Le chercheur marocain, M. Lahcen Achy, a estimé que l'Indice de Pauvreté Multidimensionnelle (MPI), conçu par des chercheurs de l'Institut d'Oxford, ne doit pas servir de référence, le qualifiant de "conception unilatérale de la pauvreté multidimensionnelle". Par : Said Rifai M. Achy, chercheur au Centre "Carnegie Middle East" à Beyrouth, a expliqué, dans un entretien à la MAP, portant sur le rapport annuel du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), qui sera publié en octobre prochain, que cet indice prend en compte le niveau de privation du ménage par rapport à trois dimensions: la santé, l'éducation et le niveau de vie. "Un score qui varie entre 0 et 33 points est attribué à chaque dimension en fonction du niveau de privation du ménage. Si la somme des scores de privation pour les trois dimensions est supérieure à 30, le ménage est considéré comme pauvre", a expliqué le chercheur marocain, précisant que la santé est mesurée par la mortalité infantile et la malnutrition. Si la famille a déjà connu un cas de décès d'enfant de moins de 5 ans ou qu'elle compte un cas de malnutrition parmi ses membres, un score de 16,6 lui est attribué pour chacune des situations. L'éducation est mesurée par le nombre d'années passées à l'école par les membres du ménage et l'inscription des enfants de moins de 15 ans à l'école. Si aucun membre du ménage n'a été scolarisé pour une durée égale ou supérieure à 5 ans ou si un enfant de moins de 15 ans n'est plus inscrit à l'école, le ménage obtient un score de 16,6 points dans chacun des cas. Le niveau de vie est mesuré à l'aide de six composantes: accès à l'électricité, accès à l'eau, avoir des toilettes, avoir un parterre propre, utiliser un combustible propre pour la cuisson et avoir au moins deux biens durables (radio, TV, téléphone, bicyclette, mobylette..). Le ménage obtient un score de privation de 5,5 sur chacune des composantes qui lui fait défaut. L'une des contradictions de cet indice, a poursuivi le chercheur marocain, est que le Maroc, récemment présenté comme modèle en matière de lutte contre la pauvreté dans le monde arabe, se retrouve avec 28 pc de pauvres alors que moins de 14 pc de sa population vit avec moins de 2 dollars par jour. "Comment ce pays, qui a une espérance de vie de 72 ans à la naissance, se retrouve classé derrière le Djibouti et avant le Ghana, qui ont une espérance de vie de 55 et 57 ans et une population qui vit avec moins de 2 dollars qui représente 41 et 54 pc respectivement", s'est interrogé le chercheur marocain, qui a tenu à présenter trois cas de figure pour mettre à nu les lacunes de cet indice. Un premier ménage vit dans une villa spacieuse dans un quartier chic. les parents sont cadres supérieurs et leurs deux enfants (garçon et fille) sont à l'université mais la fille est anorexique et anormalement mince. leur femme de ménage et sa fille âgée de 13 ans font partie de ce même ménage depuis un an. Elle prend des cours de couture en attendant de rejoindre l'école de la seconde chance. Elle avait arrêté l'école à l'âge de 11 ans quand elle vivait encore au village.
Un second ménage vit dans une grande ferme dans une commune rurale. le chef du ménage est un grand agriculteur qui emploie une vingtaine d'ouvriers et techniciens agricoles. Il n'a jamais été à l'école. Il a eu six enfants mais deux sont décédés jeunes, une trentaine d'années auparavant. Les quatre autres sont diplômés de l'université et vivent en ville avec leurs enfants. Aujourd'hui, il vit avec sa femme et les deux tantes de son épouse. Les trois femmes n'ont pas eu la chance de fréquenter l'école mais suivent depuis deux ans des cours d'alphabétisation à la mosquée du village. Un troisième ménage vit dans un bidonville. Le ménage n'a accès ni à l'eau ni à l'électricité et les toilettes sont situées à l'extérieur et partagées avec des voisins. Le chef de ménage peine à lire et à écrire et pourtant il avait quitté l'école après l'obtention d'un certificat d'études primaires. Aujourd'hui, il est employé dans un chantier de construction sans contrat ni protection sociale. Sa femme n'a jamais été à l'école. Leurs deux enfants âgés de 9 et 11 ans sont inscrits à l'école, qu'ils fréquentent de façon irrégulière. Le ménage possède une radio et une bicyclette et utilise les petites bonbonnes de gaz pour la cuisson. Selon le MPI, le seul ménage non pauvre, est bien le troisième, fait observer M. Achy. Dans le premier ménage, la fille est anorexique et anormalement mince, tandis que la fille de la femme de ménage qui a dépassé 13 ans n'est pas scolarisée. Par conséquent, ajoute le chercheur, le score de privation du ménage est de 16,6 points par rapport aux deux premières dimensions de l'indice. Le score final de privation est de 33.2 (soit plus de 30), ce qui fait que le ménage est jugé pauvre, tout comme l'ensemble des membres du ménage. Le second ménage obtient deux scores de privation de 16,6 en raison des deux décès infantiles, même si le décès a eu lieu trente ans auparavant. Ce ménage obtient les mêmes scores en matière d'éducation, car aucun des membres de la famille n'a eu accès à l'enseignement supérieur ou égal à cinq ans. Dans le troisième cas, le ménage n'obtient aucun score de privation en matière d'éducation et de santé, selon le MPI. Et le ménage réalise un score de 5,5 points sur quatre des six composantes qui constituent la dimension du "niveau de vie". Ancien enseignant chercheur en économie à l'Institut national de statistique et d'économie appliquée (INSEA, Maroc), M. Lahcen Achy est spécialiste en économie internationale et en économie du développement. Il a publié plusieurs de ses travaux dans des revues internationales et collaboré avec divers organismes internationaux.