La présence remarquée de la Nouvelle Banque de développement à Rabat relance les spéculations sur une possible adhésion du Maroc au groupe des BRICS. Une évolution qui, au-delà des enjeux financiers, pourrait redessiner les équilibres géopolitiques régionaux. Le 26 mai dernier, dans le cadre d'un colloque international consacré à la soutenabilité dans les marchés publics, une voix inhabituelle s'est élevée à Rabat : celle de la Nouvelle Banque de développement (NDB), bras financier du groupe des BRICS. Anand Kumar Srivastava, directeur général adjoint de l'institution, y a ouvertement évoqué l'éventualité d'une adhésion du Maroc. Bien que le Royaume ne figure pas parmi les membres actuels, « sa présence serait la bienvenue », a-t-il déclaré, tout en rappelant que l'adhésion repose sur une initiative volontaire et une contribution financière au capital de la banque. Ce n'est pas tant l'annonce que sa localisation qui intrigue. Car c'est bien à Rabat, et non à Johannesburg, Moscou ou Shanghai, que la NDB a choisi de marquer sa première apparition officielle sur le sol marocain. Un déplacement symbolique, dans un contexte où les BRICS affichent une volonté manifeste d'intensifier leur présence en Afrique. Depuis sa création en 2015 par le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud, la NDB a connu une expansion progressive. L'intégration récente de l'Egypte, des Emirats arabes unis et du Bangladesh confirme la volonté du groupe de dépasser son socle originel pour accueillir des partenaires stratégiques issus de divers continents. À ce jour, la NDB revendique le financement de 122 projets pour un montant cumulé de plus de 39 milliards de dollars. Dans cette dynamique, le Maroc apparaît comme un candidat de poids. Doté d'un système bancaire robuste, d'une diplomatie économique offensive et d'une stabilité institutionnelle relative dans une région en tension, le Royaume coche plusieurs cases qui le rendent attractif aux yeux du conglomérat BRICS. D'autant que, selon une déclaration de décembre 2024 de Youri Ouchakov, conseiller de la présidence russe, le Maroc faisait déjà partie des plus de vingt pays ayant exprimé leur intérêt pour un dialogue structuré avec le bloc. Les BRICS, un levier de diversification stratégique pour Rabat Pour le Maroc, une éventuelle adhésion à la NDB, voire aux BRICS à terme, s'inscrirait dans une stratégie de diversification de ses alliances. Si les partenariats traditionnels avec l'Union européenne et les Etats-Unis demeurent centraux, Rabat explore depuis plusieurs années de nouveaux relais d'influence : renforcement des relations avec la Chine dans le cadre de la Belt and Road Initiative, multiplication des accords Sud-Sud avec les pays africains, développement de partenariats stratégiques avec l'Inde et la Russie. Dans ce schéma, une place au sein des BRICS — ou tout du moins dans leur périphérie financière via la NDB — offrirait au Maroc un nouveau levier d'action. D'abord sur le plan économique, avec l'accès à une source de financement alternative pour ses grands projets d'infrastructures, à l'instar des centrales solaires Noor ou du futur port Nador West Med. Ensuite, sur le plan diplomatique, en consolidant sa stature de puissance émergente ouverte sur plusieurs sphères d'influence. Malgré ce ballet diplomatique discret, Rabat n'a à ce jour formulé aucune démarche officielle. La prudence du Royaume n'est pas anodine : une adhésion au groupe des BRICS pourrait être interprétée comme une prise de distance avec les alliances occidentales, à l'heure où les tensions Est-Ouest reconfigurent l'ordre mondial. Toutefois, la participation de la NDB à un événement organisé dans la capitale marocaine, en présence d'institutions comme la Banque mondiale, la BERD ou l'Agence française de développement, montre que Rabat entend ménager ses partenaires traditionnels tout en s'ouvrant à d'autres horizons. Ce positionnement d'équilibriste reflète la doctrine diplomatique marocaine : multilatéralisme pragmatique et souveraineté affirmée. Au-delà du cas marocain, c'est bien l'Afrique qui se retrouve au centre des ambitions expansionnistes du groupe BRICS. L'adhésion de l'Egypte et l'intérêt manifesté par des pays comme l'Algérie, le Nigeria ou l'Ethiopie en témoignent. Pour les BRICS, il s'agit non seulement d'élargir leur poids économique mondial, mais aussi de proposer un contre-modèle aux institutions dominées par l'Occident, comme le FMI ou la Banque mondiale. Dans ce contexte, le Maroc pourrait jouer un rôle pivot. Fort de son ancrage continental et de ses relais diplomatiques sur l'ensemble du continent, il est en mesure de servir de passerelle entre les BRICS et l'Afrique, tout en défendant ses intérêts nationaux. Mais cette projection suppose un arbitrage stratégique clair : entre prudence géopolitique et ambition d'autonomie.