À l'heure où l'Union européenne s'apprête à mettre en œuvre le Règlement sur la lutte contre la déforestation (EUDR), le Maroc apparaît comme l'un des rares pays africains à aborder cette réforme non pas comme une menace, mais comme une opportunité stratégique. Classé « pays à faible risque » par Bruxelles, le Royaume mise sur son cadre législatif, sa stratégie forestière et son partenariat vert avec l'Europe pour se positionner en modèle régional de diplomatie climatique et environnementale. Le règlement (UE) 2023/1115, qui entrera en vigueur le 30 décembre 2025, impose aux opérateurs européens de prouver que leurs produits importés n'ont pas contribué à la déforestation. Les filières du bois, du caoutchouc, du soja, de l'huile de palme, du cacao, du café et du bétail sont particulièrement concernées. Si plusieurs pays africains s'inquiètent des coûts de mise en conformité, le Maroc bénéficie d'un statut particulier : une évaluation approfondie de la Commission européenne a confirmé que les filières marocaines du bois, du caoutchouc et du cuir bovin respectent des normes élevées de durabilité et de traçabilité. Cette classification avantageuse repose sur un héritage juridique solide. Depuis le Dahir forestier de 1917, le Maroc a développé un arsenal de textes et de mécanismes de suivi stricts qui encadrent l'exploitation, le transport et la valorisation des ressources forestières. Le contrôle est assuré conjointement par l'Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF), les forces de sécurité, les administrations publiques et les communautés locales détentrices de droits d'usage. Cette gouvernance partagée garantit une transparence qui a séduit Bruxelles. Mais l'enjeu dépasse la simple facilitation commerciale. Être reconnu comme pays à faible risque constitue pour le Maroc un capital diplomatique. Dans le cadre du Partenariat vert Maroc–UE, le Royaume se présente comme un relais africain de l'agenda climatique européen. Il ne s'agit pas seulement de sécuriser l'accès au marché européen avec des procédures de contrôle allégées, mais de se positionner en hub régional de conformité environnementale, capable d'accompagner d'autres pays africains dans leur mise en conformité. Cette orientation s'inscrit dans une stratégie plus large, initiée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, avec le lancement en 2020 du programme « Forêts du Maroc 2020-2030 ». Ce dernier vise à restaurer les forêts, accroître leur productivité, intégrer le secteur privé et renforcer le rôle des populations locales. Le patrimoine forestier national couvre 9 millions d'hectares, dont 6 millions de forêts naturelles et 2,5 millions de steppes, selon l'ANEF. Chaque année, il génère 950.000 m3 de bois, 1.400 tonnes de liège, 52.000 tonnes de plantes médicinales et aromatiques, ainsi que 5.000 tonnes d'huiles essentielles. Ces ressources représentent à la fois un atout économique et un levier d'intégration sociale dans les zones rurales. Lire aussi : La déforestation de la forêt amazonienne au Brésil a ralenti de moitié en un an De la contrainte réglementaire à l'opportunité de modernisation Pour amplifier ce potentiel, un Plan directeur d'investissement forestier a été élaboré en partenariat avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Il fixe les priorités d'investissement, en mettant l'accent sur le bois, les plantes médicinales, les produits résineux et introduit une innovation majeure : l'ouverture de la gestion forestière aux capitaux privés. C'est une première dans l'histoire marocaine, qui témoigne de la volonté d'associer durabilité et attractivité économique. Consciente des enjeux de l'EUDR, l'ANEF et la Délégation de l'Union européenne au Maroc ont organisé, le 1er juillet 2025 à Rabat, un atelier de sensibilisation destiné aux acteurs publics et privés. L'objectif : anticiper les défis réglementaires, fluidifier les échanges entre opérateurs marocains et européens, et adapter les mesures de traçabilité aux réalités de chaque filière. Cette rencontre illustre la logique de co-construction qui sous-tend le partenariat vert Maroc–UE. Le Royaume, loin de considérer l'EUDR comme une contrainte, en fait un levier de transformation systémique. Certes, la mise en conformité implique des coûts, liés aux audits, à la certification et aux technologies de traçabilité. Mais ces investissements sont perçus comme une opportunité de moderniser les filières, d'augmenter la valeur ajoutée des produits et de les différencier sur des marchés internationaux de plus en plus exigeants. L'approche marocaine reflète une vision diplomatique où la durabilité devient un outil d'influence. En se positionnant comme partenaire fiable et crédible, le Royaume consolide son image dans les forums climatiques mondiaux et renforce son rôle dans les négociations internationales sur l'environnement. Cette stratégie est en cohérence avec d'autres initiatives majeures, telles que la Stratégie énergétique nationale, qui vise à faire du Maroc un acteur majeur des énergies renouvelables, ou encore les engagements du Royaume dans le cadre de l'Accord de Paris. Alors que l'Afrique est fréquemment présentée comme vulnérable face aux défis environnementaux, le Maroc fait figure d'exception en transformant ces contraintes en atouts diplomatiques et économiques. Le classement « faible risque » conféré par l'Union européenne lui permet non seulement de sécuriser ses exportations, mais aussi de jouer un rôle de médiateur entre l'Europe et l'Afrique dans la transition verte.