À l'extrême sud du Maroc, niché entre les dunes du Sahara et l'Atlantique, le poste frontalier de Guerguarat n'est plus un simple point de passage. Il est devenu, en l'espace de quelques années, le pivot d'une dynamique économique majeure qui transforme les équilibres commerciaux entre l'Afrique du Nord et le Sahel. Le succès spectaculaire des échanges entre le Maroc et la Mauritanie, culminant à 300 millions de dollars d'exportations en 2022 et 2023, illustre avec éclat ce que l'on peut désormais qualifier de dynamique de Guerguarat. En deux ans à peine, le Royaume est devenu le premier fournisseur de la Mauritanie, dépassant largement ses concurrents africains et maghrébins. À lui seul, le Maroc fournit désormais près de la moitié des importations mauritaniennes en provenance du continent africain, et plus de 70 % de celles venant du Maghreb. Ce bond remarquable ne tient pas seulement à une stratégie commerciale avisée : il repose avant tout sur une infrastructure cruciale, celle de Guerguarat, assurant une fluidité logistique inégalée et une sécurité durable sur un axe jadis vulnérable. Le poste de Guerguarat, longtemps ignoré des radars diplomatiques, a connu son tournant historique en novembre 2020, lorsque les Forces Armées Royales ont mis fin au blocage de l'axe par des éléments séparatistes. Cette intervention a non seulement restauré la libre circulation des biens et des personnes, mais elle a également envoyé un signal clair à toute la région : la porte sud du Maroc vers l'Afrique ne se fermera plus. Depuis, les convois de camions transportant denrées alimentaires, équipements, matériaux de construction ou véhicules n'ont cessé de croître, établissant Guerguarat comme un trait d'union économique entre Dakhla et Nouakchott. La nature des marchandises exportées reflète la maturité de l'économie marocaine. Plus de 80 % des produits exportés vers la Mauritanie relèvent de l'agroalimentaire, de l'industrie manufacturière et des biens d'équipement. Les fruits et légumes, dont la qualité est désormais reconnue sur tout le continent, représentent à eux seuls environ 20 % du total. À cette compétitivité s'ajoute une réputation de fiabilité : les entreprises mauritaniennes savent qu'en passant commande au Maroc, elles achètent régularité, délais respectés et services maîtrisés. LIRE AUSSI : Tout ce qu'il faut savoir sur le complot algérien de Guerguerate contre le Maroc Mais la réussite de Guerguarat ne tient pas seulement à sa géographie. Elle repose également sur un écosystème politique et logistique soigneusement entretenu. Dès 2024, le gouvernement mauritanien a mis en place un régime de visas simplifiés pour les chauffeurs marocains, facilitant les trajets réguliers et réduisant les délais de passage. Cette décision s'inscrit dans un climat de coopération étroite entre les deux pays, renforcé en décembre 2024 lors d'un sommet à Rabat entre S.M. le Roi Mohammed VI et le Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Les deux chefs d'Etat ont alors entériné une série d'accords visant à interconnecter davantage leurs économies, notamment à travers les secteurs de l'énergie, des infrastructures et du commerce. Parallèlement, le Maroc investit massivement pour dupliquer le modèle Guerguarat. En février 2025, un nouveau corridor reliant Smara, au Sahara marocain, à Bir Moghrein, au nord de la Mauritanie, a été annoncé. Destiné à faciliter l'acheminement des ressources minières vers les ports marocains, ce projet complète la stratégie d'ouverture vers le Sahel et positionne le Royaume comme un acteur incontournable du commerce ouest-africain. D'autres infrastructures frontalières sont également en cours, à l'image du poste d'Amgala, dont la mise en service est imminente. Au-delà des flux de marchandises, c'est toute une vision géoéconomique qui se déploie. Le Maroc est aujourd'hui le premier investisseur africain en Mauritanie. Il y finance des projets dans les télécommunications, la pêche, l'agriculture, le BTP, les services bancaires et la distribution énergétique. Ces investissements ne sont pas le fruit du hasard, ils traduisent la volonté marocaine de bâtir une présence durable, stable et bénéfique de part et d'autre de la frontière. Ils s'inscrivent aussi dans des initiatives plus vastes, comme le projet de gazoduc Nigeria–Maroc, qui ambitionne de relier le Golfe de Guinée aux marchés européens en passant par la Mauritanie, et dont les retombées géopolitiques sont considérables. Dans ce contexte, Guerguarat est bien plus qu'un poste douanier, il est le symbole concret d'un Maroc tourné vers l'Afrique, assumant pleinement son rôle de puissance logistique et commerciale régionale. Il incarne une diplomatie de la connectivité, une stratégie de stabilité par le développement, et une ambition de rayonnement par la coopération. Alors que les tensions sécuritaires persistent dans le Sahel et que les équilibres géopolitiques se redessinent, la réussite de Guerguarat montre qu'une autre voie est possible : celle du commerce comme vecteur de paix, de croissance et d'intégration régionale. Le Maroc, grâce à cette porte ouverte sur l'Afrique, s'impose désormais comme le trait d'union entre le Maghreb et le Sud. Et tout cela commence à Guerguarat.