C'est un nouvel épisode de la diplomatie parallèle que le Front Polisario mène depuis des décennies, le chef du mouvement séparatiste, Brahim Ghali, a adressé, à l'occasion du 9 mai — jour de la victoire russe sur le nazisme — un message personnel à Vladimir Poutine. L'intention est limpide : solliciter l'appui symbolique d'une puissance mondiale à un moment où le front diplomatique se rétrécit autour du Polisario. Mais derrière la rhétorique solennelle, le silence du Kremlin en dit long. Dans sa lettre, Ghali opère un parallèle audacieux : il compare la lutte du peuple sahraoui à la résistance russe contre l'Allemagne nazie, une analogie qui frôle l'incongruité historique tant elle cherche à dramatiser un dossier que la communauté internationale aborde aujourd'hui sous l'angle d'une solution politique, réaliste et durable. Cette tentative d'alignement émotionnel est destinée à capter l'attention de Moscou, alors que le Front Polisario, isolé et marginalisé, cherche désespérément à se repositionner dans les arènes diplomatiques. Le dirigeant séparatiste salue une prétendue « position de principe » de la Russie, évoquant l'autodétermination, tout en formulant le vœu — déjà exprimé à plusieurs reprises — de se rendre officiellement à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine. Une visite que ce dernier n'a jamais envisagée, ni publiquement ni dans les canaux diplomatiques. À ce jour, aucun geste concret du Kremlin ne vient conforter cette main tendue, bien au contraire. Car si le Polisario multiplie les appels du pied, la Russie, elle, tourne ostensiblement son regard vers Rabat. En coulisses, la diplomatie marocaine s'active. Et Moscou y répond avec pragmatisme. Un projet d'accord de pêche entre les deux pays, publié sur le site officiel du gouvernement russe en avril, prévoit l'octroi de quotas de pêche de 90 000 à 100 000 tonnes dans les eaux marocaines, y compris au large du Sahara atlantique. Une avancée majeure qui, dans les faits, confirme l'acceptation implicite de la souveraineté marocaine sur la région. Lire aussi : Un fonds d'investissement trilatéral pour ancrer les Accords d'Abraham Ce partenariat n'est pas anodin. Dans un contexte marqué par des repositionnements géopolitiques accélérés, la Russie, bien qu'elle ménage son langage au Conseil de sécurité, évite désormais toute interaction officielle avec le Front Polisario. Les diplomates russes refusent désormais de recevoir ses représentants, préférant consulter exclusivement l'ambassadeur d'Algérie à Moscou, comme pour souligner que le dossier du Sahara est moins une affaire « sahraouie » qu'un prolongement direct de l'agenda géopolitique algérien. Ce choix diplomatique de la Russie remet en lumière un fait que beaucoup d'observateurs considèrent comme une évidence : l'implication directe d'Alger dans le conflit. Si le discours officiel algérien évoque un soutien au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la réalité est que l'Algérie agit comme le principal parrain politique, militaire et financier du Polisario. En s'adressant à l'ambassade algérienne plutôt qu'au mouvement lui-même, Moscou renvoie ce dernier à son véritable statut : celui d'un relais et non d'un acteur souverain. Pour Rabat, cette évolution est hautement significative. Elle vient conforter la dynamique enclenchée depuis plusieurs années, marquée par la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur son Sahara en 2020, l'ouverture de consulats étrangers dans les provinces du Sud, et l'élargissement du cercle des pays favorables au plan d'autonomie marocain comme seule issue sérieuse et crédible au conflit. Un réalignement géopolitique assumé Le silence de la Russie face aux sollicitations du Polisario ne relève pas d'un simple choix de forme : il traduit un réalignement profond, dicté par des considérations économiques, stratégiques et diplomatiques. Pour Moscou, dans le contexte actuel de tensions avec l'Occident, la diversification de ses partenariats en Afrique devient une priorité. Or, le Maroc offre des garanties de stabilité, un positionnement stratégique sur le détroit de Gibraltar, un accès au marché africain, et une politique étrangère agile, ouverte aux partenariats multilatéraux. En renforçant sa coopération avec Rabat, la Russie n'envoie pas seulement un signal de désintérêt envers le Polisario. Elle reconnaît de facto que les réalités sur le terrain — économiques, institutionnelles, géopolitiques — sont du côté marocain. Loin des postures idéologiques figées, Moscou opte pour la voie du pragmatisme. À l'heure où le Conseil de sécurité s'apprête à examiner de nouveau la situation en octobre, la rhétorique de l'autodétermination peine à convaincre. Le plan d'autonomie marocain, jugé « sérieux et crédible » par les principales chancelleries, apparaît comme la seule base tangible de solution politique. Face à cela, le Polisario persiste à faire vivre une fiction diplomatique, en invoquant des soutiens symboliques ou en recyclant les solidarités du siècle passé. Mais les faits sont têtus : l'absence d'accueil réservé à Ghali à Moscou, la coopération économique russo-marocaine croissante, et le désintérêt affiché pour la rhétorique séparatiste confirment que le vent a tourné. Les tentatives de relancer une dynamique diplomatique via des missives solennelles ou des hommages historiques ne pèsent plus face à la réalité des intérêts stratégiques et des équilibres géopolitiques. Une victoire diplomatique pour le Maroc Dans cette séquence, Rabat peut s'estimer conforté. Non seulement le Maroc consolide sa stature de partenaire fiable auprès des grandes puissances, mais il marginalise encore davantage le discours séparatiste. La prudence diplomatique de la Russie n'efface pas le message : elle ne reconnaît pas le Polisario comme entité représentative, ni comme interlocuteur digne d'une relation d'Etat à Etat. Ce nouvel épisode illustre une vérité plus large : la solution au différend autour du Sahara ne viendra ni des anachronismes diplomatiques ni des analogies historiques bancales, mais d'une lecture lucide des intérêts mutuels et d'un réalisme politique assumé. En cela, la Russie ne se démarque pas. Elle rejoint, silencieusement mais résolument, le camp de ceux qui considèrent que l'avenir du Sahara passe par l'autonomie sous souveraineté marocaine — une solution politique, pérenne, et surtout en phase avec les dynamiques d'un monde en recomposition.