Le 27 juillet, le metteur en scène, chorégraphe et collectionneur d'art, Hassan Ouakrim, s'est éteint à New York, à 85 ans. D'aucuns le décrivent comme un «maître enseignant». «Je suis profondément attristé par le décès de Hassan Ouakrim, véritable pionnier culturel et ambassadeur de longue date de l'identité marocaine aux Etats-Unis», a publié sur les réseaux sociaux, le 29 juillet, Youssef Amrani, l'ambassadeur du Royaume aux Etats-Unis. Il a souligné que Hassan Ouakrim «a consacré sa vie à préserver et à partager l'âme du Maroc, à travers des danses ancestrales telles que l'Ahwach, la Guedra et le Gnaoua. De ses premiers efforts pour créer un théâtre nationaliste après l'Indépendance, à ses trente années en tant que directeur artistique du théâtre La Mama à New York, il a incarné un pont vivant entre tradition et modernité.» Né à Tafraout en 1940, Hassan Ouakrim a été un des acteurs du Tanger de la Beat generation, avant de partir à New York, pour y «représenter la culture berbère», disait-il lui-même. Cette histoire aussi remarquable qu'improbable est racontée dans son autobiographie, traduite en français, «Mémoire d'un Berbère». Le 24 décembre 2023, la chaîne 2M a diffusé un documentaire de Hisham Aidi sur Hassan Ouakrim, «Les Mille et une Nuits berbères». Installé lui aussi à New York, Aidi explique qu'il y a eu des «célébrations du Nouvel An, Yennayer, dans différentes villes américaines à la mi-janvier 2019, pour le début de l'année 2969 du calendrier amazigh», mettant en évidence l'existence des Amazigh-Américains, d'origines marocaine, algérienne et malienne. Hassan Ouakrim, metteur en scène, chorégraphe, collectionneur d'art et doyen de la culture marocaine aux Etats-Unis, a pu reconnaître dans cette visibilité le fruit de longs efforts auxquels il a largement participé. À 14 ans, il refuse d'offrir un cadeau à Ben Arafa Ses mémoires débutent lorsque, âgé de 7 ans, il est envoyé par sa mère rejoindre son père à Tanger. Celui-ci ne pouvant lui payer l'école secondaire, le jeune Hassan, certificat d'études en poche, est ensuite confié à un oncle de Marrakech. L'adolescent s'émerveille devant les arts de la rue déployés sur la place Jamaa El Fna. Il s'y «connecte au fantasme» du lieu, écrit-il. Un jour, un guérisseur soufi le saisit par le poignet : «Tu n'es pas d'ici. Retourne vers le nord, d'où tu es venu». Et lui promet «plus tard dans ta vie, tu finiras par quitter ces terres... Tu survoleras l'océan... par le pouvoir de la baraka, la bénédiction de Sidi Moulay Brahim. Lorsque tu traverseras l'océan, tu trouveras sur ton chemin de grands ponts, tu devras passer le reste de ta vie à Blad al-Marikan, en Amérique». Les temps sont troublés : le futur Roi Mohammed V est exilé par le pouvoir colonial. Le collège de Hassan Ouakrim le désigne pour saluer le remplaçant fantoche, Mohammed Ben Arafa, qui va venir visiter l'établissement. Le jeune homme de 14 ans décide qu'il ne remettrait pas «de cadeau public à un faux roi» et se fait frapper par le principal, furieux de ce refus. Ouakrim retourne à Tanger, où, après son bac, il fréquente ateliers théâtre, cours de mime et de danse. En 1968, il fonde Inossis, une compagnie de théâtre berbère qui existe toujours, mêlant ballet et folklore amazigh. Ouakrim invente le nom en utilisant le cut-up, la «technique de découpage» de son ami William Burroughs qui consiste à découper quelques mots, pour ensuite mélanger les lettres au hasard et accepter le résultat — «Inossis». Il s'agit alors de sortir la culture du «folklore indigène» méprisé par les anciens colons, tout en offrant une alternative marocaine et moderne au puissant panarabisme égyptien de l'époque. Les Beats sont là, et il travaille avec eux. Ellen Stewart, une Afro-Américaine directrice et fondatrice légendaire du théâtre expérimental La Mama, vient souvent à Tanger. C'est elle qui installe le peintre Ahmed Yacoubi à New York, en 1966, se souvient Hisham Aidi. Hassan Ouakrim a emprisonné Donald Trump Et en 1972, Ellen Stewart invite Ouakrim à l'aider à monter la pièce «A Night Before Thinking», adaptation d'un récit du peintre marocain Ahmed Yacoubi par le romancier Paul Bowles. Hassan Ouakrim deviendra le directeur artistique de La Mama Maghreb. Plus d'un demi-siècle plus tard, il s'est éteint dans l'East Village, dans son appartement à quelques rues du théâtre. Il avait intégré le milieu de la danse, celui du jazz et, bien sûr, la haute société. Durant les années 1970 et 80, il organise des fêtes monumentales, de grandes nuits arabes, orientales, berbères... pour la jet-set. Dont une mémorable, sur le thème du film «Casablanca», pour le milliardaire Carl Icahn. À Long Island, dans les Hamptons, ils font venir un avion de la Seconde Guerre mondiale et le placent sur la plage. Ils reconstituent une douane internationale, comme dans «Casablanca», avec des patrouilles frontalières, des points de contrôle... Or, l'un des invités est Donald Trump, alors magnat de l'immobilier. Carl Icahn demande à Hassan Ouakrim d'arrêter Trump, de lui dire qu'il est sans papiers et de l'emprisonner. Hassan sort son arme, regarde le passeport de l'homme d'affaires et le met en cage. Ce dernier n'était pas content du tout, raconte Ouakrim. Puis ils le libèrent et rejoignent la fête tous ensemble. Passeur transatlantique Mais le long travail de fond est bien sûr celui au théâtre La Mama : pièces du répertoire amazigh, cours de danse, transmission de la culture... Hassan Ouakrim s'est efforcé pendant des décennies à faire connaître le Maroc aux Américains. Son récit permet de situer comment sa collection a pu se constituer, et l'intérêt de l'exposition qui s'était tenue en mai-juin 2024 à la galerie Dar d'Art, de Tanger. Des œuvres de Bryon Gysin, Ahmed Ben Driss El Yacoubi, Mohamed Hamri, El Mekki Murcia et Antonio Fuentes y côtoyaient les photos souvenirs de Hassan Ouakrim avec ses amis, comme Randy Weston, Mohamed Choukri et Jean Genet, mais aussi Donald Trump et même Mickey Mouse. «En tant que "maître enseignant", il a fait découvrir à des générations d'Américains la beauté de l'expression berbère et saharienne, non seulement par le mouvement, mais aussi par l'esprit», a conclu Youssef Amrani. Murtada Calamy / Les Inspirations ECO