La flambée spectaculaire du prix de l'antimoine propulse le Maroc au centre des convoitises internationales. Ce métal rare, critique pour les industries de défense, de l'énergie et de la technologie, attire désormais des investissements étrangers massifs, dans un contexte de reconfiguration géopolitique de l'accès aux ressources stratégiques. En l'espace de cinq ans, l'antimoine est passé de l'ombre à la lumière. Encore vendu aux alentours de 5 500 dollars la tonne en 2019, il dépasse désormais les 60 000 dollars, selon les chiffres cités par Medias24. Cette hausse fulgurante, loin d'être conjoncturelle, est alimentée par une double pression : d'un côté, des besoins croissants dans des secteurs à haute valeur ajoutée ; de l'autre, une raréfaction de l'offre mondiale sous l'effet des restrictions chinoises. Longtemps considéré comme un métal secondaire, l'antimoine s'impose désormais comme un maillon essentiel de l'arsenal technologique global. Il entre dans la composition des munitions, des missiles, des batteries à haute performance, des capteurs infrarouges et de nombreux matériaux ignifuges. À mesure que la compétition stratégique s'intensifie entre grandes puissances, son importance ne cesse de croître. La Chine, qui assurait historiquement plus de 70 % de la production mondiale, a imposé ces dernières années une politique de resserrement de ses exportations, privilégiant sa demande interne. Elle est aujourd'hui à la fois le principal producteur et – paradoxalement – le plus grand importateur d'antimoine. Résultat : les puissances occidentales, de l'Union européenne aux Etats-Unis en passant par le Japon, se trouvent contraintes de diversifier leurs sources d'approvisionnement. Lire aussi : FAO: Légère baisse des prix des produits alimentaires dans le monde C'est dans ce contexte tendu que le Maroc émerge, non pas comme une superpuissance minière, mais comme une alternative crédible, stable et géopolitiquement moins exposée. Le Royaume ne dispose pas de réserves gigantesques, mais il offre un sous-sol prometteur, un cadre réglementaire en évolution et une attractivité croissante auprès des investisseurs étrangers. L'année 2025 marque un tournant. Plusieurs sociétés minières, notamment britanniques et australiennes, se sont implantées dans le Royaume pour sécuriser leur accès à cette ressource stratégique. Xtract Resources, société britannique cotée à Londres, a scellé un partenariat stratégique avec l'entreprise marocaine Wildstone. Ensemble, elles ambitionnent de développer un projet intégré associant antimoine, cuivre et argent. Une première phase d'exploration à petite échelle est engagée, avec l'objectif de déboucher sur une unité industrielle de traitement local si les gisements s'avèrent viables. Dans la foulée, Zeus Minerals, entreprise australienne, a acquis auprès d'Ashgill Resources le « projet Casablanca », un ensemble de six permis miniers couvrant 79 kilomètres carrés entre Khouribga et Oued Zem. Les données disponibles suggèrent des teneurs en antimoine exceptionnellement élevées, allant de 7,8 % à plus de 46 %. L'entreprise prévoit de finaliser ses études géologiques d'ici la fin de l'année. D'autres acteurs, comme Critical Mineral Resources, misent quant à eux sur des circuits d'approvisionnement plus agiles, en achetant directement aux petits exploitants marocains déjà actifs. Cette stratégie permet un accès immédiat au marché tout en limitant les investissements initiaux. Un potentiel national longtemps sous-exploité Malgré l'intérêt croissant, l'antimoine marocain reste encore peu valorisé. Le pays abrite une douzaine de gisements de stibine – le minerai primaire de l'antimoine – éparpillés dans diverses régions : du Rif au Moyen Atlas, en passant par Oulmes. Certains sites, comme Beni Mzala près de Fnideq, ont une histoire ancienne, remontant à l'époque de l'occupation portugaise. D'autres, comme la zone de Majmaâ Salihine, près d'Oulmes, ont révélé des teneurs très prometteuses (jusqu'à 8,5 %) lors de prospections menées par l'Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM). Jusqu'à récemment, la production nationale restait marginale, limitée à quelques tonnes par an, sans véritable structuration industrielle. La perspective d'une relance sérieuse de la filière repose sur une combinaison de facteurs : l'afflux d'investissements étrangers, une remontée spectaculaire des cours, mais surtout la nécessité de réformer le cadre légal et institutionnel. À l'échelle mondiale, l'antimoine figure désormais sur la liste des matières premières critiques reconnues par l'Union européenne, les Etats-Unis et le Japon. Face à la vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement, ces pays encouragent activement le développement de nouveaux gisements hors des zones d'instabilité, via des mécanismes incitatifs, des partenariats bilatéraux et des financements publics ciblés.