Les résultats des comptes régionaux 2023 publiés par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) confirment une réalité persistante : cinq régions seulement concentrent plus de 70 % de la richesse nationale. Cette concentration, loin d'être anodine, interroge sur l'efficacité des politiques de décentralisation et sur la capacité de l'Etat à réduire les fractures territoriales. Le HCP souligne que Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Marrakech-Safi et Fès-Meknès dominent largement le paysage économique. Ensemble, ces cinq régions génèrent plus des deux tiers du Produit intérieur brut (PIB) national. Casablanca-Settat, à elle seule, pèse 32,2 %, soit près d'un tiers de l'économie du pays. Elle est suivie de Rabat-Salé-Kénitra (15,7 %) et de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (10,6 %), alors que Marrakech-Safi (8,5 %) et Fès-Meknès (8,4 %) complètent le quintette de tête. Cette hiérarchie régionale s'explique par la concentration des infrastructures, des investissements privés et publics, ainsi que par la place centrale de ces régions dans l'industrie, le commerce, la finance et les services. Le HCP rappelle que les régions de Casablanca et Tanger demeurent les principaux pôles industriels, tandis que Marrakech et Fès misent sur le tourisme, les services et l'agriculture diversifiée. Cette polarisation a un prix : l'accentuation des disparités. L'écart absolu moyen entre les PIB régionaux a atteint 83,1 milliards de dirhams en 2023, contre 73,3 milliards l'année précédente. Autrement dit, la dynamique de croissance, bien qu'affirmée à l'échelle nationale (+3,7 %), profite de manière disproportionnée à un nombre limité de territoires. Lire aussi : Le HCP note une croissance du PIB à 4,8 % au 1er trimestre 2025 Les régions du Sud, malgré des croissances sectorielles parfois dynamiques (comme Dakhla-Oued Ed-Dahab portée par la pêche et le BTP), ne représentent collectivement que 4,8 % du PIB national. Quant à Drâa-Tafilalet, elle ne pèse que 2,8 % dans la richesse du pays, ce qui en fait l'une des régions les plus marginalisées. Décentralisation en panne de souffle Depuis le lancement du chantier de la régionalisation avancée en 2011, le gouvernement a multiplié les annonces et les programmes visant à réduire les inégalités territoriales. Le Fonds de mise à niveau sociale, le Programme de réduction des disparités territoriales et sociales (PDRTS) ou encore les projets d'infrastructures régionales devaient constituer des leviers de rééquilibrage. Pourtant, les données du HCP montrent que ces politiques peinent à inverser la tendance. Les financements alloués restent fragmentés et insuffisants face aux besoins colossaux en infrastructures de base, en santé, en éducation et en emploi dans les régions périphériques. De plus, la gouvernance territoriale demeure centralisée : les régions disposent encore d'une faible marge de manœuvre budgétaire et décisionnelle, limitant leur capacité à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies de développement endogènes. L'écart croissant entre les régions riches et les territoires marginalisés pose un problème de cohésion nationale. Selon plusieurs économistes, le risque est de voir se cristalliser une « économie à deux vitesses » : d'un côté, des régions dynamiques intégrées aux chaînes de valeur mondiales et aux grands investissements étrangers, de l'autre, des territoires dépendants de l'agriculture pluviale, exposés aux aléas climatiques et relégués dans les politiques publiques. Le HCP souligne également que les inégalités se traduisent au niveau du PIB par habitant : Casablanca-Settat dépasse 62 000 dirhams, quand Drâa-Tafilalet plafonne à 25 000 dirhams. Ces écarts, loin de se résorber, se sont accentués entre 2022 et 2023. Avec MAP