouvaient déroutés par un langage de formes pures, sinueuses et linéaires. Leurs espaces plastiques envahis d'ornements et d'aplats de couleurs, ne signifient que ce qu'ils signifient pour eux-mêmes. Des espaces qui tentent de « rendre au signe et au geste leur autonomie de forme pure ». Pierre Bonnard déclarait : «une peinture doit être un petit monde autonome ». Ce n'est pas par coïncidence si un spécialiste de l'art islamique comme Alexandre Papadopoulo, dans son remarquable ouvrage «l'Islam et l'art musulman» (4), parle lui aussi d'un « monde autonome», propre aux systèmes esthétique de l'art islamique, déviant l'iconoclasme théologique. C'est également ce monde autonome et indépendant qui nous convie à méditer les peintures cubistes, avant même l'expérience abstraite «kandinskyienne». Les peintres cubistes, qui d'habitude, se réfèrent aux arts africains, masques, totems... n'échappent pas eux aussi à cette hégémonie référentielle des productions patrimoniales de l'art musulman. T. Maraini écrit à ce propos : « on oublie qu'après 1910 leurs éléments – rabattus à la surface, imbriqués et construits selon plusieurs points de vue – agissent dans l'espace bidimensionnel comme ces tapis, ces fontaines, ces structures géométriques qui sont représentés vus d'en haut, ou étagés en hauteur et rabattus, dans de nombreuses miniatures arabo-persanes. Regardez à ce propos certaines structures de l'œuvre de Braque » (5).
A vrai dire, il est difficile de concevoir un rapprochement de l'espace plastique des œuvres cubistes - établi suivant des conceptions plastiques et des systèmes esthétiques autres - avec celui des miniatures arabo-persanes. L'idée est sujette à une analyse méthodologique et critique plus approfondie.
Rajoutons à ces influences la calligraphie, par ses gestes, sa neutralité chromatique, sa philosophie mystico-zen et son soufisme. Elle a été une haleine pour une majorité d'artistes des tendances abstraites qui ont adopté la trace, la gestualité et le lyrisme. A titre d'exemple, citons Georges Mathieu (1921-2012), Franz Kline (1912-1962), Hans Hartung (1904-1989), Pierre Soulages (97 ans), Marc Tobey (1890-1976)...
Les artistes de la modernité ont voyagé, à travers leur art et leur esthétique vers un Orient. Certains y ont réellement foulé les terroirs. D'autres ont transcendé cet Orient par leurs rêves et leur inconscient. Ce double voyage reste nécessaire pour saisir la nature de certaines prestances de l'art moderne, ses annexions esthétique et conceptuelle propres à d'autres cultures. « Par le truchement des arts de l'Autre, les peintres ramenaient à la surface des profondeurs de la conscience d'inquiétantes questions sur l'être et le langage »(6). Ainsi on peut comprendre le rôle qu'ont joué ces déplacements dans la genèse de différents mouvements artistiques tels : Arts and Crafts, l'Art nouveau ou jugendstil, le symbolisme, le synthétisme, les Nabis, Der Blaue Reiter ou Cavalier Bleu, le rayonnisme, le dadaïsme et le surréalisme, tout en arrivant aux avant-gardes abstraites. « Vive la beauté de l'Orient » annonçait le manifeste du rayonnisme à Moscou en 1913. Et quelle beauté revendiquons-nous à cette période fervente de slogans avant-gardistes ? C'est certainement cette beauté que découvrit, quarante ans plus tard l'artiste marocain Ahmed Cherkaoui (1934-1967), quand il a visité une exposition du français Roger Bissière (1986-1964).
Les artistes de la modernité n'avaient pas cependant l'œil pour voir, mais aussi l'esprit pour comprendre. Beaucoup d'entre-deux étaient influencés par le mouvement théosophique qu'ont développé les pensées orientales. Piet Mondrian (1872-1944), W. Kandinsky, Kazimir Malevitch (1878-1935), Paul Klee (1879-1940) et autres ont élaboré leurs œuvres suivant les retombées de cette philosophie.
Qu'en est-il des artistes arabes ?
De nos artistes ?
On aura la réponse dans le 3ème épisode de notre « modernité endommagée ».
* Le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter) est un groupe d‘artistes d'inspiration expressionniste, qui s'est formé à Munich. Ce groupe organise deux expositions (en 1911 et en 1912) et publie un almanach en 1912. Ses acteurs principaux sont Vassily Kandinsky, Franz Marc et August Macke. D'autres artistes comme Gabriele Münter, Heinrich Campendonk, David Burljuk, Alexej von Jawlensky, Paul Klee et Alfred Kubin y ont également participé. Ce groupe est, de peu, postérieur à l'autre grand groupe expressionniste allemand, né à Dresde en 1905 : Die Brücke (Le Pont). (Wikipédia)
Adil Hajji, Effervescence créatrice, blocages structurels. Malaise dans la culture marocaine, le Monde diplomatique, Septembre 2000.
F. Belkahia, M. Chebaa, M. Melehi - Position 2, Des peintres protestent, p.36, Souffle N° 4, 4ème trimestre 1966.
PAPADOPOULO (A.) - L'Islam et l'art musulman. P., Mazenod, 1976.
T. Maraini – Ecrits sur l'art, Ed. Le Fennec, Casablanca, 2014. Idem.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.